Voilà un livre d'un grand intérêt, à la fois humain et scientifique. Humain d'abord, car il présente plusieurs textes autobiographiques envoyés par un noble italien homosexuel à
Emile Zola et au docteur Saint-Paul, au tournant du XIX° et du XX°s. Si l'auteur, anonyme et peut-être fictif, commence par employer le langage de l'époque pour désigner ses tendances (perversion, inversion, monstruosité, etc), on voit émerger avec étonnement, au fil des pages, la conscience et l'affirmation d'une personnalité particulière qui rejette finalement toute culpabilité pour s'affirmer comme homosexuelle. L'époque voit émerger pour la première fois une conscience de soi identitaire construite sur les préférences sexuelles, chose inconnue jusque-là, puisque la sexualité, même déviante, n'était pas le référent d'une identité consciente d'elle-même. On se définissait autrement que par sa sexualité. L'étape suivante, c'est "A la Recherche du Temps Perdu", où
Proust fait entrer ce genre de personnage dans la littérature mais aussi dans le champ des idées et des représentations.
Le second intérêt de l'ouvrage est scientifique. le premier destinataire des Confessions est
Emile Zola, dont la curiosité pour l'hérédité, la génétique naissante et ce qui deviendra les "sciences humaines", à l'oeuvre dans les Rougon-Macquart, est connue de tous ses lecteurs du temps. Il est amusant qu'il reçoive ce texte en pleine rédaction de ses quatre "évangiles", dont l'un, Fécondité, est un hymne à la reproduction. Son moralisme étroit (qui lui fit refuser de signer une pétition en faveur d'
Oscar Wilde alors en pleins scandale et procès) ne faisait pas de lui le meilleur interlocuteur possible pour un tel texte. Mais il savait être aussi large d'esprit, et il le donna au docteur Saint-Paul, qui lut et adapta (censura aussi) les écrits de cet Italien. On appréciera les aperçus (hélas trop courts) sur l'histoire des sciences médicales, sur la naissance de la psychologie, de la sexologie, et bientôt, de la psychanalyse. "La science des rêves" de
Freud paraît en 1900.
Proust,
Freud : on voit bien là que ce livre et cette autobiographie sont aux racines mêmes de la modernité occidentale et de la révolution morale du XX°s européen.