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Critique de thedoc


Aharon Appelfeld est l'un des plus grands écrivains juifs de notre temps. Pourtant, il a toujours refusé avec énergie le statut d'« écrivain de la Shoah » dont on a voulu l'affubler. Dans les livres sur la Shoah, « Histoire d'une vie » occupe donc une place particulière... ou aucune.
Né en 1932, à Czernovitz, en Bucovine (alors rattachée à la Roumanie) d'une famille de la petite bourgeoisie juive germanophone, l'écrivain a connu le pire : le durcissement du régime, l'exil dans le ghetto et la déportation avec son père Michaël (sa mère, Bounia, a été assassinée au tout début de la guerre en 1940) vers un camp de concentration ukrainien d'où il parvient à s'échapper quelques mois plus tard. Pendant trois ans, il va survivre dans la forêt où il se cache et trouver refuge durant l'hiver auprès de paysans à qui il dissimule ses véritables origines, gagnant de la nourriture contre un peu de travail.
Mais l'expérience traumatisante du camp, Aharon Appelfeld ne nous la décrit pas dans ce livre, contrairement à nombre d'autres rescapés de la Shoah. Lui se concentre sur l'avant et l'après : son enfance en Bucovine et sa vie d'adulte en Israël. de cette manière, le lecteur suit très clairement le long cheminement de l'écrivain, en sachant ce qu'il a perdu et comment il a dû se reconstruire une vie.

Ce qu'il a perdu tout d'abord, c'est sa famille et sa langue. L'auteur insiste longuement sur les nombreux langages qu'il pratiquait enfant : l'allemand, sa langue maternelle ; le yiddish, parlé par ses grands-parents paysans et pratiquants ; le roumain imposé par le gouvernement ; puis le ruthène suivi de l'ukrainien dans ses années de fuite. D'autres dialectes sont également mentionnés… Ce problème de la langue est un des thèmes majeurs du livre. Quand il arrive en Israël en 1946, il doit s'approprier encore une nouvelle langue, celle qui apparaît comme devant être sa nouvelle « langue maternelle » : l'hébreu. Toutes les autres, il doit les oublier : « Ce que j'avais possédé – les parents, la maison et ma langue maternelle – m'était perdu pour toujours, et cette langue [l'hébreu] qui promettait d'être une langue maternelle n'était rien d'autre qu'une mère adoptive. » En Palestine, où il passe d'un camp de jeunesse à une école agricole avant de faire son service militaire, il tient un journal qui exprime toute la difficulté et la douleur de se familiariser avec une langue « obligatoire » pour qui il ne ressent aucune affinité. Les rescapés de la Shoah doivent avant tout renaître comme Juif et cela passe tout d'abord par l'étude et le maniement de l'hébreu. Appelfeld doit surtout faire le deuil de sa langue maternelle – image même de sa mère - et pour l'écrivain, il s'agit d'un véritable déchirement. « Ma langue maternelle et ma mère ne faisaient qu'un. A présent, avec l'extinction de la langue en moi, je sentais que ma mère mourait une seconde fois." Heureusement, ses années d'étude lui permettront de renouer avec le yiddish, autrefois parlé par ses grands-parents, et de rencontrer des personnalités de la culture judaïque, écrivains et professeurs, qui l'aideront à fabriquer sa propre expression.

L'autre thème majeur de ce livre est bien sûr la mémoire. A travers la volonté de préserver sa langue originelle, on comprend bien qu'Aharon Appelfeld veut conserver la mémoire des siens. Mais au-delà de la langue, ce sont de simples sensations qui le transportent des années en arrière. Une odeur ou un bruit, tout est propice pour le ramener dans le ghetto, le camp ou la forêt. Menus détails ou lambeaux de souvenirs nous font partager son périple où les anecdotes sont nombreuses.

C'est enfin dans un style épuré et posé, dans une écriture simple, que l'écrivain évoque ces années de souffrance et de reconstruction. Entre sa nouvelle vie en Israël et son passé d'enfant juif rescapé des camps, il tente d'établir un lien que la réflexion sur la (ou les) langue(s) peut lui procurer. Allemand, yiddish, hébreu,… l'important pour lui est de trouver son identité et préserver son histoire personnelle. Avec « Histoire d'une vie », nous ne lisons pas un livre sur la Shoah mais un livre tout en retenu sur l'histoire d'un homme, Aharon Appelfeld.

Un très beau livre qui offre une belle réflexion sur le lien qui unit langue et identité.
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