Pour qui s'intéresse à l'oeuvre de
Louis Aragon, ces ”Lettres à Denise” sont une pièce importante du puzzle puisque Denise est la femme qui inspira le personnage de Bérénice dans ”
Aurélien”. On la retrouvera également dans ”
Blanche ou l'oubli ou ”
Le paysan de Paris.”
Denise, c'est
Denise Naville, une femme dont
Maurice Nadeau dira dans sa préface ” Nous avons eu le bonheur de connaître, nous aussi, la destinataire de ces lettres. Nous l'avions approchée pour la première fois alors que nous avions vingt ans et nous avons été ébloui.”
Une simple recherche m'a permis de voir à quoi ressemblait cette femme fascinante qui fit battre le coeur de
Louis Aragon mais aussi de Breton, d'
Eluard et de
René Char.
Une photo la montre, assise à une petite table, une cigarette à la main. Denise est belle, d'une beauté simple et naturelle. Elle a le regard clair et profond. Je la regarde un long moment. Et je tombe moi aussi sous le charme de ce beau regard triste.
Aragon va rencontrer Denise chez
André Breton. Une amitié réciproque va naître puis rapidement
Aragon va tomber amoureux de cette femme mystérieuse. A cette époque il a 27 ans, il est sous une emprise familiale que l'on devine très lourde. Il est également très lié à
Drieu La Rochelle dont il partage les frasques et même parfois les maîtresses.
Est-ce tout cela qui va rebuter Denise? Les lettres d'
Aragon nous montre un homme épris mais malheureux de vivre un amour non partagé.
Aragon est alors loin du dandy que l'on connaît. Il apparait seul et fragile, un peu désemparé, un peu perdu.
Il est vraiment dommage que les lettres écrites par Denise n'aient jamais été retrouvées alors que celles d'
Aragon ont été précieusement conservées par Denise, puis par Pierre Naville, son mari. Ainsi nous aurions mieux compris la nature de cette relation qui semble totalement idéalisée de la part d'
Aragon et bien plus raisonnée du côté de Denise.
Cet amour tout en retenue, qui ne peut s'exprimer librement sans heurter Denise va ronger le coeur d'
Aragon. Avec pudeur, avec chagrin, il lui écrira ces mots superbes: ”Ne lisez pas cette lettre : lisez l'autre, celle que j'ai déchirée. Pensez que je déchire constamment une lettre, une sorte de lettre, tant que je reste muet.”
Deux ans plus tard, Denise épousera Pierre Naville.
Aragon, toujours épris mais n'espérant plus rien fera alors de Denise une éternelle fiancée portant le nom de Bérénice.
”
Aurélien” est un magnifique roman, l'un de ceux qui m'a ouvert en grand les portes de la littérature quand j'avais à peine 15 ans. Je l'ai relu depuis, plusieurs fois, et je le relirai encore mais je sais que Bérénice aura maintenant et pour toujours le regard mélancolique de
Denise Naville.