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Critique de Bouteyalamer


Le livre s'ouvre par une distinction pédagogique entre vita activa et vita contemplativa, avec cette limite que la seconde ne sera guère abordée en dehors du prologue. Ce prologue nous indique que la vita activa a deux champs d'application, le domaine public et le domaine privé, et trois catégories, le travail, l'oeuvre et l'action. le travail est une activité soumise aux nécessités vitales, dont le produit est aussitôt consommé ; il est le propre de l'animal laborans, producteur de ses propres ressources ; le travail et la consommation sont les deux faces du cycle perpétuel de la vie biologique ; le travail n'a ni début ni fin. L'oeuvre est la création d'artefacts durables, que l'on ne consomme pas ; il est le propre de l'homo faber, qui crée un monde façonné par l'homme ; la fabrication a un commencement et une fin précis et prévisibles. L'action, liée à la parole, définit l'homme politique ; elle prend place dans le domaine public ; ses conséquences sont inconnues et illimitées, elles vont au-delà de la portée et de la vie de l'acteur ; l'action peut avoir un commencement défini mais n'a jamais de fin prévisible. On est ici dans le domaine académique, facile à suivre mais pas toujours facile à accepter, en particulier dans la prétendue hiérarchie antique entre le travail, qui définit l'esclave, et l'action, qui définit le citoyen (Laërte, le père d'Ulysse, était roi et cultivait lui-même son potager ; Romulus poussait la charrue, etc.). C'est un reflet non critiqué de la politique antidémocratique d'Aristote.

Le titre original du livre est « The human condition », auquel l'éditeur a ajouté le qualificatif de « moderne ». le livre de Malraux « La condition humaine » (1933) ne permettait certes pas une traduction littérale, mais l'addition de « moderne » est peu adaptée : l'ouvrage se réfère à chaque page à l'antiquité dans le vocabulaire, l'étymologie, l'histoire, les lois et les auteurs (Platon, Aristote, le droit romain, les évangiles ou saint Augustin) ; il n'aborde l'âge moderne que dans son dernier chapitre p 315. le seul auteur moderne largement cité est Karl Marx, sur un ton sévèrement critique : L'attitude de Marx à l'égard du travail, c'est-à-dire à l'égard de l'objet central de sa réflexion, a toujours été équivoque. Alors que le travail est une "nécessité éternelle imposée par la nature", le plus humaine et la plus productive des activités, la révolution selon Marx n'est pas pour tâche d'émanciper les classes laborieuses, mais d'émanciper l'homme, de le délivrer du travail ; il faudra que le travail soit aboli pour que "le domaine de la liberté" supplante "le domaine de la nécessité ". […] Des contradictions aussi fondamentales, aussi flagrantes sont rares chez les écrivains médiocres ; sous la plume des grands auteurs elles conduisent au centre même de l'oeuvre (P 151).

Le style est souvent péremptoire, parfois exalté (le Spoutnik p 33, la Nativité p 314), avec des incises nombreuses, stimulantes mais souvent peu justifiées dans leur contexte et peu convaincantes :
L'amour, à la différence de l'amitié, meurt ou plutôt s'éteint, dès qu'on en fait étalage (p 91). L'amour, phénomène très rare, il est vrai, dans la vie humaine (p 308)
La bonté doit absolument, sous peine de mort, se dissimuler, fuir l'apparence (p 118)
Le bien, en tant que mode de vie cohérent, n'est pas seulement impossible dans les bornes du domaine public, il est l'ennemi mortel de ce domaine (p 119)
La joie de vivre, qui est celle du travail, ne se trouvera jamais dans l'oeuvre : elle ne saurait se confondre avec le soulagement, la joie inévitablement brève, qui suivent l'accomplissement et accompagnent la réussite (page 154).
Avant les temps modernes qui commencèrent par l'expropriation des pauvres et s'occupèrent ensuite d'émanciper les nouvelles classes sans propriété, toutes les civilisations reposaient sur le caractère sacré de la propriété privée (p 102)
Ce n'est pas le principe de la machine à vapeur qui était nouveau mais plutôt la découverte et l'emploi des mines de houille pour l'alimenter (p 200)
La longue préface de Paul Ricoeur est pour moitié consacrée à l'ouvrage fameux de HA sur Les origines du totalitarisme ; elle défend comme elle peut les énigmes, paradoxes et apparentes contradictions du présent ouvrage. La quatrième de couverture n'a guère de relation avec son contenu.
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