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Hans Magnus Enzensberger (Préfacier, etc.)Françoise Wuilmart (Traducteur)
EAN : 9782070349494
400 pages
Gallimard (17/01/2008)
4.41/5   465 notes
Résumé :
Quatrième de couverture - La jeune Berlinoise qui a rédigé ce journal, du 20 avril 1945 - les Soviétiques sont aux portes - jusqu'au 22 juin, a voulu rester anonyme, lors de la première publication du livre en 1951, et après. A la lecture de son témoignage, on comprend pourquoi.
Sur un ton d'objectivité presque froide, ou alors sarcastique, toujours précis, parfois poignant, parfois comique, c'est la vie quotidienne dans un immeuble quasi en ruine, habité pa... >Voir plus
Que lire après Une femme à Berlin : journal, 20 avril-22 juin 1945Voir plus
Critiques, Analyses et Avis (89) Voir plus Ajouter une critique
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Éprouvante, glaçante, voici une lecture qui m'aura marquée au fer rouge. Ce témoignage lève le voile sur un chapitre méconnu et longtemps resté tabou de la seconde guerre mondiale. Sous forme d'un journal rédigé au jour le jour par une jeune berlinoise durant la période du 20 avril au 22 juin 1945, il retrace la chute du régime hitlérien et la prise de la capitale allemande par l'armée Rouge. 

***

Printemps 1945

Berlin est encerclé. le IIIème Reich vit ses derniers jours. 

“Oui, c'est bien la guerre qui déferle sur Berlin. Hier encore ce n'était qu'un grondement lointain, aujourd'hui c'est un roulement continu. On respire les détonations. L'oreille est assourdie, l'ouïe ne perçoit plus que le feu des gros calibres. Plus moyen de s'orienter. Nous vivons dans un cercle de canons d'armes braquées sur nous et il se resserre d'heure en heure.” 

La capitale est dévastée, éventrée par les bombardements successifs des Alliés. La population qui y réside encore, "tout le saint-frusquin dont ne veulent ni le front ni le Volkssturm”, tente désespérément de survivre. 

L'auteure décrit avec une minutie redoutable le quotidien des civils désormais entièrement livrés à eux-mêmes. du plus déroutant au plus tragique, la jeune femme ne fait l'impasse sur aucun événement. Terrés le plus souvent dans l'obscurité des caves, femmes, enfants, personnes âgées ou invalides, forment ensemble un microcosme souterrain. Tenaillés par la faim, réduits à une existence misérable dans des abris insalubres menaçant de s'effondrer à chaque instant, tous redoutent autant qu'ils espèrent la fin de cette guerre. 

L'arrivée en fanfare des troupes soviétiques scelle le sort des femmes. Sans défense, traquées telles des proies dans les moindres recoins de la capitale déchue, elles servent à satisfaire l'appétit insatiable des soldats victorieux. Un climat de terreur règne sur le champ de ruines berlinois.

“... ce qui nous gagne en permanence, c'est le sentiment d'être entièrement délaissées et livrées en pâture. Dès que nous sommes seules, le moindre bruit, le moindre pas nous terrorise.”

Les “Ivan” se livrent en toute impunité à des viols massifs, multiples et collectifs. Les faits rapportés offrent une déclinaison de l'abject échappant à tout entendement. Personne n'ose s'interposer par crainte des représailles. Seul appui, la solidarité "de circonstance" qui se développe parmi les victimes. 

Selon les historiens, entre avril et septembre 1945,  plusieurs centaines de milliers de femmes allemandes furent violées par les soldats russes. Une arme de guerre redoutable, effroyable…

Dans ce récit autobiographique aux allures de reportage, vous ne trouverez ni apitoiement, ni larmoiement, ni étalage de ressentiments. L'auteure fait preuve d'une étonnante distanciation vis-à-vis des évènements. L' écriture est précise, tranchante comme une lame, terriblement évocatrice. Seules quelques bribes de son journal laissent entrevoir l'étendue et l'intensité des souffrances endurées ainsi que la force de vie incroyable qui l'anime.

“(...) je me sens avilie, offensée, rabaissée au niveau d'objet sexuel.”

