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Critique de Eric76


« Et voilà. Sans la petite Antigone, c'est vrai, ils auraient tous été bien tranquilles. Mais maintenant, c'est fini. »
Un « « voilà » qui tombe comme un soupir désespéré, comme un couperet ; un « voilà » annonciateur de drames et de grands chagrins. Aussi, quelle emmerdeuse cette Antigone, cette « maigre jeune fille, noiraude et renfermée », cette petite garçonne au regard sombre qui inquiète et envoute ! Un mot, un geste, et la voilà qui bouleverse le bon ordonnancement du monde et des choses. Qu'est ce qui la pousse à toujours vouloir aller plus loin, à refuser de se contenter de ce qu'on lui offre, à dire non, toujours non ? Est-ce le refus obstiné de la médiocrité ? La recherche illusoire, impossible d'une certaine pureté ? Une force qui échappe à la compréhension des responsables, des réfléchis, des raisonnables ?
Face à son destin, Antigone dira non à la face du monde, non au roi Créon, non à la petite vie de femme aimante qu'on lui assigne, non à la foule haineuse, aux gardes veules, à l'homme qui l'aime, à toute sa famille. Elle préférera accepter la mort honteuse plutôt que de céder d'un pouce, contraignant le roi Créon à endosser dans cette histoire le mauvais rôle. Ce n'est pourtant pas un mauvais bougre, ce Créon. C'est un roi besogneux, un tâcheron sans envergure qui « s'emploie à rendre l'ordre de ce monde un peu moins absurde ». Il essaiera bien de la raisonner, il la suppliera même d'arrêter ses gamineries, mais face à son intransigeance, à ce feu intérieur qui la consume, il ne pourra rien faire et devra la mener à la mort, acceptant bravement de porter cette « plaie au côté, pendant des siècles ».
Il y eut une multitude « d'Antigone » qui ont traversé l'Histoire avec leurs étendards flamboyants. Des bonnes et des mauvaises « Antigone ». Parmi les bonnes, j'en retiendrai deux : Jeanne d'Arc et De Gaulle ! De Gaulle et son cri du 18 juin 40 lancé dans un immense désert : un non total, viscéral, échappant à toute raison.
La pièce fut jouée à Paris en 1944. Anouilh vint chercher l'Antigone de Sophocle, vieille de deux millénaires, pour magnifier la résistance face à l'occupant. Elle n'eut pas les effets escomptés. Les collabos applaudirent Créon, celui qui dit oui, qui « sue et retrousse ses manches, qui empoigne la vie à pleines mains et s'en met jusqu'aux coudes », tandis que les résistants vénérèrent Antigone et sa soif d'absolue, sa pureté, sa révolte incandescente.
Une pièce bien sombre, abandonnant ses acteurs au doute, à l'échec, aux regrets. Un récit intemporel comme je les aime, celle de l'individu contre l'état, contre un pouvoir arbitraire même s'il prend les traits d'un vieil homme débonnaire.
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