Il est des auteurs dont on sait qu'ils étaient destinés à n'écrire que dans un seul genre littéraire. C'est le cas
De Maupassant, qui s'est essayé à la poésie étant jeune et qui a vite compris que la prose, c'était mieux. C'est aussi le cas de Brassens qui, n'en déplaise à certains non-amateurs d'andouille de Guémené, a préféré se lancer à corps perdu dans l'univers de la rime plutôt que dans le roman. A ces grands hommes, on pardonnera aisément une erreur de jeunesse. D'autant qu'ils se sont bien rattrapés plus tard.
Bon. A part la moustache, quel rapport avec
Anouilh, me demandes-tu ?
Eh bien, c'est très simple.
On ne sait pas si c'est à cause d'un coup de soleil ou d'une indigestion de galettes-saucisses (très dangereux, hein), mais toujours est-il qu'un beau matin d'été, Tonton Jean se lève et se dit :
« Tiens, et si j'écrivais un roman d'espionnage avec un peu de cul dedans ? »
Bon, on est d'accord, c'est pas la meilleure idée qu'ait eu Jean. Mais bon, il s'y met. Il ne dit rien à personne, bien sûr. Il veut que ça reste secret. Quand on
lui demande ce qu'il écrit, il répond qu'il bosse sur un nouveau genre, rien de plus. Tu penses, il a moyen envie de rameuter sa femme. Tu imagines la tête qu'elle ferait si elle savait ce qu'il écrit vraiment ?
Au début, sa famille trouve ça bien. Elle ne pose pas trop de questions, il ne faudrait pas que Jean s'irrite, et trouve qu'en ce moment, il a bonne mine, il a l'air plus détendu, plus calme, plus reposé.
Et puis un jour, alors que Jean a presque fini son roman, voilà que son fils se ramène dans son bureau et, tout de go,
lui pose la question qui te fout des sueurs froides :
« Dis Papa, tu fais quoi ? »
(Le môme, je crois qu'il s'appelle Nicolas mais j'ai pas le livre sous le main et j'ai la flemme de chercher sur Wikipédia, donc on l'appellera Jean-Eudes.)
Jean devient blême – tu m'étonnes – et commence à paniquer. Surtout qu'à ce moment-là, Jean est en train d'écrire une sacrée scène érotique entre le héros et une jolie Turque dans une jeep, et il se dit que si Jean-Eudes voit ça, balance comme il est, ça va faire des histoires.
Alors Jean a une idée. Il ouvre le quatrième tiroir de sa commode – ce
lui où tu fous plein de truc en vrac dedans, on connaît bien, je fais la même chose.
Dans ce tiroir ? Des devoirs d'école de quand il était petit. Il sort au pif un vieux cahier tout corné. Des
fables qu'il a écrites en CM2. Et là, Jean sort son meilleur bobard :
« En fait, je me suis dit que j'allais republier des
fables que j'avais écrites quand j'avais dix ans. Tu veux en lire une ? »
Bon, le truc, c'est que Jean avait déjà une âme un peu polissonne à l'époque, donc il y en a une ou deux qu'il veut pas trop que Jean-Eudes tombe dessus.
Finalement, il en trouve une. Ça va, c'est l'histoire d'un chien qui pue et qui se fait lapider par des communistes.
Jean-Eudes, il est gentil, mais un peu con. Il lit la fable, et appelle sa mère pour
lui montrer ce qu'a écrit Papa. Jean panique un peu.
Maman, elle trouve ça plutôt cool. En même temps, Jean sort d'une dépression liée à la perte de Saint-Etienne face à Sochaux, donc du coup elle se sent un peu obligée de complimenter tout ce qu'il fait, tu comprends ?
Elle
lui demande s'il a déjà envoyé une première maquette à son éditeur. Jean bredouille, et dit oui.
La milliseconde après, Jean se maudit d'avoir dit oui.
Finalement, Jean publiera ces
fables qu'il a écrites quand il avait dix ans, ce qui explique la pauvreté de la rime, le nombre de pieds qui varie et la morale inutile quand elle n'est pas douteuse. Quant à son roman d'espionnage érotique, il est paru trois ans plus tard, mais sous un pseudonyme.
Comment ça, mon histoire ne te convainc pas ? Et qui te dit que ce n'est pas
Anouilh qui a écrit la série S.A.S, hein ?