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EAN : 9782851977205
120 pages
L'Herne (25/01/2012)
3.65/5   10 notes
Résumé :
Diamants et silex raconte, sur un fond d’orchestre rural, la confrontation sociale des seigneurs avec leurs serfs indiens dans un village de la cordillère andine. Dans cet univers féodal sans pitié, une autre bataille se livre entre les puissances de la vie et celles, délétères, de la mort. Le Pérou des Andes, où la musique joue un rôle clé, y surgit dans sa troublante et confuse
intensité. Le lecteur y découvre son cortège de croyances et de rites confronté ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (6) Voir plus Ajouter une critique
Dans son village à l'intérieur des terres andines, Mariano est différent, peu bavard, sensible, « à l'allure d'un enfant muet et endormi ». Son frère aîné ne conçoit que mépris et honte pour ce simple d'esprit et l'expédie dans un gros bourg lointain au-delà de la cordillère.
Là, accompagné de son faucon domestiqué, Mariano le Simple est remarqué par Don Aparicio, un important propriétaire terrien qui le prend à son service comme gardien de maison mais surtout pour ses talents de musicien. Car Mariano est un harpiste formidable qui fait jaillir de son instrument des notes merveilleuses capables d'émouvoir les coeurs les plus endurcis.
Le riche Don Aparicio règne en seigneur tout puissant sur la ville divisée en quartiers indiens, métis et notables. Sensuel, fiévreux, tourmenté, il use et abuse de son statut de maître, séduisant et abusant les indiennes qu'il enlève à leur famille et éloigne de leur village natal pour en faire ses maîtresses.
L'arrivée en ville d'Adélaïde, une jeune fille blonde venant de Lima avec sa mère, va jeter le trouble dans le coeur du jeune homme arrogant qui multiplie dès lors les offrandes et les cadeaux afin de la séduire.
Mais cette nouvelle volonté de conquête va mettre la population locale en émoi. En attisant jalousie et peine, Don Aparicio va bouleverser l'équilibre de la petite ville et l'entraîner dans une tragédie dont Mariano se fera l'innocente victime.

Avec « Diamants et silex », l'écrivain et ethnologue péruvien José Maria Arguedas (1911-1969), grande voix de la littérature sud-américaine, s'éloigne des mouvements politiques et révolutionnaires représentés dans « El Sexto » - puissant témoignage dans lequel il pointait les outrages faits au Pérou sous la dictature de Benavides à travers la dénonciation des conditions d'incarcération dans le grand pénitencier de Lima - mais il n'en demeure pas moins un écrivain engagé et un fervent militant de la cause des Indiens dominés par un système hiérarchique et clanique très féodal : les métis et les grands propriétaires terriens issus de la conquête espagnole d'un côté et les ethnies indiennes de l'autre.

Avec ce bref roman, nous quittons la côte et sa capitale pour une incursion à l'intérieur des terres andines, dans la sierra où vivent les indiens Quechua de la Cordillère des Andes, un voyage magique au sein d'un univers enchanté mais où, là-aussi, le coeur de l'homme s'ombrage dans la violence et la brutalité, à l'image d'une nature aussi puissante qu'exaltante, aussi généreuse que cruelle.
Et c'est bien là que réside la force de ce court texte, non pas tant dans l'histoire que dans l'attrait qu'elle suscite par ses grandioses descriptions d'un monde encore tout imprégné de légendes, de magie, de sortilèges et d'animisme, que José Maria Arguedas, en ardent promoteur de la culture andine, brosse en un tableau flamboyant, restituant ainsi la parole des peuples de la Cordillère à travers leurs coutumes, leurs mythes, leurs rites et leurs folklores.
Ponctué de termes (musicaux, floraux…) et d'expressions quechua, le récit est avant tout une immersion dans le Pérou des traditions nous permettant de découvrir les us et coutumes des communautés indiennes, des costumes traditionnels, aux rituels d'enterrement en passant par les chants et musiques folkloriques….Des populations révélées aussi par le biais de croyances profondément animistes et un grand pouvoir octroyé à la nature sur le comportement de l'homme.

