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Citations sur Les fleuves profonds (12)

Les maisons que mon père louait était les moins chères du quartier du centre : sol de terre battue, murs de torchis nus ou badigeonnés d’argile. Une lampe à pétrole nous éclairait. Les pièces étaient grandes. Les musiciens se mettaient dans un coin. Les harpistes indiens fermaient les yeux pour jouer. La voix de la harpe semblait naître de l’obscurité qu’elles ont dans le corps ; et le charango formait un tourbillon qui gravait dans la mémoire les paroles et la musique des chants.
Mais quand les détails d’un village commençaient à faire partie de la mémoire, mon père décidait de changer d’endroit
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Plus d'un étranger pleurait sur les chemins et les cols parce qu'il avait perdu son temps, soir après soir, à boire de la chicha et à chanter jusqu'au jour.
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Sur les hauteurs andines, la lumière transperce les éléments : l’homme domine l’horizon et lui fait enfin la culbute ; ses yeux boivent la clarté et l’univers entier le pénètre.
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“La rivière, le terrible Pachachaca, apparaît soudain en un tournant plat, en bas d’un précipice où ne poussent que des liserons bleus et où viennent se reposer les grands perroquets voyageurs qui s’accrochent aux lianes et s’appellent à grands cris à travers l’espace. On dirait un fleuve d’acier fondu, bleu et souriant malgré sa solennité et sa profondeur.
Debout sur le rebord du grand pont, appuyé à l’une des croix de pierres qui dominent la pile centrale, je le contemplais.
Oui ! Il me fallait être semblable à cette rivière imperturbable et cristalline, semblable à ses eaux victorieuses. Comme toi, Pachachaca, beau cheval à la crinière brillante, éternel et indomptable, qui avances le long du plus profond des chemins.”
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En tant qu'enfant, tu vois des choses que les grandes personnes ne voient pas
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COMMENTAIRE CRITIQUE DE MARTINE RENS SUR LOS RÍOS PROFUNDOS: La quête d'identité. (1958), SUITE 1/2:
http://doc.rero.ch/record/3091/files/these_RensM.pdf/

La répression de l’Église et de l'armée:
Comme la description du Vieux, la description du père Linares, s'établit sur la
base de détails parcimonieusement livrés au lecteur, mais qui révèlent l'être, en
son âme, en son essence, pourrait-on dire. C'est ainsi qu'Arguedas nous décrit la
stratégie du père Linares, prononçant son discours aux Indiens, qu'il commence
avec une voix douce, et qu'ensuite il poursuit avec une voix métallique, un peu
comme le Vieux, pour impressionner ensuite son auditoire et le réduire à la
terreur qu'il exalte au-dessus de tout autre sentiment. Portrait qu'analyse Saül
Yurkievich:

"Piénsese en el Padre Director, del cual Arguedas nos da un retrato activo... es un
clérigo a la española, un descendiente de los inquisidores, un mantenedor del orden
tradicional, que hace alianza con los fuertes y los ricos, que predica en las haciendas
en pro de la sumisión del indio a sus señores. Arguedas no lo condena ni lo salva, lo
representa".199

L'attitude du père Linares n'est jamais vraiment éclaircie tout au long du roman,
où tour à tour, selon les situations qui se présentent à lui, il montre un visage non
seulement différent, mais parfois opposé. Dans cette perspective, Ernesto se
demande " si el Padre Linares tiene varios espíritus".
A la fin du roman, lorsqu'Ernesto montre le cadeau de Palacitos, la pièce en or,
avec au recto, le visage de l'Inca et son panache, le père pris d'inquiétude pour
cet enfant, dont la sensibilité lui échappe de toutes parts, lui demande les yeux
troublés:

"-¿Las robaste, hijo?- me preguntó.
Era sabio y enérgico; sin embargo su voz temblaba; -siglos de sospechas pesaban
sobre él, y el temor, la sed de castigar. Sentí que la maldad me quemaba.
-Lea, Padrecito -le dije- Es un regalo de mi amigo. Ya debe estar en su pueblo".200

L'enfant éloigné de son père, s'efforce de comprendre, de décoder l'information
antagonique des deux systèmes de communication qui s'affrontent à Abancay.
Effectivement bien avant son arrivée à la ville, Ernesto, en vivant dans des
vallées andines parmi les indiens, avait enregistré les différences et les nuances
avec son propre univers. Aussi, vit-il son éducation dans l'internat d'Abancay
comme une rupture violente avec tout son système personnel de références, ce
qui amène le père Linares, après la répression de la révolte des métisses, à lui
dire:

"Tú eres una criatura confusa".201

Ernesto bien évidemment appartient simultanément aux deux cultures, bien que
de fait, il ne participe qu'à une, l'andine, à travers son zumbayllu, emblème par
excellence de la culture de l'altiplano. Néanmoins dans son for intérieur, il ne sait
s'il aime plus le fleuve Pachachaca, qui incarne la culture indigène, ou s'il préfere
le pont construit par les espagnols:

