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EAN : 9791030410228
48 pages
Allia (03/01/2019)
3.85/5   20 notes
Résumé :
Depuis la Seconde Guerre mondiale, le "réfugié" préfère en général l'appellation de "nouvel arrivant" ou d'"immigré", pour marquer un choix, afficher un optimisme hors pair vis-à-vis de sa nouvelle patrie. Il faut oublier le passé : sa langue, son métier ou, en l'occurrence, l'horreur des camps.
Elle-même exilée aux États-Unis au moment où elle écrit ces lignes dans la langue de son pays d'adoption, Hannah Arendt exprime avec clarté la difficulté à évoquer c... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (3) Ajouter une critique
“Si nous commencions par dire la vérité, à savoir, que nous ne sommes que des Juifs, cela reviendrait à nous exposer au destin d'êtres humains qui, parce qu'ils ne sont protégés par aucune loi spécifique ni convention politique, ne sont que des êtres humains”

Cette phrase de Arendt montre l'état de confusion extrême dans lequel elle se trouve, au moment où elle écrit ce texte en 1943, soit deux ans après son arrivée sur le sol américain.

Certaines descriptions seront peut-être plus conformes à l'idée qu'on peut se faire de l'instinct de survie qui booste les réfugiés tout le temps de leur fuite.

Mais l'auteure montre précisément la confusion qui règne derrière l'optimisme affiché, lorsque ces réfugiés sont en voie d'assimilation dans leur nouveau pays.

Et Arendt n'échappe pas à cette confusion.

D'un côté il y a des conditions objectives : des vies privées en miette, le dénuement matériel qu'on devine seulement, les difficultés d'intégration sociale, le combat pour les droits juridiques et politiques. Arendt n'obtiendra la nationalité américaine qu'en 1951.

D'un autre côté, il y a un parfum de mort qui reste imprégné, et qui fait le lit de la réaction identitaire, dans laquelle Arendt se laisse entraînée en tentant d'entraîner les autres.

“Quoi que nous fassions, quoi que nous feignions d'être, nous ne révélons rien d'autre que notre désir absurde d'être autres, de ne pas être juifs”

Certes, on sait qu'elle s'affranchira un peu de cette rhétorique identitaire, de ce masque de l'identité. Quitte peut-être à admettre qu'il y a toujours un masque derrière le masque, et qu'on ne peut rien être sans jouer à l'être.

Certes, on doit entendre son cri, lorsqu'elle nous jette à la figure la question des “sans-papiers”. Mais la rhétorique identitaire déployée dans ce texte pose aussi des questions sur sa conception de la politique.

“Nous sommes devenus les témoins et les victimes de terreurs bien plus atroces que la mort – sans avoir pu découvrir un idéal plus élevé que la vie (…) nous ne sommes pas pour autant devenus capables ni désireux de risquer notre vie pour une cause.”

Manifestement l'auteure évoque l'idéal de l'expérience vécue par les résistants, en regrettant de faire partie d'une communauté qui n'a pas ce genre de vécu. Mais son regret dégénère en un jugement mortifère, et la conception fantasmée de cette expérience dégénère dans l'opposition abstraite entre la politique et la vie, qui est la structure permanente de sa philosophie.

Arendt juge sa communauté engluée dans les « combines et astuces d'adaptation et d'assimilation ». Or, son jugement est aussi une astuce d'assimilation. Pourquoi ne serions-nous que ceci ou que cela ? L'auteure s'empresse de faire endosser une identité abstraite à cette masse amorphe ; pour son bien évidemment. (C'est une ruine de la pluralité qui mène à la caricature des partis. Demandez ensuite aux gens d'aller voter !)

Elle juge que seule une petite minorité de « parias sociaux » est capable de mutations disons existentielles. Mais entre ceux-ci et les « parvenus sociaux » qu'elles dénoncent, qui sait au fond comment chacune de ces personnes réagirait face à un choix cornélien ? Y a-t-il un seul être vivant incapable de muter ?

Mais peut-être Arendt craint-elle précisément cette humanité qui ne cesse de muter ?
La stratégie du repli identitaire ralentirait en effet le processus. (De même qu'un système philosophique pourrait prévenir stratégiquement tout risque d'avoir à régénérer ses croyances).

« L'histoire de cent cinquante ans de judaïsme assimilé a réussi un exploit sans précédent ».

Oui, cette histoire a connu des génies dans tous les domaines. L'auteure cite Franz Kafka, Charlie Chaplin etc… Et on la citerait volontiers aujourd'hui.

Mais si ces génies renommés sont comme des fuites visibles de la machine assimilatrice, celle-ci doit toujours être en train de fuir imperceptiblement. Il faut bien que des génies inconnus réalisent cet exploit. Or, Arendt ne voit que des gens désespérés, entraînés dans la mauvaise direction. Elle est incapable de voir autre chose qu'une masse réservant des mauvaises surprises.

Ne sommes-nous pas, d'une quelconque manière, ou bien des réfugiés, ou bien des minorités assimilées ?
Est-ce pour cette raison que le titre « Nous autres réfugiés » fait vibrer une corde sensible ? que nous parlons à la place des autres avec une telle aisance ? et que nous pouvons dire nous ?

Arendt a soulevé le très sérieux problème des « sans papiers ». Sans papiers officiels, mais plein de formulaires qui ne servent qu'à creuser les discriminations. Malheureusement son engagement est limité et la solidarité n'est pas vraiment son problème. A Little Rock en 1957, par exemple, où on connaît la ségrégation à l'école, Arendt peut dire « à la place d'une mère blanche du Sud… je dénierais au gouvernement tout droit de me dire en compagnie de qui mon enfant reçoit cette instruction ».