On parle souvent de réalisme magique en parlant de la littérature latino-américaine. On pourrait aisément l'invoquer dans le cas de « Diamants et Silex » tant la réalité la plus brutale vient s'inscrire dans une fiction offrant la saveur et la puissance d'envoûtement des contes, une dualité qui fait d'ailleurs écho aux propres déchirements du pays, longtemps divisé entre le monde traditionnel des communautés andines et le monde hispanophone occidentalisé et moderniste des régions côtières.

José Maria Arguedas n'a jamais cessé d'être tiraillé entre l'indigénisme qu'il évoque dans ses récits et une pensée davantage occidentalisée et adaptée au monde contemporain.
Portée par une écriture puissante, à la fois lyrique et poétique dans les descriptions des décors naturels et au plus près du réel dans la représentation du système archaïque et asservissant du pays, l'oeuvre littéraire de José Maria Arguedas s'inscrit dans le désir d'une identité culturelle péruvienne qui serait issue du métissage entre les deux mondes.
Mais tourmenté par les constants clivages nationaux, les nerfs fragiles, dépressif, l'auteur finira par mettre fin à ses jours en 1969.
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Extrait de la Préface de Mario Vargas Llosa à : "Diamants et Silex" de José María Arguedas.
« Dans les romans de José María Arguedas, sommes-nous encore dans un monde réaliste, celui du romancier-ethnographe, ou bien dans un univers où, suivant les conceptions animistes, les êtres naturels partagent avec les hommes les attributs de l'esprit, et de la sagesse du cosmos vivant ? En effet, dans la réalité fictive d'Arguedas, la musique, une des formes les plus élevées de la vie et de la conscience, est aussi l'expression du sacré naturel, de cette vie lucide et secrète qui bat au sein de la nature. Faire de la musique est une opération magique qui permet d'appréhender l'âme de la vie matérielle et de communiquer avec elle. C'est en ce sens que Diamants et silex est un véritable roman amérindien : et c'est là, au coeur de la nature, que les vingt harpistes et kénistes de la capitale de la province reçoivent un message, charrié par les eaux tumultueuses du grand fleuve:

●“La nuit du 23 juin, les musiciens descendaient le long des ruisseaux torrentiels qui se jettent dans le fleuve principal, ce grand fleuve profond dont les eaux rejoignent la côte.
Là, sous les grandes cataractes que les torrents façonnent dans la roche noire, les harpistes "écoutaient".
C'est la seule nuit de l'année où l'eau, en tombant sur la roche et en roulant dans son lit lustré, crée des mélodies nouvelles !... Chaque maître harpiste a sa paklla* secrète. (* Ou pak'cha, esprit de l'eau, lié au lieu, souvent une cascade ou une source NDA). Là, il s'avance, de face, et il se jette à l'eau, caché sous les panaches des joncs et des grands roseaux musiciens ; certains se suspendent au tronc des poivriers, au-dessus de l'abîme où le torrent se précipite et pleure. le lendemain et pendant toutes les fêtes de l'année qui suit, chaque musicien joue des mélodies jamais entendues, vraiment inouïes, qui nous touchent directement. le fleuve leur a dicté une harmonie nouvelle, droit au coeur.”

●“ Les touffes de genêts parfumaient la campagne nocturne. Les fleurs formaient des taches claires sur les berges du grand fleuve, comme des îlots fantômes ou de petits astres éteints. le déclin de la lune n'assombrissait pas les étoiles du ciel ; elle se rapprochait de la crête diamantine des montagnes, sur un côté du ciel sans nuage ; sous sa lumière paisible les étoiles brillaient sans blesser la vue. Les choses du monde ne s'harmonisent jamais aussi bien que sous cette lumière. La splendeur des étoiles parvient jusqu'au tréfonds, jusqu'à la matière des choses, leur substance intime : les monts et les fleuves, la couleur des bêtes et des fleurs, le coeur humain, dans la transparence ; et tout se confond, tout s'unit grâce à cette splendeur silencieuse. La distance disparaît. L'homme galope mais les astres chantent dans son âme, ils vibrent dans ses mains. le ciel n'est pas lointain. La jeune fille avait cette transparence…”

