C’était dans l’air du temps, les biologistes se sont mis à aimer jusqu’au fanatisme les mélanges cellulaires, l’hybridité, la préfabrication en éprouvette, leur nouvelle religion. La brebis Dolly, le double parfait de sa mère brebis, pense-t-elle, une démonstration pas malvenue des pouvoirs magiques acquis par les scientifiques.
Le visage, c’est censé décliner une identité et une identité, c’est bien censé se recomposer avec l’âge, non ? Regarde ta tronche. Tu vois quoi ? À livre ouvert tu lis là tes joies et tes marasmes, tes gloires et tes fiascos, et puis ta lente dégradation surtout, jour après jour, à mesure que ça se plisse et que ça tombe de partout, la peau lâche, les yeux qui ne sont plus le miroir de l’âme mais deux pruneaux secs dans un paysage de crevasses.
Il faut la comprendre, Maria Rosales, toute gosse et cruche qu’elle soit. Sa beauté n’est pas neutre, elle est juste exposée pour qu’on se pâme devant elle, non. Elle la porte sur elle, la beauté utile, la beauté qui te fait envie, qui te rend jaloux et amer d’être moche. Elle arbore la beauté de la fierté nationale, voilà. La beauté faciale qui te métamorphose la gamine sur son char en symbole de toutes les pasionarias d’Espagne.
Elle dysfonctionne. Que ce mot est gentil, sans conséquence. Sauf que derrière le mot il y a le fait, et le fait, autant te dire qu’il ne plaisante guère. Puisqu’elle est encore dans la force de l’âge, cela signifie tout de go que la maladie se développera à grande vitesse, et qu’elle va l’emporter vite fait, chimiothérapie de choc ou pas, pfuit !
Les années ont beau passer, et les décennies de vie s’accumuler, rien à faire, elle plastronne toujours de son identique sourire, de la même tronche formée bien comme il faut, hors des atteintes de l’âge qui croît, à l’image des femmes des calendriers aux traits retouchés par les graphistes, ces faussaires.
Conférence de Paul ArdenneLa BnF propose un cycle de conférences pour s'initier aux principaux courants artistiques et comprendre les oeuvres d'art en regard de lectures critiques. La troisième édition s'intéresse à la représentation du corps dans l'art.Cette séance se penche sur les évolutions de la représentation artistique du corps humain. Depuis un siècle, elle décalque les mutations de la société : individualisme, libération politique et sexuelle, culte du corps, transhumanisme, décolonialisme, transgenrisme…Par Paul Ardenne, écrivain et historien de l'artConférence enregistrée le 24 janvier 2024 à la BnF I François-Mitterrand
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