Deux liens vers les textes de Arendt :
-Nous autres réfugiés
https://www.cairn.info/revue-pouvoirs-2013-1-page-5.htm
-Réflexions sur Little Rock -pages 151 à 163
https://jugurtha.noblogs.org/files/2018/05/Responsabilite-et-jugement-Hannah-Arendt.pdf
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Ce tout petit ouvrage d'une quarantaine de pages présente un texte paru pour la première fois dans The Menorah Journal dans lequel Hannah Arendt livre une réflexion sur le statut de réfugié. Statut qu'elle connaît pour avoir dû fuir la fureur hitlérienne, comme nombre de juifs allemands. Après un passage en France où elle a été internée dans le camp de Gurs en qualité de ressortissante d'un pays ennemi, elle réussi à s'échapper pour rejoindre les Etas-Unis.
Dans cet article, elle rend compte de toute la difficulté des réfugiés à "s'assimiler" alors qu'à la violence du pays qu'ils ont dû fuir répond celle du pays d'adoption ou de transit qui les considère avec suspicion, voire avec haine.
"Nous avons été expulsés d'Allemagne parce que juifs.Mais à peine avions-nous franchi la frontière française que nous devenions des “boches”.

Bien que datant de 1943, le propos de Hannah Arendt reste terriblement actuel.
Rohingyas, Camerounais, Syriens, Rwandais etc., le nombre de réfugiés politiques ou climatiques ne cesse d'augmenter. Cependant les discours et les pratiques continuent à les déshumaniser en les réduisant à des chiffres, statistiques et quotas à respecter oubliant que chacun d'eux, hommes, femmes et enfants, forment une population en souffrance au passé souvent douloureux et qu'il leur faut faire face à un avenir des plus incertains.
De façon plus ou moins consciente dans l'imaginaire collectif ou individuel l'étranger représente le danger. En illustrant les difficultés et les ambiguïtés du processus d'intégration ou d'assimilation d'une minorité par une société, Hannah Arendt nous rappelle simplement qu'il importe de ne pas oublier que les réfugiés sont avant tous êtres humains à traiter comme tels pour leur permettre de préserver leur intégrité physique et mentale.
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Un court essai sur la condition d'éternels immigrants des juifs, écrit en 1943. Intéressant, sans plus. À noter qu'Hannah Arendt n'y épargne pas, parfois, les juifs eux-mêmes.
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Citations et extraits (6) Voir plus Ajouter une citation
En premier lieu, nous n’aimons pas être appelés « réfugiés ». Nous-mêmes nous désignons comme des « nouveaux arrivants » ou des « immigrés ». Nos journaux s’adressent aux « Américains de langue allemande » ; et, autant que je sache, il n’a jamais existé d’association fondée par les populations persécutées par Hitler dont le nom indiquerait que ses membres sont des réfugiés.
D’ordinaire, un réfugié est une personne contrainte à demande asile pour avoir commis quelque acte ou défendu une opinion politique. Eh bien, il est vrai que nous avons cherché refuge ; mais nous n’avons commis aucun acte répréhensible et la plupart d’entre nous n’ont jamais caressé l’idée de proclamer quelque opinion subversive. Avec nous, le terme « réfugié » a changé de sens. Les « réfugiés » sont désormais ceux d’entre nous qui ont connu un malheur tel qu’ils ont dû immigrer, sans ressources, dans un autre pays et trouver de l’aide auprès de Comités de Réfugiés.
Avant que cette guerre n’éclate, nous témoignions d’une sensibilité plus grande encore quant à cette dénomination. Nous entendions prouver au reste de la population que nous n’étions que des immigrants ordinaires. Nous soutenions être partis de notre plein gré dans un pays de notre choix et refusions d’admettre que notre situation eût quoi que ce soit à voir avec les « prétendus problème juifs ». Oui, nous sommes des « immigrés » ou de « nouveaux arrivants » qui avons quitté notre pays parce qu’un beau jour, y résider ne nous convenait plus ou bien pour des raisons purement économiques. Nous voulions refaire notre vie, c’est tout. Et pour refaire notre vie, il faut user de courage et être porté à l’optimisme. Nous étions donc très optimistes.
Notre optimiste est effectivement admirable, même si c’est nous-mêmes qui le proclamons. Le récit des épreuves que nous avons traversées est désormais connu. Nous avons perdu notre foyer, c’est-à-dire la familiarité de notre vie quotidienne. Nous avons perdu notre travail, c’est-à-dire l’assurance d’être de quelque utilité en ce monde. Nous avons perdu notre langue, c’est-à-dire le naturel de nos réactions, la complicité de nos gestes, l’expression spontanée de nos sentiments. Nous avons abandonné nos parents dans des ghettos de Pologne et nos meilleurs amis ont péri dans des camps de concentration, ce qui signifie que notre vie privée a été brisée.
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Si l'on nous sauve, nous nous sentons humiliés, et si l'on nous aide, nous nous sentons dépréciés.
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Un homme qui désire se défaire de son moi découvre en réalité un éventail de possibilités d'existence, aussi infinies que la Création elle-même.
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Les philosophes ont peut être raison d'enseigner que le suicide est l'ultime et suprême garantie de la liberté humaine : n'étant pas libres de créer notre propre vie ou le monde dans lequel nous vivons, nous sommes néanmoins libres de renoncer à l'existence et de quitter ce monde.
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L'homme étant un animal social, la vie lui semble plus difficile quand les liens sociaux sont rompus.
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