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Critique de oblo


oblo
15 février 2019
Livre reçu grâce à l'opération Masse Critique.

C'est dans une très belle édition des Belles Lettres, très agréable visuellement par la qualité du papier et la sobriété de la couverture, que nous parvient l'une des très rares épopées antiques nous étant parvenue. Les Belles Lettres offrent, c'est déjà un atout, un grand confort de lecture ainsi que de précieuses notes et cartes qui éclairent le texte. La préface se révèle également très intéressante.

Il convient, comme le fait Apollonios de Rhodes, de rappeler les faits. Phrixos a été accueilli en Colchide après avoir fui la Grèce. Il y est arrivé, monté sur le bélier Chrysomallos à la toison d'or, qu'il a sacrifié ensuite en l'honneur du roi Aiétès). Bien plus tard, par crainte de la réalisation d'une prophétie, le roi d'Iolcos, Pélias, envoie Jason et ses compagnons dans une quête impossible : se rendre maîtres de la toison d'or.

C'est donc le récit de ce voyage que fait Apollonios.
Pour cela, il choisit le genre de l'épopée, chant long et poétique qui célèbre un haut fait ou un exploit. le genre a plusieurs contraintes. La première, c'est la comparaison, forcée dans l'esprit des Grecs, avec les épopées homériques : l'Iliade et l'Odyssée. Monuments culturels indépassables pour les Grecs de l'époque, ces récits contribuent à faire des Argonautiques ce qu'ils sont dans leur forme. Les auteurs grecs se devaient aussi de respecter le cadre littéraire et culturel de l'épopée : pour que les auditeurs ou lecteurs s'y retrouvent, ils ne devaient pas changer le prétexte, les personnages ou les péripéties. Ainsi le mérite de l'auteur est-il de faire du neuf avec de l'ancien. La prouesse littéraire ne tient pas tant au fond qu'à la forme : l'histoire est connue de tous et, pourtant, elle doit surprendre. L'épopée met en scène des héros, au sens littéral, c'est-à-dire des enfants issus de l'union de dieux et de mortels. Par ce fait, ils sont d'excellents guerriers. Dans leur quête aux confins du monde (la Colchide se situe dans la région du Caucase), ils sont aidés par les dieux (Athéna aux Symplégades et Héra, tout au long de l'aventure) ou bien mis à rude épreuve par eux (par les Harpies, entre autres, ou par Zeus lui-même). Les héros sont aussi humains : ainsi Jason montre-t-il ses doutes et il paraît parfois effrayé : soit par les récits qu'il entend, soit par les épreuves qu'il a à subir. Ces héros apparaissent ainsi profondément humains, confrontés qu'ils sont à une tâche immense et insensée (se rendre au bout du monde arracher à des peuples barbares un objet d'une grande valeur) qu'ils accomplissent, non sans efforts ni sans peines (la mort de Tiphys ou l'abandon d'Héraclès).

Il est à noter que ces héros précèdent les héros homériques (Achille, d'ailleurs, assiste bébé au départ des Argonautes). Ils portent des noms célèbres : Jason, Héraclès, Pélée, Argos, Orphée ... La filiation entre les Argonautiques et les épopées homériques se remarque, d'ailleurs, dans le chant IV : celui-ci a des allures d'Odyssée lorsque Zeus, irrité du meurtre d'Apsyrtos, frère de Médée, décide de perdre les héros sur le chemin du retour, les emmenant jusqu'au Rhône et au rivage ligure. de plus, comme Ulysse, Jason et les Argonautes rencontrent la sorcière Circé, sans que cela, cependant, ne leur porte préjudice.

