Les femmes, l'amour et le sacré

La spiritualité islamique trouve sa synthèse théorique dans l'édifice construit par Ibn'Arabî.Penseur sunnite, Ibn'Arabî dispense un enseignement qui connaîtra sa postérité spéculative la plus féconde dans les élaborations de l'islam shî'ite.Pièce maîtresse dans l'histoire du soufisme, son oeuvre, plurielle et déroutante, prend une forme synthétique dans un écrit majeur, promis à de nombreux commentaires: Les Gemmes des sagesses des prophètes (Fusûs al-Hikam).Dans cet ouvrage, quelque chose qui touche à la philosophie s'énonce et fait signe, toutes choses égales par ailleurs, vers l'auteur de l'Ethique, Spinoza: tout commence par Dieu, par une méditation serrée de la nature de l'Etre divin.

Méditant le processus de la théophanie, Ibn'Arabî fait une place essentielle à quelque chose qui s'apparente à un Principe féminin primordial.(...)
En tant qu'elle se révèle et se manifeste, la divinité comporte nécessairement une double dimension active et passive.L'Etre divin, en libérant les Noms qui le constituent et le définissent de leur état d'occultation, est actif.C'est par son action qu'adviennent les existants, c'est-à-dire les différentes formes qu'investiront les Noms pour acquérir une réalité effective.L'action divine correspond à l'acte de création et désigne ce qu'il convient d'appeler le dieu Créateur.
Mais alors même qu'elle est active et fait advenir à l'être la totalité des essences éternelles portés par les Noms divins, la divinité est passive, puisqu'elle se fait la substance des formes qu'elle fait exister et dans lesquelles elle se contemple.(...)
La passivité divine découle de la théophanie, c'est-à-dire de la dimension apparente de Dieu.elle désigne ce qu'il conviendrait d'appeler le Dieu crée.

La spiritualité sunnite fait de Marie le prototype ou l'image parfaite du principe féminin cosmique.Ibn'Arabî, son meilleur représentant, conscre de nombreuses réflexions au "couple" que constituent Marie et Jésus, lequel est toujours désigné par une périphrase consacrée: "fils de Marie".Il médite la situation exceptionnelle que configure ce couple, où un être masculin est enfanté par un être féminin sans la médiation d'un existant actif et masculin.Il en déduit que Marie porte en elle les deux principes masculin et féminin nécessaires à l'enfantement.Marie est la typification sensible accomplie de la double structure active et réceptive qui anime la divinité.

Figurant successivement et parfois conjointement la divinité, la pureté et la beauté, la femme inspire dans l'ordre du sacré une vénération et une adoration que l'on retrouve dans les trois religions du Livre, le christianisme, l'islam, le judaisme, mais aussi dans l'hindouisme, le bouddhisme ou le taoisme, et autant d'oeuvres d'art.Bien avant qu'elle ne devienne, selon le mot d'Aragon, "l'avenir de l'homme", ces représentations témoignent de ce que la femme est depuis le plus lointain passé et sur les cinq continents une source majeure de son inspiration.

La conviction fondamentale d'Ibn'Arabî rompt avec les conceptions abstraites de Dieu, celles que dispensent les théologiens et les philosophes de métier.Elle se construit sur une herméneutique du Coran et veut tirer tous les enseignements de la Révélation.Celle-ci, dans le même mouvement où elle soutient les représentations d'un Dieu absolument transcendant et inconnaissable, affirme que Dieu est "Lumière", qu'Il est "le Caché" et "l'Apparent".Il s'agit pour Ibn'Arabî de penser cette réalité paradoxale qui veut que Dieu soit à la fois transcendant et immanent.La notion centrale de tajallî ilâhî, que nous traduisons littéralement par le mot "théophanie", vient satisfaire cette exigence, en conciliant le principe d'un Dieuu caché avec l'idée d'une révélation qui est une manifestation.