AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Presence


Ce tome fait suite à Groo: Friends and Foes Volume 1 (épisodes 1 à 4) qu'il n'est pas indispensable d'avoir lu avant pour comprendre celui-ci, même si c'est plus logique et qu'un lecteur de Groo souhaite avoir tout lu. Il contient les épisodes 5 à 8, initialement parus en 2015, réalisés par Sergio Aragonés, avec l'aide de Mark Evanier pour les dialogues et le scénario, de Stan Sakai pour le lettrage, et de Tom Luth pour la mise en couleurs des épisodes 2 & 3. La mise en couleurs de l'épisode 1 a été réalisée par Michael Atiyeh, et celle de l'épisode 4 par Caitlin McCarthy. En fin de tome, se trouvent 4 gags en 1 page, mettant en scène Rufferto (le chien de Groo) sans parole.

Épisode 5 - le ménestrel chante un couplet sur Grooella, la soeur de Groo et leurs relations d'enfance. le royaume du Roi Comino jouxte celui de Grooella et ils échangent régulièrement des missives insultantes et menaçantes. Mais voilà, dans un courrier le roi Comino pousse le bouchon trop loin en traitant Grooella de parente de Groo. La reine décide d'envoyer son armée séance tenante pour conquérir le royaume de Comino sans même prendre la peine d'envoyer des espions en repérage. Ça ne rate pas son armée croise le chemin de Groo. Épisode 6 - Le Sage (avec son chien Mulch) arrive dans une nouvelle ville à laquelle on accède par un pont où il faut s'acquitter d'un péage. Devant bien gagner de l'argent pour se nourrir, Le Sage propose ses services aux marchands de la ville pour trouver une alternative au pont dont le prix du péage est très élevé du fait de l'absence d'alternative. Groo arrive bientôt aux abords de cette ville.

Épisode 7 - Groo arrive dans une nouvelle ville où sa comprenette limitée est mise à rude épreuve car il y est parlé 4 langues différentes du fait des origines différentes des habitants. Groo réussit quand même à se faire servir à manger à la taverne, mais il n'a pas de quoi payer. Un individu bien intentionné règle son ardoise et propose de l'engager au service de la reine Nada pour qu'il l'aide à reconquérir son royaume, sous la coupe de Chakaal, une autre reine qui l'a destituée. Épisode 8 - Weaver (le tisserand, dans le sens où il tisse des articles) est en train de se faire admonester par son éditeur pour l'insipidité de ses articles. Ce dernier estime que les papiers de Weaver étaient beaucoup plus vendeurs quand il parlait de Groo. Il l'envoie donc chercher des informations sur les dernières catastrophes causées par Groo. Weaver (accompagné par le Scribe) part sur la route et se dit que le plus sûr est encore d'inventer plutôt que de rechercher Groo.

Le lecteur ayant lu le premier tome en a assimilé le principe dès le premier épisode. Sergio Aragonés et Mark Evanier racontent des histoires en 1 épisode, et Groo rencontre un personnage récurrent de la série, différent à chaque fois. le lecteur familier de Groo identifie immédiatement les personnages sur la couverture : la soeur de Groo, Le Sage et son chien, la guerrière dont Groo est amoureux, et le tandem de Weaver et Scribe dont la ressemblance avec Mark Evanier et Stan Sakai n'a rien de fortuit. le lecteur qui n'est pas familier de la série bénéficie de l'exposé du Ménestrel dans la première page de chaque épisode : il rappelle rapidement de qui il s'agit, quel est son lien avec Groo, et quel est son comportement habituel. le lecteur familier n'est pas en reste pour autant : il apprécie la composition savante de cette page, avec le Ménestrel en train de chanter, le petit exposé sous forme de poèmes (attention aux rimes inattendues), les petites illustrations autour du parchemin contenant le poème, et bien sûr l'ornement à l'extrémité du luth du Ménestrel qui change à chaque fois, en lien plus ou moins direct avec le groupe de personnes qui l'écoute, par exemple un navire quand c'est un groupe de pêcheurs.

Le ton de ces 4 épisodes est à l'identique des 4 épisodes du premier tome, et de toutes les histoires de Groo. Il s'agit d'histoires comiques, reposant sur un humour visuel protéiforme, sur la bêtise de Groo, son invulnérabilité et sa compétence démesurée dans le maniement du katana. Sergio Aragonés est en aussi bonne forme que dans le premier tome et le lecteur se régale à chaque page. Il n'a rien changé à sa façon de dessiner, toujours caricaturale, toujours généreuse. Les expressions exagérées des personnages sont irrésistibles dans l'intensité des émotions ressenties, ainsi que dans les gueules comme celle de Grooella, de Chakaal et même des individus plus normaux comme Le Sage ou Weaver. le lecteur sourit à la mine perpétuellement renfrognée de Grooella, et il sert un peu les dents quand son visage s'assombrit encore un peu plus. Il éprouve toute de suite de la sympathie pour l'assurance bienveillante de Sage, même s'il se rend bien compte que ses capacités de rationalisation sont souvent dépassées par la complexité des situations. Il tombe tout de suite sous le charme de Chakaal avec sa stature imposante, son regard dur et dominant. Il est admiratif devant l'impassibilité amusée du Scribe. Il sourit aux émotions qui agitent Weaver, et à sa gentille roublardise. Son sourire est 2 fois plus grand quand il regarde ces 2 derniers en y voyant une gentille caricature d'Evanier et Sakai.

