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Critique de LaBiblidOnee


Et dire qu'on ne sait pas qui a écrit ce récit ! La légende voudrait que son auteur en ait confié le manuscrit à Pierre Gripari avant de s'en désintéresser. Vingt ans plus tard, ce dernier, ne pouvant se résoudre à ce que La Scierie tombe dans l'oubli, le fait publier dans l'anonymat. de là ce livre est lu par l'ami d'un babélionaute, qui le lui met entre les mains en lui disant qu'il doit le lire. Après quoi, ledit Bobfutur en question s'est empressé de venir nous en faire la publicité, puis la cavalière au grand sourire s'est vue dévalisée par ses babélamis qui l'ont commandé sur ses conseils. Bref, pendant quelques heures j'ai investi la scierie d'un illustre inconnu, et j'ai kiffé. Comme dit Pierre Gripari (qui était aussi un inconnu pour moi) : « Tout cela est propre, viril, et sans détour ».


« J'écris parce que je crois que j'ai quelque chose à dire ». Ainsi débute ce récit, relayé par des éditions qui me sont également inconnues mais portent un nom propice à qui publie un récit anonyme : Héros-limite. le narrateur, jeune-homme de bonne famille, est pour un temps forcé de trouver un travail d'ouvrier dans une scierie, pour démarrer sa vie de famille. Cette expérience, intense et inoubliable, le fera devenir homme sous nos yeux, en seulement 140 pages.


« Tout ça me fait penser à un champs de bataille du douzième siècle. Ça devait faire le même bruit, ça devait être le même activité. Cette ambiance de bagarre est réelle. On a l'impression que l'équipe veut exterminer le bois, le hacher, le bouffer. Ici on ne pose pas, on jette, on lance. le moindre objet qui embarrasse est projeté n'importe où, au loin, à toute volée. Ici on ne se dérange pas pour pisser, on pisse où on est : les griffeurs sur leur chariot, le scieur à sa place, etc. Pas de temps à perdre. Jamais on s'arrête, car il faut fournir. »


Pierre Gripari écrira : « Son livre est bon parce qu'il est bien écrit ; il est bien écrit parce que le ton est juste ; et le ton est juste parce que le narrateur ne triche pas avec qui il est, ne cherche pas à séduire, ne ménage personne, et surtout pas lui-même. » Tout est exact. L'écriture, bien que virtuose, est aussi brute que le bois qui arrive dans les mains écorchées du narrateur. Ça la rend vivante. Des blessures, il y en aura et le lecteur ne sera pas épargné qui devra serrer les dents à la vue du sang, et ressentir dans ses chairs l'aiguille qui recoud ; La sueur mêlée de résine de pin, sur les torses musclés dont les veines semblent prêtes à éclater, fera tenir les bleus de travail debout ; les barbes rêches masqueront les rides précoces de nos bûcherons bourrus, qui iront au bout de leurs forces et de leurs ressources. Et s'ils repoussent leurs limites, c'est qu'il faut bien vivre, et qu'il n'y a pas de travail ailleurs. En plein hiver ici, le pôle d'emploi c'est la scierie : il faut produire, augmenter les cadences, faire le travail de quatre hommes, prouver sa valeur et se rendre indispensable. Jusqu'à l'écoeurement. Bienvenu dans la France des années 1950.


« Le déligneur, c'est Garnier. Spectacle ahurissant. J'ai d'abord l'impression qu'il est ivre, ou fou de rage. le déligneur titulaire de la place s'est fait enterrer par le scieur et ne peut plus fournir. Garnier a pris la place et lui fait voir comment on déligne. Ses gestes sont violents : il arrache la planche du tablier avec un rictus méchant, la place sur le petit chariot mobile, l'ajuste à la lame d'un coup d'oeil, et pousse dans la scie, à toute vitesse, le corps jeté en avant. A chaque trait, ses doigts passent à un centimètre de la lame. Il retire son chariot de toutes ses forces et jette les planches hors du hangar, à cinq mètres de lui. On a l'impression qu'il va bouffer chaque planche sur laquelle il met la main : il en bave, il en écume. Sa cadence est insensée. Inutile de s'approcher de lui, on prendrait un paquet de bois dans la gueule. Et on est en fin de journée ! Qu'est-ce que ça doit être au début ! »


J'ai lu la Scierie comme j'ai lu Germinal : Portée par le souffle de l'explosion du palpitant de cet anonyme et de ses descriptions vibrantes, souffrant avec les personnages, enrageant avec eux, trimant à leurs côtés ; espérant pour eux. C'est beau, c'est fort ; C'est touchant aussi, extrêmement. On aimerait les soutenir, plus que les personnages féminins du livre qui, il faut bien le dire, paraissent si peu à la hauteur. Oui, décidément, ce petit livre encore pas si connu et écrit par un anonyme ne peut se transmettre que de plume de babéliodruide à yeux de babéliodruide, autant dire d'un anonyme pseudo à d'autres pseudo-anonymes. Et c'est très bien comme ça. Une lecture qui fleure bon la sciure, la testostérone et les matins difficiles, mais qui rappelle avec force et courage la valeur du travail et des travailleurs.


« Ils ont tous l'air très méchant, mais, sous cette enveloppe, se cachent des coeurs qui rendent hommage au mérite et au courage. Eux seuls connaissent la valeur de l'effort, parce qu'ils sont habitués à souffrir. Ils ne savent pas tous lire, mais ils sont courageux, costauds, décidés. Ce sont des forts. »
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