Laure, dans la maison à l'ombre des sureaux,
Songeuse, tu brodais derrière les carreaux,
Et, si j'apercevais un livre à ta fenêtre,
Je sonnais à la grille et tu voyais paraître,
Au jardin envahi d'herbe et de serpolet,
Celui qui dans les soirs longuement te parlait
Et déroulait son rêve ainsi qu'un paysage...
Laure, où sont tes cheveux, tes mains et ton visage?...
Oui, j'aurais dû, ce soir, te dire tout cela,
T'avouer les penchants où mon cœur s'écoula
Et te montrer au loin ces figures d'argile,
Et nous aurions pleuré de sentir si fragile
Notre amour qui s'éveille et frissonne au soleil
D'automne, notre amour incassable et pareil
Aux beaux jouets de notre enfance. Mais qu'importe,
Si l'espérance encore ouvre la vieille porte?
J'avais toujours rêvé d'éternelles amours.
Les nôtres ont duré trois mois et quatre jours.
C'est beaucoup. J'aurais pu ne jamais te connaître.
Ainsi tournons la page et fermons la fenêtre
Ouverte sur la plaine immense du bonheur.
Ce soir, nous passerons chez le camionneur.
Pourquoi chausser ici le tragique cothurne
Et blasphémer l'azur d'une bouche nocturne?
Quittons-nous sans soupirs, sans larmes, sans discours.
Terre! Nous achevons un voyage au long cours.
Débarquons! Tu t'en vas. Je m'en vais. Il faut rire
Et ne prendre pas l'air de goujons mis à frire.
Et, tout bas, je sanglote en te parlant ainsi,
Et tu baisses la tête et tu pleures aussi.
Quand tu m'auras quitté (ne lève pas les bras),
Quand tu m'auras quitté, car tu me quitteras,
Je n'irai plus chercher d'œillets chez la fleuriste.
Je demeurerai seul avec mon rêve triste.
Et je dirai : « Voilà la chambre où tu te plus,
Et voici le miroir qui ne te verra plus,
La table d'acajou, le canapé, le pouf, le
Tabouret où le soir tu posais ta pantoufle.
Ô golfe calme, où le bonheur était ancré!... »
Et quelquefois amèrement je sourirai,
En feuilletant mon vieux Racine aux coins de cuivre,
Des pantins que tu fis dans les marges du livre.