"Je n'ai encore jamais été aussi loin de moi-même,  ni aussi aliénée à moi-même. Comme si tout sentiment était mort au-dedans. Seul survit l'instinct de survie. Ce n'est pas eux qui me détruiront." 

La jeune berlinoise porte un regard acéré sur les petites lâchetés et grands manquements auxquels chacun s'abandonne lorsque pris dans la tourmente. Ses écrits témoignent des "stratégies" qu'elle-même a dû mettre en place pour pallier à l'horreur, aux sévices infligées et à la famine. Mue par un instinct de survie hors du commun, elle cherchera à obtenir la “protection” d'un haut gradé, d“un loup qui tienne les loups à l'écart", afin de se prémunir contre les agressions sexuelles d'autres soldats.  

Publié anonymement pour la première fois en 1954 aux Etats-Unis puis édité cinq ans plus tard dans sa version allemande, Une femme à Berlin s'est heurté à une grande hostilité. Au regard des atrocités nazies commises, les mentalités n'étaient pas prêtes à entendre la souffrance du peuple vaincu. S'y pencher pouvait sans doute être assimilé à des signes de complaisance voire de révisionnisme. L'ignominie des faits relatés et ce que cette guerre avait révélé de chaque Homme sans distinction doivent également pouvoir expliquer l'accueil glacial reçu. le temps apaisant les esprits, cet ouvrage a trouvé son public plusieurs décennies plus tard et notamment lors de sa réédition dans les années 2000. 

L'identité de l'auteure ne fut révélée que posthume en 2003. Elle s'appelait Marta Hillers (1911 - 2001). 

***

Un autre versant de l'horreur de la guerre
Parce que l'Histoire ne peut effacer
Un témoignage  nécessaire 



