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EAN : 9782232122149
139 pages
Editions Seghers (15/02/2002)
4.12/5   683 notes
Résumé :
A la gloire de la femme aimée, Aragon, le dernier poète courtois, a composé ses plus merveilleux poème " Ma place de l'étoile, à moi, est dans mon cœur, et si vous voulez connaître le nom de l'étoile, mes poèmes suffisamment le livrent. " Pétrarque a chanté Laure, Ronsard Hélène, Lamartine Elvire, c'est à Elsa qu'Aragon donne ses poèmes qui sont au nombre des plus beaux chants d'amour qu'un poète ait écrits.
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Lorsqu'on ne connaît pas grand-chose à l'art de la versification, le mieux encore est de parler avec son coeur.
Dans « Les yeux d'Elsa » de Louis Aragon (1897-1982), nombreux sont les poèmes qui parlent au coeur.
Mais n'est-ce pas la vertu première de toute poésie, d'imprimer un mouvement de l'âme, un vibrato profond sous le souffle des mots ?
Lire « Les yeux d'Elsa » c'est comme entendre une mélodie douce, languide et langoureuse, comme une eau cristalline qu'on boirait à sa source.
Les mots parlent d'Elsa bien sûr ; Elsa Triolet, elle-même écrivain et femme idolâtrée, muse enchanteresse, compagne au quotidien de l'homme et du poète.
Les vers d'Aragon sont tout empreints de cet amour puissant, sincère et absolu : « Tes yeux sont si profonds qu'en m'y penchant pour boire, j'ai vu tous les soleils y venir se mirer », « Moi je voyais briller au-dessus de la mer, les yeux d'Elsales yeux d'Elsales yeux d'Elsa ».
Mais derrière ces magnifiques vers dédiés à l'être aimé, se love un autre amour, celui-là partisan, c'est celui de la France alors agenouillée sous le poids allemand.
Le recueil fut écrit entre 1941 et 1942, pendant la Seconde Guerre Mondiale : « on trouvait parfois au fond des ruelles, un soldat tué d'un coup de couteau ». La France est alors occupée, Paris est occupée, « reverrons-nous jamais le paradis lointain, les Halles, l'Opéra, la Concorde et le Louvre ».
Pour Aragon, l'engagement passe aussi par la poésie, si bien qu'il n'aura de cesse de dissimuler au détour de ses strophes, sa tristesse devant la débâcle d'une France accablée, endeuillée et contrainte à l'exode.
« Les yeux d'Elsa » sont donc chargés de cette part d'Histoire, à laquelle vient également se greffer le souvenir de la Première Guerre et la splendeur passée de la France d'antan.
Et c'est cela aussi qui donne cette dimension particulière au recueil.
Les images, les symboles affleurent à chaque rime, comme en code caché, les deux amours s'y confondent, celui de la France, celui d'Elsa, enchanté et vibrant lorsqu'il s'agit de la femme, douloureux et poignant lorsqu'il s'agit de la patrie mais toujours abritant une part de tristesse, « France et Amour les mêmes larmes pleurent, rien de finit jamais par des chansons ».