●“ Don Mariano s'assit au soleil, à la porte de la sellerie. Les abeilles, affairées, poursuivaient leur oeuvre de vie. Les mouches, quant à elles, délaissant un moment leur travail de mort et de résurrection, jouaient sur les plaques humides du sol ; quelques-unes se poursuivaient, se rattrapaient, s'échauffaient ensemble, bourdonnaient sur une fréquence différente de celle des abeilles. Une petite araignée, au corps renflé et aux pattes courtes, avec sa traîne de soie fine, agitait ses petites pattes de devant, presque entièrement cachée derrière une pierre poussiéreuse, aux aguets. le musicien était très attentif aux petites bêtes, il les percevait noyées dans ses propres larmes. « ─ Qu'est-ce qui me fait pleurer, maman ! Qu'est-ce qui me fait pleurer ? » se demanda-t-il en quechua. Et c'était bien le monde qui le faisait pleurer, le monde entier, la demeure magnifique, éprise de l'homme, de sa créature. ”

Il n'existe donc pas vraiment de frontières entre l'humain et la nature ; celle-ci a une âme et la musique qu'elle dicte aux musiciens dans cette fantastique cérémonie nocturne, la veille de la Saint-Jean, est la voix de son esprit(1). Arguedas est un écrivain original, unique, qui a donné au monde quelque chose qui n'existait pas avant lui, un mensonge convaincant où d'autres hommes ─ d'ici ou d'autres géographies, de notre temps ou de l'avenir ─ peuvent reconnaître, dans les visages cuivrés et les jeux criards des petits écoliers, dans la tendresse de ces femmes du peuple des montagnes, chez ces comuneros(2) hiératiques, dans cette faune spirituelle et cette orographie magique, un mythe qui pérennise, une fois de plus, la protestation d'un créateur contre l'insuffisance de la vie. » Mario Vargas Llosa.

(1) [ À ce moment sublime*, subtil, volatil, vite subtilisé, on ressent vraiment, au creux des fibres vivantes du roseau vibrant accordé à la vibration de fond de l'univers, ou sous l'ondulation de la corde, au tremblement de la peau, au « creux néant musicien » de Mallarmé, on ressent enfin cela qu'on pressentait déjà : malgré les apparences, il y a une unité de l'humain, il y a une unité du vivant, il est une unité du créé entier… Une vibration commune anime le tout, qui permet la rencontre de la matière et de l'esprit, système-ensemble traversé par une même Énergie. *(Sublime au sens étymologique : transfrontalier, ce qui va au-delà, comme une porte d'éternité fulgurante et d'infinitude, masse critique en suspend indéfini, esseuillé ─ c'est-à-dire à la fois hors effet de seuil et hors esseulement ─ mais aussi au sens physique, psychanalytique et métaphysique de sublimation). NDLR: Helgé, lglaviano ]
(2) comunero : américanisme du castillan qu'on peut traduire par «villageois» ou «paysan» (notion d'enracinement de l'Indien dans un terroir) ou «communards» (notion de militantisme pour un mode de vie et de structuration sociale héritées des traditions ancestrales amérindiennes), c'est le membre d'un ayllu (foyer, quartier ou communauté indigène). En kechwa on dira : cumunkuna. NDLR: Helgé, lglaviano
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Très joli petit opuscule lu en 2h dans le cadre de Masse Critique, presque une nouvelle, donc.
Il y est questions de musique (harpe), d'indiens et de métis, de maîtres et de serviteurs et de la toute puissance des premiers sur les seconds.
Mariano, jeune indien de la cordillère péruvienne, musicien et simple d'esprit est emmené loin de son village par don Aparicio comme gardien de sa maison et harpiste à son service. Don Aparicio est un jeune maître arrogant qui s'arroge tous les droits, y compris le droit de cuissage des indiennes des environs... Il faut lire la biographie d'Arguedas et la préface de Mario Vargas Llosa pour comprendre ce dont il parle et où il veut en venir, mais cela n'a pas suffi à me convaincre et je n'ai pas du tout été emballée, ni par le style ni par l'histoire... J'essaierai peut-être un autre roman d'Arguedas... Merci à Babelio et aux éditions de l'Herne
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Mariano est une âme simple, un être paisible et silencieux qui subit les événements, se laissant ballotter par la volonté des autres. C'est ainsi qu'à la mort de son père, trois ans auparavant, son frère, méprisant mais aussi craignant vaguement la différence de ce laconique cadet, lui a enjoint de quitter leur andin village natal, et qu'il a débarqué, avec sa harpe et sa crécerelle apprivoisée, dans un bourg situé à plusieurs heures de marche de chez lui. Étrangement, de manière presque surnaturelle, le maître des lieux, Don Aparicio, l'a aussitôt pris sous son aile. Il en a fait le gardien d'une de ses maisons, et lorsqu'il s'y rend, il lui fait jouer des huaynos* et des complaintes quechua. Car l'indien, à qui il donne du "Don Mariano", sait tirer de sa harpe, qu'il accompagne d'une voix basse et profonde, des sons qui apaisent et envoûtent.