Comme dans l'Odyssée, le voyage est une manière d'explorer la mythologie grecque. On voit apparaître Chiron, le centaure, fruit des amours de Cronos et de Phylira, on entend les hurlements de douleur de Prométhée enchaîné au Caucase et dont le foie est quotidiennement dévoré par un aigle, on redoute les Amazones, on apprend la légende de Deucalion, fils de Prométhée et bâtisseur des premières cités De Grèce. Ce récit est aussi une revue ethnographique des peuplades du monde grec, depuis le Pont jusqu'à la Colchide en passant par la Sicile et la Libye. Apollonios convoque des peuples réels ou légendaires (ainsi les Amazones, mais aussi les Macrons, les Chalybes ou les Mariandynes), ce qui rappelle un peu, d'un point de vue littéraire, le catalogue que dresse Tacite dans sa Germanie. La géographie, si elle n'est pas toujours exacte (ainsi dans le chant IV, lorsque Apollonios évoque l'Occident), montre toutefois l'étendue des connaissances des Grecs dans ce domaine. Apollonios ne s'arrête pas là. le récit est pour lui l'occasion de rappeler l'origine de telle cité ou de telle tradition.

Là où Apollonios de Rhodes étonne, et encore aujourd'hui, c'est dans le style de sa narration, très romanesque et linéaire avec un début, un milieu et fin. Les Argonautes sont accueillis avec hospitalité ou méfiance par de nombreux peuples, ce qui constitue les péripéties : ainsi dans le chant I, ils sont d'abord accueillis avec enthousiasme par le roi des Dolions à Cyzique ; mais la nuit, alors qu'ils sont repartis sur mer, une tempête les contraint à aborder de nouveau à Cyzique. Croyant que ce sont là les Fils de la Terre, des géants mal intentionnés à leur égard, les Dolions attaquent les Argonautes et se font décimer. Dans le chant II, les Argonautes recueillent les fils de Phraxos dont le bateau a été brisé par une lame, sur l'île d'Arès. C'est grâce au présage du divin (et aveugle) Phinée que les Argonautes s'étaient arrêtés sur cette île pourtant hostile, gardée par des oiseaux aux plumes acérés.

Plus loin, ce sont Héra et Athéna qui imaginent le stratagème qu'utilisera Jason pour rapporter la toison d'or. En fait de stratagème, c'est l'amour que Médée va porter au héros qui va lui permettre de réussir sa mission. En réalité pour Héra, Jason et Médée sont les instruments de sa vengeance contre Pélias, qui l'a offensée en lui refusant des sacrifices. Car Médée, arrivant en Grèce, sera à l'origine de la mort de Pélias. le fait que Jason parvienne à s'emparer de la toison d'or démontre son habileté de héros : habileté par les mots, lui qui séduit Médée (lui promettant le mariage, peut-être surpris par la violence des sentiments de la jeune femme), habileté par les actes, lui qui soumet les taureaux au souffle de feu et vainc les soldats nés de la dent d'un dragon. le héros est fort, certes, mais il est avant tout porté par sa destinée : Jason accepte les épreuves (celle de Pélias, celle d'Aiétès) sans réellement que l'on distingue, dans ces acceptations, la marque de sa volonté : c'est là aussi l'une des caractéristiques propres des récits antiques, de l'épopée à la tragédie. le chant IV conte le retour. On pourrait penser que, par imitation, par hommage, et non par comparaison, Apollonios de Rhodes impose à ses héros un retour difficile, tel qu'Ulysse en connaît dans l'Odyssée. Toutefois, les épreuves traversées par les Argonautes (poursuivis par les Colques, malmenés par Zeus, pris au piège en Libye) ne sont pas à la hauteur de celles traversées par le roi d'Ithaque.

Si Les Argonautiques sont une aventure épique, ils sont aussi une histoire d'amour (c'est l'amour qui éloigne Héraclès de ses compagnons et c'est l'amour qui rapproche Jason et Médée et permet la réussite de la quête). Si Jason et Médée figurent le couple de jeunes gens facilement impressionnables, leur union s'annonce aussi funeste : ainsi en est-il du meurtre d'Apsyrtos. Ainsi Les Argonautiques ouvrent-ils la voie non seulement vers la Colchide, vers aussi vers les récits homériques et les tragédies grecques : de Médée à Achille en passant par Ulysse, ils sont nombreux les personnages et les oeuvres convoqués dans ses chants par Apollonios de Rhodes.
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