Aragon sait si bien manier les mots et la langue, que ses poèmes revêtent une multitude de formes et d'aspects.
Déclinés en alexandrins, octosyllabes, sonnets ou quatrains, à la manière classique des romantiques du XIXème siècle ou à la façon des poèmes courtois des chevaliers du Moyen-âge, aucun genre poétique ne lui est inconnu et tout est substance à expérience ; « Il n'y a poésie qu'autant qu'il y a méditation sur le langage, et à chaque pas réinvention de ce langage. »
Le poète joue avec les mots, leur imprimant torsion, distorsion, déformation, pratiquant la flexion et l'inversion, créant des brisures et des césures tout à fait originales et nouvelles avec la volonté de « briser les cadres fixes du langage ».
Le mouvement surréaliste auquel il a appartenu le porte naturellement à user des images, des métaphores et des symboles, véritables et merveilleuses trouvailles, à la fois élaborées et raffinées mais toujours empreintes d'une fluidité gracieuse et émouvante.
L'ensemble forme des poèmes mouvants, libres, ondoyants, musicaux.
Le mieux serait sans doute d'être assisté d'un professeur pour nous révéler toutes les subtilités et tous les artifices de la poésie d'Aragon. La présente édition, agrémentée de textes en prose de l'auteur et d'une postface signée Lionel Ray, nous en apporte toutefois un éclairage intéressant et bienvenu.
Pour le reste, laissons-nous simplement porter par ces vers magnifiques qui sont autant de chants et romances d'amour.
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N'avez-vous jamais eu envie de chavirer dans les yeux de l'être aimé ? de vous y perdre, de vous oublier ?
Mais que seraient les yeux sans les mains, que seraient les mains sans des gestes d'offrande ou d'amour. Oui, je sais bien, parfois les mains peuvent faire mal aussi.
Que seraient les yeux sans ce coeur qui aime, qui espère ?
Que serait ce coeur sans ce corps qui attend ?
Les Yeux d'Elsa m'ont fait du bien en lisant ce recueil pour la première fois. Bien sûr je connaissais le célèbre poème éponyme de Louis Aragon, mais pas l'ensemble du livre.
Nous frôlons des oiseaux, merles, mésanges, passereaux, rouges-gorges, chardonnerets, ceux que j'aime côtoyer du regard parmi les ramures d'ici, les ailes me sont venues juste peu après avoir lu ces vers.
Je me suis posé sur un arbre, j'ai contemplé le monde. C'est la poésie qui me donne cette légèreté, cette sensation d'apesanteur. Et Aragon a ce pouvoir magique de me donner des ailes.
Un oiseau blessé traverse le paysage des pages, j'ai l'impression de lui ressembler. Comment a-t-il fait, Aragon, pour deviner cela, ce qui trottait dans ma tête comme un moineau ?
Les mots d'amour s'entrelacent ici avec le désir, la jalousie et la guerre, comme si tout ceci appartenait à la même histoire. Sans doute que c'est cela, une même histoire capable d'emporter tous les désirs, toutes les passions jusqu'au point de vouloir survivre lorsque la haine survient avec ses outrages et ses guerres.
Se perdre dans les profondeurs des yeux d'Elsa. Aimer ces yeux, c'est une invitation au voyage, à la dissidence, à la résistance...
En lisant Les Yeux d'Elsa, j'ai pensé à ma mère qui avait aimé pendant la guerre, je me suis demandé si, à chaque fois qu'elle quittait celui qu'elle aimait et qui fut fusillé par la Gestapo, elle photographiait ses yeux d'un battement de paupières, imaginant qu'elle le voyait, l'étreignait peut-être pour la dernière fois...
Une chanson parfois traverse ces poèmes comme un courant d'air.
L'écho des chars vibre parmi le battement d'un coeur qui aime. Comment ces deux bruits peuvent-ils se réunir dans l'harmonie d'un vers ?
Ce soir en écrivant cette chronique, j'ai pensé à une autre guerre actuelle là-bas tout près de chez nous, à trois heures d'avion de Paris. J'ai imaginé qu'un soldat ukrainien plongé dans la boue d'une tranchée, défendant sa patrie coûte que coûte, attendant l'ennemi russe en face, écrivait une lettre d'amour à celle aimée demeurée à un autre endroit du pays, pensant à ses yeux, tenait debout grâce à cela, grâce à des yeux aimés, aimants...
« La beauté d'aujourd'hui porte de sombres fleurs
Et parle du soleil avec les yeux fermés. »