L'arrivée dans le bourg d'une jeune fille de Lima, avec son allure modernes et ses blonds cheveux coupés courts, crée des remous au sein de la petite communauté, Don Aparicio entreprenant de la séduire avec ostentation. Il sait pourtant qu'Adélaïde, trop délicate, trop citadine, n'est pas la femme de sa vie... mais cela, Irma, sa principale maîtresse, qu'il a enlevée à ses parents et à son village pour l'installer dans une maisonnette où elle se tient à sa disposition, l'ignore. Jalouse, et craignant de perdre son statut de favorite, elle conclut avec Mariano un marché tacite.

Ce résumé pourrait laisser penser que "Diamants et silex" est un roman dense, riche de rebondissements romanesques... C'est en réalité un très bref ouvrage, dans lequel l'auteur déploie l'art de la concision et de l'ellipse. Les tensions, les obsessions, les quêtes vaines à rendre fou y sont bien présentes, mais elles ne sont pas évoquées directement. On les devine à travers les actes, pourtant eux aussi exprimés avec une économie de mots qui rend leurs motivations parfois obscures, et quelques bribes de pensées comme insérées par inadvertance dans cette intrigue resserrée.

Il y a ainsi dans ce texte une forme de rudesse mais aussi de mystère, qui collent d'ailleurs parfaitement à son propos. José María Arguedas dépeint un univers comme resté figé à l'époque féodale, soumis à des traditions ancestrales et rigides, où règne encore sur les indigènes la domination du conquistador espagnol, dont Don Aparicio, avec ses "laquais", son droit de cuissage et sa brutalité, est le symbole. C'est un monde où subsistent aussi les rituels d'un peuple qui se rattache à ses mythes, entre animisme et superstitions, où l'homme est constamment à l'écoute des signes que lui envoie un environnement naturel omniprésent.

Une jolie découverte...
Lien : https://bookin-ingannmic.blo..
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Je ne savais vraiment pas à quoi m'attendre concernant ce petit ouvrage et pourtant je dois avouer que j'ai été déçue une fois la dernière page tournée.
Sans doute les premières pages me parlaient-elles davantage et étais-je partie vers un imaginaire totalement différent de ce que l'auteur a voulu transmettre.
L'histoire : un homme simple, Mariano, mais harpiste dont on découvre à travers les premières pages l'existence passée et comment il est arrivé à la ville, poussé par la jalousie et la méfiance de son frère aîné qui, à la mort de leur père a su faire peur à sa famille pour que ce simple d'esprit soit pousser vers l'inconnu, sans possibilité de retour. L'évocation de la prime jeunesse de Mariano est l'occasion d'évoquer la vie, les coutumes de ce petit village pauvre dans les montagnes. En amenant Mariano à la ville, c'est un autre univers qui nous est transmis : les différences de castes que l'on retrouve par l'architecture et la géographie de la ville, les comportements des uns envers les autres.
Mariano ayant, par le fruit du hasard échoué dans la vie de Don Aparicio, le fils fortuné de la ville, c'est également l'existence de cet homme-enfant usant et abusant de ses privilèges que José Maria Arguedas nous montre : droit de cuisage, abus de pouvoirs etc. On retrouve tous les travers de l'existence de ses hauts personnages avec un mal être et une insatisfaction chronique vis à vis de l'existence qui vont le pousser à détruire son univers, tel un enfant insatisfait brise son/ses jouet(s) préféré(s) afin de parvenir à ses fins ou par trop déçu de voir que quelque chose pourrait lui échapper.
Si le rendu, l'atmosphère sont ciselés et parlantes, le texte ne m'a pas convaincu et j'aurais certainement aimé une chute différente.