(Lu en décembre 2021)
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20 avril 1945, une femme à Berlin, une femme comme tant d'autres femmes berlinoises en cette période, vit l'incertitude et la douleur de la guerre, une guerre qui n'en finit pas, les hommes sont au front depuis si longtemps. C'est une guerre qui produit désormais ses effets dévastateurs contre le régime qui fut à l'initiative de cette Seconde Guerre mondiale, l'Allemagne du IIIème Reich et son régime nazi.
C'est une fin de guerre, l'agonie d'un régime aux abois qui livre ses derniers combats, comme un loup traqué, une bête plus dangereuse que jamais puisqu'elle sait sans doute déjà qu'elle a perdu la main sur son destin.
Les forces soviétiques encerclent la capitale allemande, pilonnent désormais celle-ci, les bâtiments, les parcs, les rues. Dans Berlin en avril 1945, qui a-t-il d'autres ici que des civils en masse ? Ce sont essentiellement des femmes, jeunes, moins jeunes, âgées, certaines sont veuves, d'autres n'ont plus de nouvelles de leurs époux combattant sur l'un des multiples fronts de cette guerre. Il y a ici des hommes aussi. Des enfants, des vieux. D'autres qui se cachent, ayant déserté, refusant la guerre...
Est-ce ainsi que toutes les guerres se ressemblent ?
Et puis il y a encore aussi quelques forces allemandes qui tentent de résister devant l'assaut de l'ennemi. Mais le ciel est paré de menaces qui vont s'intensifier pour devenir fatales.
Cette femme à Berlin, c'est une jeune femme d'une trentaine d'années qui commence à écrire son histoire, dans un abri souterrain, sur un cahier posé sur ses genoux. C'est elle qui nous parle et nous invite dans ce désastre. Elle s'est réfugiée dans un immeuble où ne vivent désormais quasiment plus que des femmes. Elles se connaissent et ont appris à mieux se connaître dans ce dernier épisode de la guerre, là dans cet abri souterrain lorsque les bombes tombent sur Berlin...
Du vendredi 20 avril au vendredi 22 juin 1945, cette jeune femme va transcrire ce qu'elle vit, ce qu'elle ressent sur de vieux cahiers d'écolier.
C'est une confession née au cours de journées et de nuits terrifiantes. C'est tout d'abord un acte d'écriture spontané, posé comme moyen de s'en sortir. Écrire pour survivre. Il est des choses que l'on ne peut oublier qu'en les exprimant. C'est comme un exécutoire, une catharsis.
Souvent, c'est la course entre l'immeuble et l'abri lorsque les sirènes sonnent.
C'est une vie misérable, dans la peur, le froid, la saleté et la faim, scandée par le bruit des bombes.
L'époux de la narratrice est parti sur le front depuis le début de la guerre en 1939. Elle ne l'a pas revu depuis. Elle sait qu'il n'est pas un nazi. Il appartient à la Wehrmacht. Elle sait bien que ce n'est pas pareil.
Lorsque le ciel s'éclaire, des soldats russes entrent dans la capitale, entrent dans les immeubles, entrent dans les appartements... Ils envahissent et habitent l'espace à leur façon.
Ces soldats russes vont s'installer dans la capitale, l'occuper, entrer en relation avec la population, lui faire du mal. Il y aura des viols, de l'oppression, de la souffrance. Ils vont commettre les pires exactions, la barbarie répondant à la barbarie... Ainsi il y aura notamment cette jeune fille de seize ans habitant l'immeuble dont l'existence ne s'en remettra sans doute jamais. Comment survivre après cela... ?
C'est une façon monstrueuse de faire la guerre lorsque l'ennemi qui s'oppose sur un territoire, ce ne sont plus que des civils, et parmi eux en majorité des femmes. Ces soldats russes vont profiter du pouvoir qu'ils ont sur cette capitale vidée de leurs hommes. Ce journal dit cela aussi.
Et puis...
Se faire violer dans les escaliers de son immeuble par deux soldats russes ivres de brutalité et de haine, puis ramper jusqu'à son appartement, respirer, retrouver tant bien que mal son cahier, son crayon, reprendre l'écriture de son journal...
Parfois une femme dit : « Peut-être que les nôtres font la même chose aussi à leurs femmes chez eux. » Une autre répond que non, les nôtres ne pourraient jamais faire cela...
Plus tard il y a des chroniques ordinaires, où vivre au côté de ces soldats russes devient presque une habitude dont on finit par s'en accommoder. Certains sont moins cruels que d'autres. Certains ont même des gestes tendres. Certains sont malheureux peut-être aussi dans cette guerre... Une amitié comme cela peut naître aussi...
Le journal continue...
Plus tard, des bruits courent déjà qu'Hitler serait mort... Impensable pour la plupart des habitants ici. Pourtant, certaines de ces femmes commencent à prendre cela comme une délivrance... À commencer par la narratrice...
Ce journal de cette femme allemande nous dit tout cela aussi.
Je me suis alors demandé comment ces femmes accueilleraient après la guerre la révélation de ce que fut toute l'horreur de la Shoah...
Ce texte est un mélange subtil de mots façonnés de ténèbres et de lumières, oscillant entre la dignité, le cynisme, parfois l'humour.
Ce texte n'implore pas la compassion. Il dit la vérité parfois abrupte, froide, détachée de toute émotion, la honte, la banalisation de l'effroi, mais aussi la vie et la manière de s'en accommoder avec un ennemi qui fait désormais partie du quotidien.
Dans ce journal, nous voyageons dans les méandres complexes de l'âme humaine.
Ce n'est pas une oeuvre littéraire en tant que telle et pourtant ce journal l'est devenu d'une certaine manière. Cela l'est devenu pour ma part en lisant ce journal qu'une bibliothécaire de ma médiathèque préférée m'a conseillé de lire. Je l'en remercie ici.
Il y a une vivacité d'écriture, il y a une qualité d'écriture aussi, ce sont des mots, des phrases griffonnées parfois à la hâte. Il y a une vie malgré tout qui se dégage de ces pages qui m'ont particulièrement touché en les lisant dans le contexte actuel.
Il y a une vie, on ne sait pas comment elle est là, elle tâche de résister, de reprendre forme. Pourtant derrière la froideur et le cynisme du texte, il y a de façon souterraine quelque chose qui tient à l'émotion, qui ressemble à de l'humanité. Qui en est bien sûr.
Survivre.
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Une femme à Berlin est le journal tenu par une femme retenue dans la capitale allemande dans les derniers mois de la seconde guerre mondiale alors que les troupes russes y font leur entrée. Kurt W. Marek, qui a été le premier éditeur de ce journal, évoque la froideur du témoignage qu'il avait eu sous les yeux.