Des yeux d'Elsa, il n'y a qu'un pas, une passerelle, un chemin pour aller jusqu'à son corps. J'ai imaginé un instant être Elsa, mon corps ébloui couvert des mots de son amant. J'ai imaginé ses mots capables de déshabiller Elsa, capable de caresser son corps, de l'étreindre, de lui offrir une joie intense, immense...
Elsa, son corps présent et absent dans les bras de celui qui écrit cet amour, tandis que la guerre gronde au loin.
« Aucun mot n'est trop grand trop fou quand c'est pour elle. »
Je suis presque jaloux d'Aragon, j'aurais tellement voulu être celui qui le lui aurait dit le premier.
La peur de perdre celle qu'on aime.
Elsa, ce sont des yeux de femme, des yeux d'enfant, des yeux aimants, aimés.
Les Yeux d'Elsa, ce sont aussi des larmes, océan rempli de cette eau qui s'y déverse.
Coudre, découdre les mots, les phrases.
Le ciel à qui l'on parle devient à portée de mains.
Des ombres aux pieds d'argile s'entremêlent à ces mots.
Ephémères, fragiles.
Les mots de la poésie d'Aragon me rendent ivres sans alcool.
Les Yeux d'Elsa n'est pas un mythe infranchissable. Il suffit de regarder l'autre que l'on aime et de s'y plonger.
« Neige qu'on voit en plein mois d'août ».
Ces vers, je les ai aimés.
C'est un chant d'errance.
J'ai été envoûté par Les Yeux d'Elsa, leurs cillements qui trouent les ténèbres.
J'ai aimé Elsa et ses yeux. J'ai aimé découvrir le monde, ses ruines, ses espérances, à travers Les Yeux d'Elsa.
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Des Yeux d'Elsa je connaissais - et aimais - certains poèmes, en particulier bien sûr le premier, si beau, qui donne son titre au recueil. Vous vous souvenez?
« Il advint qu'un beau soir l'univers se brisa 
Sur des récifs que les naufrageurs enflammèrent 
Moi je voyais briller au-dessus de la mer 
Les yeux d'Elsales yeux d'Elsales yeux d'Elsa. »
Je m'attendais peu ou prou à un beau chant d'amour mélancolique, adressé à sa femme et au-delà à la France occupée par les Allemands. Ça me semblait être une poésie d'un accès facile.
Eh bien pas toujours, la richesse, la diversité de l'écriture poétique du recueil ne se laisse pas si facilement mettre dans une case, et la multiplicité des références nous éloigne souvent de l'impression que «La poésie d'Aragon, c'est simple, c'est direct» (Ferrat). le contexte il est vrai ne s'y prête guère, le poète se sent
«En étrange pays dans mon pays lui-même»
et se met à la «poésie de contrebande». Et même si d'après lui c'est «une contrebande très simple qui utilisait Roland pour parler des résistants, ou n'importe quel héros de la tradition... », la culture d'Aragon est immense et ses références littéraires cryptées où les choses sont exprimées de façon détournée rendent parfois précieuses les béquilles offertes par une édition pourvue de notes adéquates. D'ailleurs l'Elsa qu'il met ici en scène semble s'en plaindre:
« Tu me dis que ces vers sont obscurs et peut-être
...
Tu me dis Notre amour s'il inaugure un monde
C'est un monde où l'on aime à parler simplement
Laisse là Lancelot Laisse la Table Ronde
Yseut Viviane Esclarmonde
Qui pour miroir avaient un glaive déformant »
Mais là où on ne peut pas donner tort à Ferrat, c'est que la poésie d'Aragon c'est beau, très beau. le recueil est d'une grande force dans sa façon de brasser l'intime et l'historique, la modernité et la tradition, la tendresse et la combativité. On a l'impression que l'écriture poétique aide à dépasser le désarroi face à ce monde à l'envers
«Diable de temps ceux qu'on disait amis
Sont ennemis avant qu'on soit remis
Le noir est blanc le défendu permis
le meilleur est le pire»
Le recueil qui commence avec le cycle des nuits s'achève sur l'espérance exprimée dans le Cantique à Elsa qui «marie à l'amour le soleil qui viendra». En mêlant dans ses textes au souffle historique le frémissement de ses amours, de ses fêlures, de ses fragilités, Aragon a su écrire une poésie de Résistance dont la lecture reste aujourd'hui forte et émouvante.
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L'art de la poésie est un travail d'orfèvre
Unir les mots qu'il faut pour créer l'alchimie
Ourler à fin pinceau comme on peignait les lèvres
Jadis des geishas dans un jeu kabuki