Lien : http://uncoindeblog.over-blo..
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Citations et extraits (6) Voir plus Ajouter une citation
EXTRAITS CIBLÉS DE LA THÈSE DE MARTINE RENS SUR JOSÉ MARÍA ARGUEDAS: http://doc.rero.ch/record/3091/files/these_RensM.pdf/
DIAMANTES Y PEDERNALES, DIAMANTS ET SILEX: 1954, SUITE ET FIN, 2/2:

Violence d'amour-passion, où les forces de vie et les forces de mort s'entremêlent
dans un destin incertain. Le réalisme arguédien avec ses zones mythiques est
toujours très vif; y sont toujours présents les animaux entre autres, le cheval,
symbole du "conquistador" qui accompagnent le récit, en lui conférant une
dimension magique.
Dans cet affrontement, mort, vie, amour, musique, le combat se situe sur le plan
éthique, comme c'était le cas dans Warma kuyay. Quelle en est la ligne de crête?
Il revient à Mariano d'exorciser son maître du péché où l'entraînent ses passions
dévorantes. La patience de Mariano et son inspiration musicale sont les atouts
majeurs. Mais Irma joue, elle aussi, une fonction que nous ne découvrirons qu'à
la mort de Mariano. Son identité communautaire, doublée de son don musical,
car elle joue également de la guitare et chante des huaynos ont ce pouvoir
d'apaisement des antagonismes que don Aparicio ne possède pas, coincé qu'il est
dans l'enchainement du péché et des passions, du remords et de la culpabilité.
Nous retrouvons en cette occasion l'accusation portée contre l'éducation
catholique qui méconnaît la nature humaine que, selon l'écrivain, les Indiens,
eux, ne méconnaissent pas. Mais, nous retrouvons aussi en germe la notion de
responsabilité de don Aparicio envers ses Indiens, avec cette acculturation
présente, cette influence indéniable des valeurs indiennes sur la classe des grands
propriétaires terriens. Où se situe donc l'autorité - non le pouvoir, mais l'autorité?
A l'enterrement de don Mariano, ce sera le varayok qui commandera à don
Aparicio de jeter la terre sur le cercueil. C'est le varayok qui commande en cette
occasion funèbre. De plus, Irma trouvera dans le varayok le secours et
l'assistance dont elle a besoin pour survivre dignement et indépendamment de
son ancien amant.
L'autorité en définitive relève du varayok, assumant sa propre responsabilité,
celle de sa communauté, sans craintes de représailles.
Nous avons vu la progression du champ d'écriture d'Arguedas qui, à partir d'un
petit village, situe l'espace de sa narration passant à la capitale de la province,
Puquio, puis enfin retourne à une petite ville de province où il ne cesse
d'approfondir le caractère de ses personnages, en reprenant des situation
analogues, mais à travers un prisme de plus en plus intérieur.
Nous retrouvons là une démarche arguédienne familière, avec un
approfondissement sinueux, parfois contradictoire, semble-t-il, mais, impliquant
la réalité dans toutes ses dimensions, du visible jusqu'à l'invisible, à travers les
dimensions mythiques et éthiques prépondérantes.
Est-il encore besoin d'insister sur l'aspect poétique de ce long récit où l'harmonie
entre les hommes semble d'abord venir de la Nature et de ses rythmes successifs
garants de cette harmonie-fusion qui s'exerce non seulement sur les Indiens mais
aussi sur les descendants des colonisateurs lesquels vivent à son rythme et en
sont modifiés.
En somme, au terme de ce récit à mi-chemin entre le conte et le roman, nous
retrouvons la thématique arguédienne, axée sur le mythe et les relations entre les
«mistis» (les blancs descendants des colons) et les indigènes, en une opposition larvée dans la plupart des cas, où l'invisible, symbolisé par la spiritualité, va croissant et où la Nature participe toujours plus activement à ces spiritualités, andine et chrétienne, qui s'affrontent symboliquement.