Sergio Aragonés fait montre d'une capacité surnaturelle pour donner vie à ses personnages principaux et secondaires, et même la myriade de figurants qui constituent les armées ou les habitants des villages. Il n'est pas près d'oublier le pauvre conseiller de la reine Grooella contraint à plusieurs reprises de lui dire la vérité au risque de la punition immédiate, le préposé du péage qui réclame le droit de passage à Groo au grand désarroi de son collègue qui se prépare à la catastrophe, les 3 restaurateurs qui essayent de faire comprendre à Groo qu'il doit payer sa note, ou encore l'agriculteur se demandant où a bien passer le deuxième boeuf de son attelage. En plus du dessin en pleine page en ouverture de chaque épisode, l'artiste réalise un dessin en double page. le lecteur tombe en arrêt devant ces compositions fourmillant de détails. Dans l'épisode 6, il s'agit d'une vue depuis une élévation de la route qui descend ensuite vers la ville, avec la rivière au-dessus de laquelle passe le pont où se trouve le péage. le lecteur y dénombre une quarantaine de personnages, depuis Le Sage et Mulch au premier plan, jusqu'aux 2 femmes en train de laver le linge dans la rivière à l'arrière-plan, en passant par les gens qui font la queue pour s'acquitter du péage, les enfants en train de jouer dans l'eau, le marchand sur sa barque à fond plat, le riche marchand dans sa chaise à porteur, avec les bagages sur le toit, etc. À nouveau le lecteur dispose du libre choix de regarder la scène d'un coup d'oeil pour continuer sa lecture sans ralentir, ou de de se repaître du spectacle à loisir. Comme toujours, Sergio Aragonés montre qu'il a une bonne idée des occupations et des activités dans une ville de ce type, et il en montre la diversité avec intelligence et à propos.

Le lecteur se régale donc à chaque épisode de la générosité graphique de l'artiste. D'un côté, il conserve cette apparence simpliste, lisible par tout le monde, à commencer par les jeunes lecteurs ; de l'autre la richesse de chaque page en fait une lecture délicieuse pour les adultes. Comme à son habitude, il maîtrise à la perfection le gag visuel, que ce soit par le dessin qui fait mouche, ou par le rythme. Il suffit à nouveau de découvrir les 4 gags en 1 page mettant en scène Rufferto en fin de volume pour en avoir la preuve éclatante. Dans des planches de 5 à 12 cases, sans aucun mot pour soutenir la narration, il installe un suspense dans une situation simple, et il la résout, parfois au frais du comportement de Rufferto, parfois grâce à son intelligence. Il peut aussi bien s'agir d'un gag visuel (comme la révélation de ce sur quoi Rufferto s'est réfugié au milieu de la rivière) que du dénouement d'une situation. Aragonés n'a rien changé dans sa manière de dessiner, utilisant l'exagération morphologique, accentuant les mouvements (quand Groo court par exemple). Les mimiques des personnages sont impayables, ainsi que les mouvements disproportionnés. Il suffit parfois d'un simple dessin de toute petite taille pour faire sourire le lecteur. Ainsi dans les illustrations de la chanson du Ménestrel sur Le Sage, le lecteur voit Le Sage accroché à une branche d'arbre, attaqué par un essaim d'abeilles et Groo à ses côtés ; il n'a aucun mal à rétablir le lien de cause à effet. Juste en dessous il voit Le Sage frigorifié en haut d'une montagne enneigée, et c'est bien volontiers qu'il se livre à des conjectures pour savoir comment Groo a pu réussir à le fourrer dans cette situation.