Horloger minutieux ciselant sa césure
Agençant patiemment les rouages du temps
Pour faire de ses heures implacables tortures
Rimes qui ne se fanent sous le souffle du vent

Le poète est celui qui sait au coeur parler
Aragon vous le fûtes, l'étiez, l'êtes toujours
Vos mots comme des notes, noire et blanche portées
Sur une partition jouent le chant de l'Amour

Certains ont la douceur des mots que l'on murmure
Certains ont la tendresse des mots qu'on dit tout bas
Certains creusent leur trou comme une sépulture
A l'ombre des regrets, des voeux qu'on n'émet pas

Vous dites qu'en poésie faiblesse fait beauté
Qu'il n'est rien de plus pur que cette défaillance
Rien de plus délicat que syntaxe violée
Pour imprimer au coeur sa part de délivrance

Tel un ruisseau secret dont l'eau libératrice
Apaise les blessures et les mauvais tourments
La poésie est pure énergie créatrice
Déposant sur les plaies une fraîcheur d'onguent

Ferrat, Brassens, Ferré ont su vous rendre hommage
En mettant en chansons vos fleurs, ces immortelles
Vous les avez mariées sous un beau ciel d'orages
En bouquets de poèmes que la nuit ensorcelle

Il est bien difficile parler de poésie
Lorsqu'on n'est pas adepte de rime et de césure
De stances et de pieds ni même d'harmonie
De ces vers combinés qui donnent la mesure

Le mieux est de laisser alors parler son âme
Dire par quelle magie les mots ont su l'étreindre
Allumer en son sein la permanente flamme
Ondoyant sous un feu que rien ne peut éteindre

Vous avez ardemment et avec quel génie
Dans des chants plein de vie unit vos deux amours
Elsa et puis la France, la muse et la patrie
Résonneront longtemps au coeur des troubadours.
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Dans les vers d'Aragon
Elsa a mis ses yeux
Et le partisan pieux
Ne craint plus le dragon

Coeur vaillant Louis se mire
Dans ses yeux de lilas
Crie France me voilà
Fait résonner la rime

Dans ses yeux Triolet
L'hémistiche est plus douce
Le poète repousse
Le solfège embolê

De l'école avant-guerre
A sa grâce patronne
Son amant abandonne
L'audace de naguère

De la belle gauloise
Se perpétue la flamme
qu'Hugues, Jean et quidam
chantent par Seine et Oise

A vos pieds Elsa France
La scansion la plus simple
Construit en vers le temple
D'ardentes révérences

Dans les yeux d'Elsa
Dans les yeux d'Elsa
Dans les yeux d'Elsa...
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Citations et extraits (136) Voir plus Ajouter une citation
Donne-moi tes mains pour l'inquiétude
Donne-moi tes mains dont j'ai tant rêvé
Dont j'ai tant rêvé dans ma solitude
Donne-moi tes mains que je sois sauvé

Lorsque je les prends à mon propre piège
De paume et de peur de hâte et d'émoi
Lorsque je les prends comme une eau de neige
Qui fuit de partout dans mes mains à moi

Sauras-tu jamais ce qui me traverse
Qui me bouleverse et qui m'envahit
Sauras-tu jamais ce qui me transperce
Ce que j'ai trahi quand j'ai tressailli

Ce que dit ainsi le profond langage
Ce parler muet de sens animaux
Sans bouche et sans yeux miroir sans image
Ce frémir d'aimer qui n'a pas de mots

Sauras-tu jamais ce que les doigts pensent
D'une proie entre eux un instant tenue
Sauras-tu jamais ce que leur silence
Un éclair aura connu d'inconnu

Donne-moi tes mains que mon coeur s'y forme
S'y taise le monde au moins un moment
Donne-moi tes mains que mon âme y dorme
Que mon âme y dorme éternellement.
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Aucun mot n'est trop grand trop fou quand c'est pour elle
Je lui songe une robe en nuages filés
Et je rendrai jaloux les anges de ses ailes
De ses bijoux les hirondelles
Sur la terre les fleurs se croiront exilées

Je tresserai mes vers de verre et de verveine
Je tisserai ma rime au métier de la fée
Et trouvère du vent je verserai la vaine
Avoine verte de mes veines
Pour récolter la strophe et t'offrir ce trophée
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[Entier]
Les Yeux d'Elsa

Tes yeux sont si profonds qu'en me penchant pour boire
J'ai vu tous les soleils y venir se mirer
S'y jeter à mourir tous les désespérés
Tes yeux sont si profonds que j'y perds la mémoire

À l'ombre des oiseaux c'est l'océan troublé
Puis le beau temps soudain se lève et tes yeux changent
L'été taille la nue au tablier des anges
Le ciel n'est jamais bleu comme il l'est sur les blés

Les vents chassent en vain les chagrins de l'azur
Tes yeux plus clairs que lui lorsqu'une larme y luit
Tes yeux rendent jaloux le ciel d'après la pluie
Le verre n'est jamais si bleu qu'à sa brisure

Mère des Sept douleurs ô lumière mouillée
Sept glaives ont percé le prisme des couleurs
Le jour est plus poignant qui point entre les pleurs
L'iris troué de noir plus bleu d'être endeuillé