170José María Arguedas: El zorro de arriba y el zorro de abajo, p. 11.
171José María Arguedas: Diamantes y pedernales, p. 33.
172 Ibidem, p. 40.
173 Ibidem, p. 26.
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EXTRAITS CIBLÉS DE LA THÈSE DE MARTINE RENS SUR LA DIMENSION ETHIQUE DE L'OEUVRE NARRATIVE DE JOSÉ MARÍA ARGUEDAS
http://doc.rero.ch/record/3091/files/these_RensM.pdf/

DIAMANTES Y PEDERNALES, DIAMANTS ET SILEX: 1954. DÉBUT:1/2

Nous allons maintenant passer à l'analyse de Diamantes y pedernales, qui voit le
jour après une crise psychologique qu'il a subie en 1944 après un long silence
qu’il relate comme suit dans le journal intime de Los zorros:

"En mayo de 1944 hizo crisis una dolencia psíquica, contraída en la infancia y estuve
casi cinco años neutralizado para escribir"170.

En effet, entre 1941 et 1954, date de parution de ce court roman, l'écrivain en
vient à s'intéresser à la psychologie des forces primitives qui animent l'être
humain. Ici, il ne s'agit plus de confrontation entre l'Indien et le "principal" (notable ou autorité locale), mais bien plutôt de l'amour qu'éprouve don Aparicio, grand propriétaire terrien pour deux femmes, Irma, l'andine, la brune, et Adelaida, la blonde fragile, originaire de la Côte. Inséparable du texte arguédien, la mort réapparait au centre du thème, comme motif de violence incalculable et imprévisible que ressent et provoque don Aparicio.
Pour la première fois, le versant psychologique et existentiel fait irruption avec autant de violence dans le récit arguédien pour dévoiler la notion de spiritualité andine aussi forte sinon plus forte que la spiritualité chrétienne rongée par la notion de péché.

Le versant sexuel aussi est important et, au gré de la création arguédienne, nous
verrons qu'alterne l'analyse socio-historique avec l'analyse du facteur érotique et
sa contrepartie l'amour agapé dans un mouvement pendulaire; il en va ainsi avec
Yawar fiesta et ensuite Diamantes y pedernales où l’élément érotique occupe
une place prépondérante, enfin Todas las sangres et Los zorros où à nouveau le
côté sexuel apparaît comme exacerbé et prépondérant dans un envahissement du
devant de la scène.
Le récit débute avec l'arrivée dans une petite bourgade perdue dans les Andes, de
"upa" ( homme muet) Mariano, chassé de son village par son frère, car simplet.
Et la protection qu'il reçoit de don Aparicio, le grand propriétaire terrien de la
région, touché par son don musical de harpiste. De cette étrange rencontre, où le
principal écoute le harpiste, naît une compréhension hors du commun , entre le
patron et l'indien qui le suit comme son ombre, tout en revendiquant, grâce à la
musique, de partager l'intimité de son âme.
Seul en effet, il peut rassurer le patron en lui jouant des huaynos de son village
éloigné. Mais la condition imposée par son patron est exclusive, ainsi que son
affection d'ailleurs; Mariano ─don Mariano comme don Aparicio nomme l'Indien─
ne devra jouer de son instrument que pour lui, et pour lui seul.
La suite s'inscrit dans le jeu du destin. Le profil du patron, grand, fort, généreux,
mais aussi ombrageux et imprévisible dans son autorité, jaloux dans ses
affections, préfigure don Bruno de Todas las sangres, de même qu'il nous
rappelle don Julián Arangüena de Yawar fiesta, dont il incarne certaines
caractéristiques, parmi lesquelles la violence omniprésente, et qui reste une arme
à double tranchant.
De plus, le grand propriétaire terrien traditionnel est amateur de femmes. Deux
femmes se partagent les faveurs de don Aparicio. Il y a d'abord Irma, la métisse
au charme hiératique, et à la dignité volontaire. Puis au troisième chapitre,
l'arrivée d'Adelaida, qui va déclencher l'amour platonique et absolu, auquel se
mêle un fort sentiment religieux connotant le culte marial. La scène des fleurs
offertes par les comuneros, reflète ce culte de l'amour immatériel, et éthéré de
don Aparicio:

"Las mujeres se acercaron a la joven, una tras de otra, y le fueron entregando los
ramos de flores. El sol hizo brillar su melena rubia. Los diez ramos formaron uno muy
grande en sus brazos. Su rostro fino aparecía entre las flores, resplandeciente de
alegría".171

Mais le personnage le plus profond reste incontestablement celui de la discrète
Irma qui, de par sa force de caractère et sa semi-indépendance émotionnelle vis à
vis de son amant déclenche le désir de ce dernier qu'elle maintient à une juste
distance, où il ne peut la pervertir ni l'asservir. Une fois encore le caractère du
grand propriétaire terrien est irascible et ses émotions sont structurées par rapport
à la domination, le pouvoir et la manipulation, à l'opposé de la spontanéité de
l'élément andin. Rappelons-nous d'autre part qu'Irma elle-même ne se mêle
jamais aux autres amantes, ni à la vie sociale de la ville et les femmes se
demandent qui elle est.

"-¿Qué será pues ella? ¿Qué será pues?", nous rappelant l'interrogation d'Ernesto dans
Los ríos profundos : "¿Qué es pues la gente?"

Jamais, José María Arguedas n'est meilleur que lorsqu'il nous décrit la Nature en
osmose avec l'âme de l'individu, ici Don Aparicio, fou d'amour pour Irma, par
une belle soirée:

"-¡Mi querida, la mejor de mis queridas! ¡Está virgen! Su carnecita dura-hablaba él
mientras el galopar de los veloces caballos excitaba su regocijo, su poderío. Los
bosques de retama perfumaban el campo. Se veían las flores como claras manchas a
las orillas del río. La luna menguante no opacaba a las estrellas, íba acercándose al filo
de los montes en un extremo del cielo despejado; bajo su luz tranquila brillaban las
estrellas, sin herir tanto. Nunca se funden las cosas del mundo como en esa luz. El
resplandor de las estrellas llega hasta el fondo, a la materia de las cosas, a los montes
y ríos, al color de los animales y flores, al corazón humano, cristalinamente; y todo
está unido por ese resplandor silencioso. Desaparece la distancia. El hombre galopa
pero los astros cantan en su alma, vibran en sus manos. No hay alto cielo".172
●“ "-Ma chérie, la meilleure de mes petites chéries! Elle est vierge! Sa chair est ferme! " monologuait-il, tandis que le galop vif des chevaux redoublait son allégresse, sa puissance... Les touffes de genêts parfumaient la campagne nocturne. Les fleurs formaient des taches claires sur les berges du grand fleuve, comme des îlots fantômes ou de petits astres éteints. Le déclin de la lune n’assombrissait pas les étoiles du ciel ; elle se rapprochait de la crête diamantine des montagnes, sur un côté du ciel sans nuage ; sous sa lumière paisible les étoiles brillaient sans blesser la vue. Les choses du monde ne s’harmonisent jamais aussi bien que sous cette lumière. La splendeur des étoiles parvient jusqu’au tréfonds, jusqu’à la matière des choses, leur substance intime : les monts et les fleuves, la couleur des bêtes et des fleurs, le cœur humain, dans la transparence ; et tout se confond, tout s’unit grâce à cette splendeur silencieuse. La distance disparaît. L’homme galope mais les astres chantent dans son âme, ils vibrent dans ses mains. Le ciel n’est pas lointain.
La jeune fille avait cette transparence…”