Parfois, l'humour repose sur une situation à répétition, comme dans le dernier épisode. Chaque personne qui voit Groo s'approcher préfère saborder son entreprise ou mettre le feu à ses biens, en espérant que les conséquences seront moindres que si c'est Groo qui cause directement la catastrophe. Sergio Aragonés doit alors concevoir une mise en scène qui permette d'établir la situation et de montre la chute en moins d'une page, à un rythme soutenu, et ça marche. D'autres fois, le gag est sous-entendu ou enchâssé dans un autre. Par exemple, le lecteur découvre Groo et Grooella enfants, le premier jouant avec une torche allumée. Les scènes précédentes ont bien fait comprendre qu'une fois de plus Groo va se montrer maladroit et que Grooella va en subir les conséquences, ce qui fait naitre un sourire sur son visage. Il comprend également que cette torche va brûler les cheveux de Grooella ce qui explique sa chevelure crépue, soit un deuxième gag. Parfois il s'agit juste d'un détail en arrière-plan. Quand le Ménestrel chante sa chanson sur Chakaal, il le fait sur le chantier d'une maison avec 4 ouvriers en train de l'écouter et de bien se marrer. le lecteur constate la présence du contremaître à l'arrière-plan qui arrive avec une expression énervée, agacé par cette pause sauvage.

Le lecteur est conquis d'avance par la verve graphique de Sergio Aragonés qui effectivement met tout son coeur à l'ouvrage, ne comptant pas sa peine et semblant s'amuser autant que le lecteur à créer ces environnements comme si ça ne lui coûtait rien, à faire vivre ces dizaines de personnages, et à générer des situations comiques comme s'il n'avait qu'à se baisser pour en accumuler. En prime, il découvre une histoire en bonne et due forme dans chaque épisode, les auteurs ne se contentant pas d'aligner des gags excellents. La première histoire met en scène une guerre entre deux royaumes dans laquelle les monarques se laissent emporter par leurs émotions. Elle illustre également le fait que lorsqu'on emploie les méthodes de ses ennemis on prend le risque de devenir comme eux. La deuxième histoire repose sur un mécanisme plus complexe, Le Sage mettant à l'oeuvre son intelligence. le lecteur regarde avec respect ce personnage disposant d'une sagesse dévolue aux anciens expérimentés, tout en constatant son absence d'application pratique. Il est impossible de résister à ses jugements valeurs issus du bon sens, et pourtant systématiquement pris à défaut. La catastrophe naturelle ambulante qu'est Groo défie l'entendement et la sagesse populaire, mais en plus la complexité de la réalité refuse de se laisser dompter par des préceptes simples. Les plans les mieux préparés finissent tous par être mis en défaut. Il ne s'agit pas simplement de jouer sur le comique entre les résultats escomptés par Le Sage, et la réalité du résultat, mais aussi d'un commentaire sur l'impossibilité de réduire la réalité à des lois et des principes.

Dans le troisième épisode, les auteurs mettent à nouveau en scène une lutte entre 2 monarques, l'une régnante, l'autre déposée par la première. Derrière le comique de situation et les bouffonneries de Groo, il y a un commentaire discret sur la dictature, sur une monarchie éclairée grâce à une politique participative. le lecteur sent également son coeur se serrer car Groo est aveuglé par son amour pour Chakaal, sans se rendre compte qu'elle ne veut rien avoir à faire avec lui. Ils se montrent un peu plus cruel même car celui qui souffre le plus est Rufferto : il voit son maître totalement enamouré et il craint que cela ne vienne aboutir à ce que Groo l'oublie. le dernier épisode dresse en filigrane une satire acide sur une certaine forme de journalisme à sensation. Weaver doit trouver des sujets qui fassent vendre des exemplaires, et son éditeur lui enjoint de couvrir les malheurs causés par Groo. Ce n'est déjà pas très flatteur pour la presse à sensation. Ne souhaitant pas particulièrement recroiser la route de Groo, Weaver n'hésite pas à inventer de toutes pièces, encore un une petite critique sur les journalistes écrivant leur reportage depuis leur bureau. Finissant par rencontrer Groo, Weaver et le Scribe acceptent de l'accompagner pour effectuer un reportage plus honnête. Cela n'empêche pas Weaver d'enjoliver la réalité car il ne se produit finalement pas beaucoup de catastrophes. Pour autant, la narration n'en devient pas grinçante, elle reste légère et amusante. Enfin le lecteur retrouve le fil rouge établit dans le premier tome : les apparitions de Kayli une petite fille à la recherche de son papa. le lecteur finit même par se demander si ce ne pourrait pas être Groo. Non, impossible, il ne saurait pas comment s'y prendre…

En ouvrant ce deuxième tome, le lecteur sait par avance ce qu'il va y trouver : plus de Groo, plus de catastrophes, et le retour de personnages récurrents le temps d'un épisode. Il n'y a pas tromperie sur la marchandise : Sergio Aragonés est dans une forme éblouissante et toujours aussi généreux dans ses dessins, les personnages sont toujours aussi attachants, Mark Evanier continue d'inclure de nouvelles blagues. L'excellence mérite 5 étoiles.
Commenter  J’apprécie          20



Ont apprécié cette critique (2)voir plus




{* *}