Tes yeux dans le malheur ouvrent la double brèche
Par où se reproduit le miracle des Rois
Lorsque le coeur battant ils virent tous les trois
Le manteau de Marie accroché dans la crèche

Une bouche suffit au mois de Mai des mots
Pour toutes les chansons et pour tous les hélas
Trop peu d'un firmament pour des millions d'astres
Il leur fallait tes yeux et leurs secrets gémeaux

L'enfant accaparé par les belles images
Écarquille les siens moins démesurément
Quand tu fais les grands yeux je ne sais si tu mens
On dirait que l'averse ouvre des fleurs sauvages

Cachent-ils des éclairs dans cette lavande où
Des insectes défont leurs amours violentes
Je suis pris au filet des étoiles filantes
Comme un marin qui meurt en mer en plein mois d'août

J'ai retiré ce radium de la pechblende
Et j'ai brûlé mes doigts à ce feu défendu
Ô paradis cent fois retrouvé reperdu
Tes yeux sont mon Pérou ma Golconde mes Indes

Il advint qu'un beau soir l'univers se brisa
Sur des récifs que les naufrageurs enflammèrent
Moi je voyais briller au-dessus de la mer
Les yeux d'Elsa les yeux d'Elsa les yeux d'Elsa
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Plus belle que les larmes

J'empêche en respirant certaines gens de vivre
Je trouble leur sommeil d'on ne sait quels remords
Il paraît qu'en rimant je débouche les cuivres
Et que ça fait un bruit à réveiller les morts

Ah si l'écho des chars dans mes vers vous dérange
S'il grince dans mes cieux d'étranges cris d'essieu
C'est qu'à l'orgue l'orage a détruit la voix d'ange
Et que je me souviens de Dunkerque Messieurs

C'est de très mauvais goût j'en conviens Mais qu'y faire
Nous sommes quelques-uns de ce mauvais goût-là
Qui gardons un reflet des flammes de l'enfer
Que le faro du Nord à tout jamais saoula

Quand je parle d'amour mon amour vous irrite
Si j'écris qu'il fait beau vous me criez qu'il pleut
Vous dites que mes prés ont trop de marguerites
Trop d'étoiles ma nuit trop de ciel bleu mon ciel bleu

Comme le carabin scrute le cœur qu'il ouvre
Vous cherchez dans mes mots la paille de l'émoi
N'ai-je pas tout perdu le Pont-Neuf et le Louvre
Et ce n'est pas assez pour vous venger de moi

Vous pouvez condamner un poète au silence
Et faire d'un oiseau du ciel un galérien
Mais pour lui refuser le droit d'aimer la France
Il vous faudrait savoir que vous n'y pouvez rien

La belle que voici va-t'en de porte en porte
Apprendre si c'est moi qui t'avais oubliée
Tes yeux ont la couleur des gerbes que tu portes
Le printemps d'autrefois fleurit ton tablier

Notre amour fut-il feint notre passion fausse
Reconnaissez ce front ce ciel soudain troublé
Par un regard profond comme parfois la Beauce
Qu'illumine la zizanie au cœur des blés

N'a-t-elle pas ces bras que l'on voit aux statues
Au pays de la pierre où l'on fait le pain blond
Douce perfection par quoi se perpétue
L'ombre de Jean Racine à la Ferté-Milon

Le sourire de Reims à ses lèvres parfaites
Est comme le soleil à la fin d'un beau soir
Pour la damnation des saints et des prophètes
Ses cheveux de Champagne ont l'odeur du pressoir

Ingres de Montauban dessina cette épure
Le creux de son épaule ou! s'arrête altéré
Le long désir qui fait le trésor d'une eau pure
A travers le tamis des montagnes filtré

O Laure l'aurait-il aimée à ta semblance
Celle pour qui meurtrie aujourd'hui nous saignons
Ce Pétrarque inspiré comme le fer de lance
Par la biche échappée aux chasseurs d'Avignon

Appelez appelez pour calmer les fanto2mes
Le mirage doré de mille-et-un décors
De Saint-Jean-du-Désert aux caves de Branto2me
Du col de Roncevaux aux pentes du Vercors

Il y a dans le vent qui vient d'Arles des songes
Qui pour en parler haut sont trop près de mon cœur
Quand les marais jaunis d'Aunis et de Saint-Onge
Sont encore rayés par les chars des vainqueurs

