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Critique de belcantoeu


Cette merveilleuse pièce à 22 personnages, tragique mais drôle, retrace le procès, à Rouen, de Jeanne d'Arc (c1412-1431) suivant les minutes de son procès, et sa condamnation au bûcher par le tribunal ecclésiastique présidé par l'évêque de Beauvais, le lâche Pierre Cauchon, sur pression de Warwick, lieutenant du roi d'Angleterre en France occupée. Jeanne est accusée d'hérésie (notamment de s'habiller en homme, contrairement aux lois de l'Eglise), mais le véritable motif, derrière le prétexte religieux, est politique, c'est celui de Warwick: «Venir nous faire ça à Reims, chez nous ?... Fort heureusement, Dieu est avec le droit anglais... Dieu et notre droit... Alors, dépêchez-vous de lui faire raconter sa petite histoire, et brûlez-la, qu'on en parle plus... Dans dix ans, tout le monde aura oublié cette histoire».
S'inspirant du cinéma, Anouilh entrecoupe le déroulé du procès de retours en arrière, ce qui permet aussi de faire tomber le rideau glorieusement, sur le sacre de Charles VII plutôt que sur le bûcher. La pièce commence avec Warwick: «Nous sommes tous là ? Bon. Alors, le procès, tout de suite. Plus vite elle sera jugée et brûlée, mieux cela sera».
La voix qu'elle entend, le promoteur y voit l'oeuvre du Diable: Jeanne aurait dû lui répondre «Vade retro Satanas». Tantôt naïve, tantôt provocante, mais toujours avec bon sens, elle répond simplement aux questions, et ici qu'elle ne sait pas le latin. Elle déjoue habilement les autres pièges, comme quand l'inquisiteur lui demande si elle est en état de grâce («Si je n'y suis, Dieu veuille m'y mettre; si j'y suis, Dieu veuille m'y tenir») ou quand il lui demande si Ste Marguerite et Ste Catherine, dans sa vision, étaient nues? («Messire, croyez-vous que Notre-Seigneur n'ait pas trouvé les moyens de payer des robes à ses saintes?».
Même le père de Jeanne est contre elle: «Pourquoi te parlerait-il, St Michel? Pauvre idiote. Est-ce qu'il me parle, à moi qui suis ton père? S'il avait quelque chose à nous dire, il me semble que c'est à moi, qui suis le chef de famille, qu'il se serait adressé... C'est aller avec les soldats que tu veux comme la dernière des dernières... Sauver la France? Et qui gardera mes vaches pendant ce temps-là... Je vais te l'apprendre, moi, à sauver la France» (gifles et coups de pied).
Un autre retour en arrière amusant est celui où Charles VII, sans le sou, est harcelé par sa reine et par sa maitresse Agnès Sorel:
«- Mais Charles, c'est inadmissible. Tu ne peux pas me laisser paraitre à ce bal fagotée comme ça,... Ta maitresse avec un hennin de la saison dernière. Tu penses bien que ce serait scandaleux.
– Et ta reine, Charles, la reine de France. Qu'est-ce qu'on dirait?
– On dirait que le roi de France n'a pas un sou, ce qui est exact».
La maitresse du cardinal de Winchester sera au dernier cri. Il faut rendre les Anglaises jalouse avec un nouveau modèle: «Elles ne vont plus en dormir, mon chéri... La mode de Bourges et notre cuisine, c'est avec cela que nous avons encore quelque prestige à l'étranger».
Le partage des rôles entre la reine et la maitresse est bien défini par la reine mère à la reine:
«Faites-lui un dauphin, et pour le reste, déchargez-vous de la besogne. On ne peut pas tout faire. Et puis, ce n'est pas un métier d'honnêtes femmes, l'amour... Regardez comme Charles est plus viril depuis qu'il connait Agnès. N'est-ce pas, Charles, que vous êtes plus viril»?
Le jour où Jeanne doit être reçue pour la première fois par Charles VII, celui-ci, pour s'amuser, installe un page sur le trône et se fond incognito dans la foule, mais à la stupéfaction générale, la Pucelle va à Charles VII dans la foule, et s'incline devant celui qu'elle appellera dauphin tant qu'il n'aura pas été sacré à Reims. Contre toute attente, elle arrive à transfigurer le peureux et faible Charles VII qui lui confiera le commandement de l'armée. Elle devait avoir un sacré charisme sur lui et les soldats.
Après une série de victoires, et le sacre de Charles VII à Reims reconquise, Jeanne est capturée en 1430 par les Bourguignons, et vendue aux Anglais par Jean de Luxembourg pour 10.000 livres. Pendant le procès, le faible Charles VII qui lui doit tant, la laissera tomber: «Mets-toi à ma place, Jeanne... ça, c'est de la politique, c'est sain ! Tu comprends?» - «Oui, je comprends».
Cauchon demande à Jeanne de se soumettre à l'Eglise, qui représente Dieu. Elle se soumet, abjure, revient sur son abjuration en nouvelle Antigone, et on prépare le bûcher, mais comme expliqué plus haut, la pièce se termine par le sacre, au son des grandes orgues, le destin de la France rejetant à l'arrière-plan le martyre de Jeanne qui sera réhabilitée en 1456 dans un nouveau procès qui ne lui rendra pas la vie, ni l'honneur à Cauchon.
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