Don Alvaro Ou La Force du Destin est une pièce en cinq actes — dénommés cinq journées, comme à la grande époque du siècle d'or espagnol — et écrite en vers et en prose par Ángel de Saavedra, devenu sur le tard duc de Rivas, éminente personnalité politique, militaire et littéraire espagnole de la première moitié du XIXème siècle.
C'est une tragédie romantique par excellence, du genre de celles qu'aurait pu nous concocter
Victor Hugo, par exemple. À la différence qu'ici, derrière la fiction, on retrouve beaucoup de similitudes entre ce brave Don Alvaro et l'auteur lui-même.
Lui qui est issu de la plus pure et de la plus haute noblesse andalouse ; lui qui a aussi su faire montre de sa valeur et de sa bravoure au combat face aux armées de Napoléon ; lui encore qui est un Grand d'Espagne ; lui pourtant qui est contraint à l'exil ou à se cacher comme le dernier des malfrats ; lui enfin qui revient en grâce... comme pour mieux être disgracié de nouveau.
Eh bien il y a vraiment de cela dans cette pièce, où le bel et noble Alvaro se fait ravaler au rang des chiens, sous prétexte que toutes les branches de son arbre généalogique n'auraient pas la couleur voulue.
Il vient d'Amérique, c'est un fait. Selon la lumière, sa peau a des colorations d'un mat peu ordinaire, c'est un autre fait. Mais il a un nom, des manières, une fortune qui le rendent respectable aux yeux de tous. Aux yeux de tous, sauf du marquis de Calatrava qui lui fait l'affront de lui refuser la main de sa fille Léonore alors même que les deux jeunes gens brûlent du plus torride amour.
Non content de lui refermer la porte au nez, le marquis de Calatrava expédie sa fille pour une destination inconnue à la campagne, histoire de la soustraire aux regards et aux tentations qu'ils pourraient avoir mutuellement d'enfreindre son interdiction.
Noblesse des sentiments face aux bouillonnements de la passion, lesquels seront les plus forts ? Car on a beau être mécontent d'un verdict, le respect dû à un marquis, surtout s'il est père de celle que l'on convoite doit primer sur tout. de même, l'on a beau être rebelle, lorsqu'on est fille d'un marquis, qui plus est d'un marquis aimant, on vénère son père et l'on y réfléchit à deux fois avant de lui désobéir.
C'est pourtant, et malgré tous les obstacles, ce qu'ils sont prêts à faire, Don Alavaro et Doña Léonore, méditer un sournois enlèvement et se marier en catimini pour se réfugier ensuite sous les ailes infranchissables d'une union divine afin de vivre leur amour comme il leur convient.
Le destin. le destin, Alvaro ! La force du destin. Tu n'y avais pas pensé, malheureux ! Quand rien ne se goupille comme il le faudrait, quand un battement d'aile de papillon en Australie provoque un cyclone aux Caraïbes. Non, décidément, rien de rien ne se déroule comme tu l'aurais espéré mon pauvre don Alvaron, fier et brave Alvaro, infortuné Alvaro...
L'auteur parvient au XIXème siècle à redonner à sa pièce un souffle qu'on croyait disparu, le souffle étonnant de la littérature espagnole du fameux siècle d'or de
Cervantes et
Lope de Vega. Il y greffe également tout le romantisme de son époque, tel qu'auraient pu le savourer des dramaturges allemands comme Schiller ou
Kleist. le produit fini ne me semble pas très éloigné d'une facture et d'un discours à la Hugo.
Si j'essaie de prélever la nature du message qui y est délivré, j'y vois tout d'abord une puissante dénonciation du préjugé en général et du préjugé raciste en particulier. J'y vois aussi un fatalisme très noir, qui prétend que quoi que vous fassiez, quand il est écrit que les choses doivent tourner mal, elles tournent mal de toute façon. Et une telle vision négative sur la force du destin peut éventuellement se comprendre dans son cas personnel, lui qui a assisté à l'effondrement de la puissance espagnole de par le monde et de sa classe dirigeante (dont il faisait partie) mais qui repose selon moi sur des prémisses fausses.
Au final, une bonne pièce, solide mais pas incontournable selon moi. Ceci n'est bien entendu qu'un avis, c'est-à-dire, très peu de chose.