Le grand tournoi des noms de villes et provinces
Jette un défi de fleurs à la comparaison
Qui se perd dans la trace amoureuse des princes
Confond dans leur objet le rêve et sa raison

O chaînes qui barraient le ciel et la Durance
O terre des bergers couleur de ses raisins
Et Manosque si doux à François roi de France
Qu'il écrivit son nom sur les murs sarrasins

Moins douce que tu n'es ma folle ma jalouse
Qui ne sait pas te reconnaître dans mes vers
Arrêtons-nous un peu sur le seuil de Naurouze
Où notre double sort hésite entre deux mers

Non tu veux repartir comme un chant qui s'obstine
Où t'en vas-tu Déjà passé le Mont Ventoux
C'est la Seine qui coule en bas et Lamartine
Rêve à la Madeleine entre des pommiers doux

Femme vin généreux berceuse ou paysage
Je ne sais plus vraiment qui j'aime et qui je peins
Et si ces jambes d'or si ces fruits de corsage
Ne sont pas au couchant la Bretagne et ses pins

Gorgerin de blancheur où ma bouche mendie
Cidre et lait du bonheur Plénitude à dormir
Pour toi se crèveront secrète Normandie
Les soldats en exil aux ruines de Palmyre

Je ne sais plus vraiment où commencent les charmes
Il est de noms de chair comme les Andelys
L4image se renverse et nous montre ses larmes
Taisez-vous taisez-vous Ah Paris mon Paris

Lui qui sait des chansons et qui fait des colères
Qui n'a plus qu'aux lavoirs des drapeaux délavés
Métropole pareille à l'étoile polaire
Paris qui n'est Paris qu'arrachant ses pavés

Paris de mes malheurs Paris du Cours-la-Reine
Paris des Blancs-Manteaux Paris de Février
Du Faubourg Saint-Antoine aux coteaux de Suresnes
Paris plus déchirant qu'un cri de vitrier

Fuyons cette banlieue atroce où tout commence
Une aube encore une aube et peut-être la vie
Mais l'Oise est sans roman la Marne sans romance
Dans le Valois désert il n'est plus de Sylvie

Créneaux de le mémoire ici nous accoudâmes
Nos désirs de vingt ans au ciel en porte-à-faux
Ce n'était pas l'amour mais le Chemin des Dames
Voyageur souviens-toi du Moulin de Laffaux

Tu marches à travers des poussières fameuses
Poursuivant devant toi de pays en pays
Dans la forêt d'Argonne et sur les Hauts-de-Meuse
L'orient d'une gloire immortelle et trahie

Comme un chevreuil blessé que le fuyard fléchisse
L'oeil bleu des mares veille au sous-bois fléché d'or
Halte sur le chemin du banni vers la Suisse
Au pays de Courbet qu'aime la mandragore

Je t'ai perdue Alsace où quand le Rhin déborde
Des branches éblouis tombent droit les faisans
Où Werther a Noël pour un instant s'accorde
D'oublier sa douleur avec les paysans

L'orage qui sévit de Dunkerque à Port-Vendres
Couvrira-t-il toutes les voix que nous aimons
Nul ne pourrait chasser la légende et reprendre
La bauge de l'Ardenne aux quatre fils Aymon

Nul ne pourrait de nous chasser ce chant de flûte
Qui s'élève de siècle en siècle à nos gosiers
Les lauriers sont coupés mais il est d'autres luttes
Compagnons de la Marjolaine Et des rosiers

Dans les feuilles j'entends le galop d'une course
Arrête-toi fileuse Est-ce mon cœur trop plein
L'espoir parle à la nuit le langage des sources
Ou si c'est un cheval et si c'est Duguesclin

Qu'importe que je meure avant que se dessine
Le visage sacré s'il doit renaître un jour
Dansons ô mon enfant dansons la capucine
Ma patrie est la fin la misère et l'amour

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Elle avait peur que la nuit fût trop claire
Elle avait peur que le vin fût grisant
Elle avait peur surtout de lui déplaire
Sur la colline où fuyaient des faisans
N’aimes-tu pas le velours des mensonges
Il y a des fleurs qu’on appelle pensées
J’en ai cueilli qui poussaient dans mes songes
J’en ai pour toi des couronnes tressées
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