Pensez donc ! Tenir un journal sous les bombardements, terrée dans la peur et la promiscuité des caves nauséabondes, le poursuivre quand son autrice est elle-même l'objet de viols par les vainqueurs du moment, bien décidés à faire endurer au peuple allemand ce qu'eux-mêmes avaient enduré. Poursuivre l'écriture de ce journal quand elle-même est sujette aux privations, la faim commandant au corps et à l'esprit, le faire dans pareilles conditions ne pouvait être possible qu'avec la ferme détermination de faire savoir et d'ouvrir son coeur à la postérité. Il fallait pour cela conserver un véritable détachement avec les événements et y trouver ce qu'elle dit elle-même - page 373 éditions Folio - « le seul fait d'écrire me demande déjà un effort, mais c'est une consolation dans ma solitude, une sorte de conversation, d'occasion de déverser tout ce que j'ai sur le coeur. »

Et s'il était encore nécessaire de redonner un peu de chaleur à ce témoignage pour l'alléger du ton journalistique qui est le sien, je citerai ce passage qui lui redonne une part d'humanité : « le plus triste pour une femme seule, c'est que chaque fois qu'elle trouve une sorte de vie de famille, elle dérange au bout d'un certain temps, elle est de trop, déplaît à l'un parce qu'elle plaît à l'autre, et qu'à la fin on l'expulse pour avoir la paix. Voilà tout de même quelques larmes qui viennent souiller ma page. »

Quelle force et volonté a-t-il fallu à cette femme, alors qu'elle venait de se faire violer dans les escaliers de son immeuble par deux brutes assoiffées de vengeance, pour vaincre sa honte, sa détresse, la haine de ses agresseurs mais aussi de ceux qui n'ont rien fait pour la secourir, quelle détermination a-t-il fallu à cette femme pour prendre son cahier, son crayon et écrire : « Je me suis redressée en prenant appui sur la marche, j'ai rassemblé mes affaires, me suis glissée le long du mur jusqu'à la porte de la cave. Sur ces entrefaites, on l'avait verrouillée de l'intérieur. Et moi : Ouvrez-moi, je suis seule, ils sont partis … Bande de salopards ! Deux fois violées, et vous claquez la porte et vous me laissez croupir là comme un tas de merde ! »

Page 337 : « Jamais, jamais un écrivain n'aurait l'idée d'inventer une chose pareille » Difficile à la fermeture de cet ouvrage d'écrire autre chose que ce qu'elle a écrit elle-même, en voulant garder l'anonymat. C'est pour cela que dans cette chronique, je ne ferai que citer trois autres passages qui m'ont particulièrement marqué :

Page 233 : « … je me demande ce qui parviendrait encore à me toucher, à m'émouvoir vraiment aujourd'hui ou demain. »

Page 310 : « Occasion de plus de constater que, quand tout s'écroule, ce sont les femmes qui tiennent le mieux le coup, et qu'elles n'attrapent pas aussi vite le vertige. »

Page 77 : « Dans les guerres d'antan, les hommes pouvaient se prévaloir du privilège de donner la mort et de la recevoir au nom de la patrie. Aujourd'hui, nous les femmes, nous partageons ce privilège. Et cela nous transforme, nous confère plus d'aplomb. A la fin de cette guerre-ci, à côté des nombreuses défaites, il y aura aussi la défaite des hommes en tant que sexe. »

Comment un tel détachement est-il possible, alors que toutes celles qui ont subi pareil sort s'enferme dans le silence de la dépression ? le viol n'était-il qu'une péripétie de la guerre, un dédommagement payé par les femmes au vainqueur en compensation des dommages subis par ce dernier du fait de celui qui était à l'origine de tout cela et que le peuple allemand a adoubé ?

Page 211 : « Et tout ça, nous le devons au Führer ».

