Pas aussi emportée que par ma lecture de "Mayerling", j'ai pourtant bien apprécié ce roman mettant en scène Ariane, jeune fille passionnée et rebelle à sa manière.
Le propos de Claude Anet est vif et incisif, le rythme très soutenu. Les portraits russes qu'il brosse appartiennent à des personnages fictifs vraisemblables et convaincants, à défaut d'être attachants pour la plupart d'entre eux.
L'histoire d'amour entre Ariane et Constantin est un labyrinthe émotionnel dans lequel le lecteur a souvent l'impression de se perdre mais sans que cela nuise à la cohérence de ce drame sentimental mâtiné de psychologie.
Pas inoubliable mais intéressant.
Challenge 1914 / 1989 - Edition 2018
Challenge 50 OBJETS 2018 - 2019
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- [...] Don Juan est un héros éternel parmi les hommes parce qu’il a eu mille et trois femmes. Il s’en vante, il en tire sa gloire et son prestige. Mais une femme qui aurait mille et trois amants, comment serait-elle jugée ? Elle passerait pour la dernière des filles. On n’aurait que mépris pour elle. Si elle n’est pas une professionnelle, sa famille la fera enfermer dans une maison de santé, comme hystérique… Eh bien, cette injustice-là est l’injustice suprême contre laquelle je veux me battre. Tant que subsistera ce préjugé, nous ne serons pas vos égales. Si nous prenons un amant, il faut le faire en cachette. Les hommes parlent librement des femmes qu’ils ont eues. Et nous sommes condamnées à nous taire ! Pourquoi ? Ne sommes-nous pas libres comme vous ? N’avons-nous pas le droit de prendre, comme vous, notre plaisir où nous le trouvons ? Les hommes ont intérêt à avoir beaucoup de maîtresses et à ce que leurs maîtresses leur soient fidèles. Alors ils ont vanté les séducteurs par l’art, la poésie, la littérature, et attaché un masque d’infamie à la femme qui a beaucoup d’amants. Voilà où nous devons porter le combat. Il faut faire triompher la morale de la femme. Et j’y travaille…
Tandis que la résolution de la quitter s’affermissait en lui, il vivait près d’elle dans la même intimité. Mais il la regardait comme quelqu’un auquel on a été étroitement attaché et que l’on va perdre. Au moment de rompre et alors que le sacrifice était déjà consommé dans son esprit, il lui parlait avec plus de douceur. Il ne s’emportait pas, il ne la rudoyait plus ; il n’avait plus cette sécheresse glaciale dont il s’était servi comme d’une armure contre elle. Ils avaient maintenant de longues conversations sans disputes. Ils évitaient l’un et l’autre les sujets dangereux, les questions irritantes, les mots dont il jaillit des étincelles.
On avait beaucoup parlé de l’ingénieur sans jamais alléguer à son sujet rien de précis. Puis son nom fut mêlé à une histoire douloureuse arrivée dans la ville l’année précédente. Une des plus charmantes jeunes filles de la société s’était suicidée à dix-huit ans. Les causes de ce suicide restèrent inconnues. C’était un de ces cas de dégoût de vivre si fréquents dans la jeunesse russe dont les nerfs exaltés et faibles à la fois sont souvent incapables de résister aux premiers chocs de la vie.
Un ciel d’une limpidité presque orientale, un beau ciel clair, lumineux, bleu comme une turquoise de Nichapour, s’étendait au-dessus des maisons et des jardins de la ville encore endormie. Dans l’aube et le silence on entendait seulement les cris des moineaux qui se pourchassaient sur les toits et sur les branches des acacias, les roucoulements voluptueux d’une tourterelle au faîte d’un arbre et, au loin, le bruit aigu que faisaient, par moment, les essieux d’une charrette de paysan avançant avec lenteur sur les pavés irréguliers de la Sadovaia, la grande rue de la ville et la plus élégante. Près de la place de la cathédrale, immense, poussiéreuse, déserte, une clôture en bois fermait la cour de service de l’hôtel de Londres, dont la plate et longue façade de trois étages, bâtie en pierres grises et maussade comme un jour d’automne pluvieux, s’alignait sur la Sadovaia, sans balcons, sans pilastres, sans colonnes, sans ornements.
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- L’honnêteté, qu’est-ce-que c’est ? Une fille qui se donne pour de l’argent a son honnêteté, tout comme une femme qui n’a pas d’amant. Qui peut mesurer du dehors où est l’honneur et où est la honte ? C’est un sentiment enfoui au fond de nous et dont nous sommes seuls juges… Je pourrais me vendre, fit-elle, en regardant fixement Olga Dimitrievna qui tressaillit, et rester honnête à mes yeux.