" J'imagine que si Benedetto Orfei était devenu pape, et que l'idée de son hérésie ne lui eût été inspirée qu'à ce moment, il se serait au contraire servi du dogme de l'Infaillibilité pour obliger les catholiques à croire dans sa doctrine, que nul n'aurait alors niée sans être hérétique."
("L'Hérésiarque")
Guillaume Albert Vladimir Alexandre Apollinaris de Kostrowitzky...
Toute le monde connait au moins un poème, ou se souvient de l'un de ses calligrammes. En ce qui concerne ses oeuvres prosaïques, il me semblent moins connus, et pourtant...
Ces 16 contes merveilleux et fantastiques (1902-1910) sont amusants et font bien réfléchir.
Durant ma lecture, j'ai beaucoup pensé à Poe, de L'Isle Adam; mais surtout à Schwob et Borges. Mais là où Borges aborde les thèmes philosophiques et les questions sur l'immortalité avec un regard universel, Apollinaire le fait à travers la morale chrétienne. Sans être pourtant son défenseur, bien au contraire - parfois je me demandais s'il ne prétend pas lui-même au titre d'un Grand Hérésiarque... ?
On rencontre des nombreux personnages en marge des normes qu'on dit "acceptables" - prêtres hérétiques, faux prophètes, assassins, alchimistes fous, artistes illuminés - parfois on est dans le fantastique, parfois dans le burlesque, parfois dans les traditions folkloriques tellement encrées, qu'elles font presque office de loi.
"Le passant de Prague" ouvre le recueil et donne le ton. le narrateur fait la rencontre de Juif Errant dans les rues de la capitale au coeur d'Europe, pour engager une conversation troublante : est-il possible de créer les liens avec quelqu'un ou quelque chose quand on est immortel ? Est-ce seulement la peine, ou vaut-il mieux rester en "observateur" ? Quelle est la "vraie" religion et la "vraie" rédemption ?
le thème de la rédemption est abordé à nouveau dans ce conte cruel qui est "Le Juif latin". Il n'est pas condamnable de passer la vie dans la débauche la plus totale; l'important est de se convertir et d'obtenir l'absolution à temps ! Encore faut-il trouver quelqu'un qui consente de vous l'accorder; et ce ne serait surement pas Apollinaire, même si... difficile à dire; les faits sont présentés, et au lecteur de trancher, selon ce que son coeur lui dicte !
Dans "L'Hérésiarque", Apollinaire se penche sur la contradiction entre le dogme et la morale : à quel moment on s'éloigne - de quoi, exactement ? Des dogmes, ou de la foi ? - pour être qualifié d'un hérétique ?
Mais vous constaterez que les hérétiques peuvent vivre dans l'opulence et profiter de leur hérésie.
Vous verrez Simon le Magicien défier St. Pierre.
Vous apprendrez qu'avec le Christ étaient aussi crucifiés le Père et le Saint Esprit, ou que vous pouvez disparaître dans un mur.
Qu'on peut se trouver aux plusieurs endroits à la fois, ce qui peut s'avérer très pratique, et que l'immortalité tue...
Faut-il vraiment faire des rencontres aussi étranges, pour réaliser ce que nous sommes ?
"La vérité est que l'Hérésiarque était pareil à tous les hommes, car tous sont à la fois pécheurs et saints, quand ils ne sont pas criminels et martyrs."
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Des historiettes, basées dur les livres qui ont fait le christianisme et le judaïsme, mais aussi un folklore juif d'Europe de l'est.
Les textes étant très courts, le terme nouvelles est peut-être inapproprié, la lecture est très plaisante, bien sûr ce qui paraîtrait léger et inconsistant prend une merveilleuse tournure avec le talent du conteur et de l'écrivain.
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Un prêtre qui avait beaucoup connu Benedetto Orfei, et qui avait souvent essayé de lui faire abjurer ce que les catholiques appelaient ses erreurs, m'a raconté la fin de l'hérésiarque.
Il mourut, à ce qu'il sembla, des suites d'une indigestion, mais son corps fut trouvé tout couvert de plaies résultant des tortures qu'Orfei s'imposait; si bien que les médecins hésitèrent à attribuer son décès à sa gourmandise ou à ses mortifications.
J'insinuai :
- Vous exagérez peut-être. Je vous crois trop imbu de certaine littérature. Mais, prenez garde, la mort vient comme un voleur, à pas de loup, à l'improviste, et si j'avais ce bonheur d'être croyant, j'ajouterais que l'enfer est pavé de bonnes intentions. Au fait, quels livres lisez-vous ?
- Cela vous intéresse-t-il ? Voici ma bibliothèque; elle est édifiante.
Il sortit de sa poche deux livres fatigués, que je pris. Le titre du premier bouquin était : Catéchisme du diocèse d'Avignon; celui du second : Les vampires de la Hongrie, par Dom Calmet.
("Le Juif latin")
Le passant de Prague, Le Sacrilège, Le juif latin, L'Hérésiarque, L'infaillibilité, Trois histoires de châtiment humain
Poésie - Les sapins - Guillaume Apollinaire