Une femme à Berlin est un ouvrage à part. Parce que peu de témoins de tragédies comme celle-là ont eu la force de le noter dans des carnets au jour le jour. Même après le pire. Parce que cette femme témoigne sans s'exonérer, faisant partie du peuple allemand, d'une part de responsabilité de cette guerre, s'étant laissé embarquer sans en mesurer la portée par celui qui en était l'initiateur. Parce que cette femme conserve tout au long de son récit la plus grande pudeur et ne cherche surtout pas l'apitoiement. Parce que cette femme n'a pas voulu faire de ce journal une source de revenu. C'est un témoignage « gratuit » des horreurs de la guerre, laissé à la postérité. La postérité étant ces hommes et femmes qui constituent l'humanité, libres à eux d'en tirer les enseignements qu'ils jugeront bon de faire. Mais rien n'étant gratuit en ce bas-monde, c'est un témoignage qu'elle a payé avec ses souffrances et sa dignité.
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TW : Viols

Une femme à Berlin n'est pas une fiction. C'est le journal intime d'une journaliste berlinoise, tenu pendant l'occupation soviétique de la capitale allemande vers la fin de la guerre.

C'est le récit de la normalisation des viols quotidiens sur des dizaines de milliers de femmes. C'est une plume puissante qui réussit à être étrangement magnifique malgré les horreurs qu'elle raconte.

Certaines entrées du journal y sont inscrites quelques heures à peine après des événements traumatiques. le journal devient, au fil de l'écriture, un mécanisme de défense. C'est aussi les réflexions et les dilemmes de l'autrice.

Comme les jours passent, elle cherche la protection des hauts gradés Russes qui défilent dans la ville. Parce que, se dit-elle, mieux vaut être violée à répétition, doucement, par un seul homme, que de l'être brutalement par tous les soldats qui passent. Et puis, se dit-elle, si elle sélectionne, parmi ses agresseurs, ceux qui la nourriront, devient-elle malgré elle une "vulgaire" prostituée? Ou serait-ce que, finalement, il n'y a rien de vulgaire à la prostitution, et que toutes les prostituées mériteraient d'être respectées et protégées?

Elle nous plonge aussi dans des réflexions qui sembleraient contemporaines sur l'état de la masculinité. La masculinité a-t-elle causé, ou est-elle causée par le fascisme? La masculinité peut-elle survivre à la chute du nazisme? Sera-t-elle irrémédiablement changée ou se chargera-t-elle, dans quelques décennies, de ramener Hitler comme elle l'a fait pour Napoléon?

Aoutch.

Une lecture bouleversante.
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Il fallut cinq ans pour convaincre l'auteure de publier de façon anonyme ce journal paru initialement en anglais en 1954, puis en allemand en 1959.
L'accueil en Allemagne fut mauvais, jugeant ces propos d'une immoralité éhontée, ce qui incita la narratrice à refuser toute réédition.
Cette nouvelle parution datée de 2003, révéla Martha Hillers, une journaliste, deux ans après sa mort.

Berlin a été envahie par les troupes russes, les soldats, alcoolisés au schnaps, se vengeaient de ce que la population russe avait subi.
Il ne restait que les femmes, les hommes âgés et les enfants. le viol (vg pour vergewaltigung = viol dans le manuscrit) récurrent pouvait sévir au coin de la rue, de la cave, de l'appartement bombardé.
Dès lors, sans protection aucune, en mode pulsion de survie, l'heure était à la débrouille pour s'alimenter, pour les corvées d'eau, pour conserver des restes de féminité dans son habillement sous le joug et la pression des violeurs qui prenaient leur dû de vainqueurs !
Dans les conversations entre femmes revenait souvent : “combien de fois vous ont-ils…?”
La diariste fit le choix de se lier à un officier russe qui la protégeait des hordes de soldats enivrés, composant ainsi avec l'ennemi, elle note son meilleur moment : “Maintenant je n'ai rien, absolument rien à dire, si ce n'est que j'ai enfin pu passer la nuit seule”!

La littérature parle peu de cet épisode abject. D'un volk, les Berlinois sont devenus une bevölkerung = une population... aux abois.