Vision d'amour plénier, où les distances s'abolissent, l'espace se constituant
comme champ du sacré. Histoire simple en apparence, car l'enchaînement
arguédien -amour, sexe, péché- va entraîner don Aparicio bien au-delà du connu.
L'ordre symbolique est en marche, et seule la musique que joue le harpiste don
Mariano conjure les hantises et la violence du patron, qui semblent lui constituer
une seconde personnalité.
La guitare, dont joue rarement Irma, atténue aussi la solitude ontologique du
patron qu'elle réaffirme dans son identité plénière. Dans la relation don Mariano / don
Aparicio se tisse une dialectique d'échanges d'où la revendication indienne
est absente. La seule certitude consiste en la reconnaissance par don Aparicio de
la capacité de Mariano de consoler son âme. Il lui attribue d'ailleurs le
qualificatif de "illa", que nous retrouverons dans Los ríos profundos, c'est à dire
de "rayon bénéfique", qui adoucit un patron dont la solitude est tourmentée:

"Don Aparicio continuó hablando desde la escalera. Don Mariano de pie, con la
cabeza descubierta, le oía y le seguía con los ojos. Los lacayos de Lambra habían
comprendido ya, por la figura, por los ademanes del músico, que era medio "upa", que
era 'illa tocado' por algún rayo benéfico".173

A partir de cette protection matérielle du patron, et en échange, de la protection
spirituelle procurée par l'Indien, se lit en filigrane le rôle idéal du "conquistador"
d'autrefois idéalisé, vécu dans un accord d'échanges réciproques, rôle que l'auteur
reprendra avec le personnage de don Bruno, dans Todas las sangres, rôle
historique par ailleurs contesté dans ce dernier roman comme manquant de
fondement.
La sensibilité muette de l'Indien incarne l'exacerbation de cette même sensibilité,
que seuls les êtres profondément dépendants peuvent éprouver, sans espoir de
contrepartie, envers celui qui les domine. Nous comprenons l'affirmation
d'Arguedas dessinant l'univers semi-féodal compact, existant, où la forte identité
indienne est affirmée culturellement, au fil des pages, d'une manière implicite.
Cependant la jalousie, la possessivité et la rigidité de don Aparicio vont être les
facteurs qui déclencheront la mort de don Mariano, lorsque celui-ci, après avoir
rencontré Irma chez elle va jouer de sa harpe un soir, en présence de don
Aparicio, dans l'espoir d'éloigner la jeune Adelaida des pensées de don Aparicio.
Le drame alors éclate. Don Aparicio, fou furieux de découvrir que Mariano
connait son "amante" et a fait fi de son ordre de ne jouer de l'instrument que pour
lui, le chasse hors de la petite maison d'Irma et, de retour chez lui, finit par le
tuer.
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La nuit du 23 juin, les musiciens descendaient le long des ruisseaux torrentiels qui se jettent dans le fleuve principal, ce grand fleuve profond dont les eaux rejoignent la côte.
Là, sous les grandes cataractes que les torrents façonnent dans la roche noire, les harpistes « écoutaient ».
C’est la seule nuit de l’année où l’eau, en tombant sur la pierre et en roulant ses éclats brillants, crée des mélodies nouvelles !...
Le lendemain et pendant toutes les fêtes de l’année qui suit, chaque harpiste joue des mélodies inédites.
Le fleuve leur a dicté une harmonie nouvelle, droit au cœur.
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L'Apurimac est sillonné par les fleuves les plus profonds et les plus mélodieux du Pérou ; des fleuves anciens, puissants, aux flots d'acier, qui ont découpé les Andes dans leur partie la plus haute -silex et diamants- et ont forgé des abîmes aux rives desquels l'homme tremble, ivre de vertige, en contemplant les eaux argentées qui s'écoulent sous les arbres suspendus.
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Irma n'avait pas une vraie maison ; ce n'était qu'une "boutique". Les boutiques n'ont pas de vestibule ni de grand patio ; elles n'ont qu'une porte, que les chevaux ne franchissent pas. Le cavalier qui entre dans une boutique laisse son cheval dans la rue, devant la porte.
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