Cette femme consigne un témoignage implacable qui nous interroge : comment aurions-nous fait ? alors qu'il n'y avait pas de bonne façon de faire.
“Qui a le droit, face à un tel destin collectif, d'invoquer des critères de moralité” nous dit Kurt Wilhem Marek qui a publié le manuscrit et conclut sa postface en parlant de cette femme à Berlin : “Elle ne s'est jamais abandonnée, tout en étant contrainte de s'abandonner aux autres”.
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Citations et extraits (93) Voir plus Ajouter une citation
Le lendemain matin, vers 10 heures, dans mon trois-pièces sous les toits. Nous sommes restés bloqués dans la cave jusqu’à environ 4 heures.
Puis j’ai grimpé seule là-haut. Je me suis réchauffé une soupe de betteraves sur le gaz toujours moribond, ai pelé quelques patates, ai cuit mon dernier œuf, plus exactement, je l’ai mangé à moitié cru, et je me suis ensuite aspergé tout le corps d’un reste d’eau de Cologne. Curieux le nombre de choses que l’on fait désormais pour la dernière fois, c’est-à-dire pour la dernière fois jusqu’à la prochaine qui aura lieu on ne sait trop quand, certainement dans très longtemps. D’où me viendrait un autre œuf ? Ou bien du parfum ? Je savoure donc ces plaisirs en pleine connaissance de cause, leur accorde la plus grande attention.
Après cela, je me suis glissée dans mon lit tout habillée, et j’ai dormi d’un sommeil entrecoupé de rêves agités. Maintenant, il faut que je parte faire des courses…
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Personne ne répond. La fille reste étendue, comme pétrifiée. Le Russe vocifère derechef, sur un ton à la fois bourru et furibard: "Quel âge?"
Je m'empresse de répondre en russe: "C'est une étudiante, elle a dix-huit ans." Je voudrais ajouter qu'elle est blessée à la tête; ne trouve pas les mots et m'en sors finalement en recouvrant au terme internationalement connu kaputt: "tête kaputt, les bombes"
Suit alors un aparté entre l'homme et moi, un échange de paroles précipitées, de questions et de réponses qu'il serait inutile de transcrire, parce qu'elles n'avaient pas de sens. Cela tournait autour de l'amour, l'amour vrai, de l'amour passionnel, et qu'il m'aimait, et si moi je l'aimais, et si on allait s'aimer lui et moi.
Le petit peuple de la cave, toujours terrorisé, ne comprend pas une once de ce qui est en train de se passer.
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A l'époque, je me faisais constamment la remarque suivante : mon sentiment, le sentiment de toutes les femmes à l'égard des hommes, était en train de changer. Ils nous font pitié, nous apparaissent affaiblis, misérables. Le sexe faible. Chez les femmes, une espèce de déception collective couve sous la surface. Le monde nazi dominé par les hommes, glorifiant l'homme fort vacille - et avec lui le mythe de l'"Homme". Dans les guerres d'antan, les hommes pouvaient se prévaloir du privilège de donner la mort et de la recevoir au nom de la patrie. Aujourd'hui, nous, les femmes, nous partageons ce privilège. Et cela nous transforme, nous confère plus d'aplomb. A la fin de cette guerre-ci, à côté des nombreuses défaites, il y aura aussi la défaite des hommes en tant que sexe.
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Dehors, c'est toujours la guerre. Notre nouvelle prière du matin et du soir est désormais : "C'est au Führer que nous devons tout cela." Phrase qui, pendant les années de paix, exprimait louanges et gratitude sur des panneaux peints ou dans les discours. Maintenant, et bien que la formulation soit restée la même, le sens est inversé, ne trahissant plus que mépris et dérision. Je crois que cela porte le nom de renversement dialectique.
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Nous sommes restées assises l'une en face de l'autre à sa table en cuivre et nous avons bavardé. Ou plutôt , nous avons parlé à tue-tête pour couvrir le vacarme croissant des tirs d'artillerie. Mme Golz, d'une voix cassée :" Quelles belles fleurs, quelles fleurs magnifiques...", et les larmes coulaient sur son visage. Moi aussi je me sentais horriblement mal. Maintenant la beauté fait mal. Tellement la mort nous emplit.
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A Woman in Berlin (Une femme à Berlin) Film complet en langue allemande. Sous titrage en anglais.
>Histoire de l'Europe>Europe Centrale>Région du Nord-Est (ex-RDA) (14)
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