"El puente del Pachachaca fue construido por los españoles... Yo no sabía si amaba
más al puente o al río. Pero ambos despejaban mi alma, la inundaban de fortaleza y de
heroicos sueños. Se borraban de mi mente todas las imágenes plañideras, las dudas y
los malos recuerdos".202

Comme le fait remarquer William Rowe, la position d'Ernesto n'est pas clarifiée
durant le récit. L'enfant oscillera dans sa stratégie identitaire, entre l'aspect de
séduction que le père Directeur adoptera à son égard, et la fluidité des nombreux
visages que ce dernier simule en diverses circonstances, à travers un discours
négatif vis à vis des indiens.
Mais la certitude vient du zumbayllu dont l'étymologie métisse, "zumbar" =
vibrer, et "yllu" est le sujet du chapitre VI de Los ríos profundos. Il symbolise
l'union enfin réalisée dans la conception même de l'objet, et le défi lancé par son
utilisation au sein du Collège, plus précisemment dans les patios, espaces
maléfiques par excellence.
C'est une espèce de "totem, de symbole mystique" selon Roberto Armijo, qui
condense toutes les forces vives de l'enfant, pour lutter contre le mal
omniprésent. Le mal contre lequel les chicheras ont relevé un défi d'envergure
celui-là, en accaparant le sel des grands propriétaires terriens, et en le répartissant
entre femmes des plus pauvres, les colonos de Patibamba, qui ne savent même
pas comment l'accepter.
Le geste de doña Felipa constitue, à lui seul, une provocation énergique et sobre,
tandis que la répression se résume en un mot, un seul, du côté du pouvoir:
"escarmiento" (punition) mot prononcé par le père Linares!
Seul le troisème volet du pouvoir peut mener à bien cette fonction: l'armée. C'est
ainsi qu'Ernesto apprend, par le père Directeur, l'arrivée du régiment venu
réprimer l'action étonnament insolente des métisses.
Au Cuzco déjà, puis à Abancay, Ernesto commence à s'acheminer vers une
compréhension du système du pouvoir. C'est pourquoi il demande à Palacitos,
fils d'Indien:

"- ¿Para qué sirven los militares? - le dije sin reflexionar.
- ¿Para qué? - me contestó, de inmediato, sonriendo - Para matar pues. Estás
disvariando.
- ¿El también? ¿ El Prudencio también?". 203

Et l'armée fait son entrée à Abancay. Sur la place chauffée à blanc, le saxofone,
emblème de l'Espagnol, résonne intensément:

"En esa plaza caldeada, el saxofón tan intensamente plateado, cantaba como si fuera el
heraldo del sol; sí, porque ningun instrumento que mestizos e indios fabrican tienen
relación con el sol". 204

Parallèlement nous avons la trilogie formée par le propriétaire terrien avare,
dont le type est le Vieux, qui physiquement, une fois debout, se révèle tout petit,
"casi un enano"; par le père Linares aux humeurs multiples, et l'armée, qui
impressionne les filles, Salvinia et Alcira. La hiérarchie s'achève sur le contraste
entre le silence du pongo de "l'hacienda" de Patibamba et les cris que soulève
l'arrivée de l'armée et de la fanfare, sur la grand place d'Abancay.
Cependant la répression s'organise de manière à ce que l'événement ne se
reproduise plus. Le spectaculaire l'emporte, dans le châtiment humilliant du fouet
pour les révoltées:

"- Están zurrando a las chicheras en la cárcel –dijo-. Algunas han chillado duro, como
alborotando. Dicen que las fuetan en el trasero, delante de sus maridos. Como no
tienen calzón les ven todo. Muchas han insultado al Coronel, en quechua y en
castellano. Ya ustedes saben que nadie en el mundo insulta como ellas. Les han
metido excremento en la boca. ¡Ha sido peor, dicen! Insultos contra vergazos es la
pelea".205

Avec l'arrivée de l'armée à Abancay et le rapprochement d'Antero, el Mark'aska
et de Gerardo Gerardo, le fils du commandant constate l'éloignement et la
trahison de son ancien ami, par rapport aux Indiens. Ainsi Ernesto connaît-il la
solitude profonde, celle que personne ne vient plus interrompre.
La conscience de son refus de l’évolution d’Antero sonne le glas des illusions
d'Ernesto et met en valeur sa tentative de communication privilégiée ainsi que la
possibilité de réconciliation avec le secteur des grands propriétaires terriens de la
société qui a abouti à un échec.
La décision finale d’Ernesto d'enterrer dans le patio le zumbayllu représente la
croyance que seule la terre peut oeuvrer dans le sens de la pacification et de la
purification, puisque l'union entamée a finalement échoué, et représente son
appartenance indéfectible, à la mythologie andine.


L'invasion de la peste et l'arrivée des colonos:
A la fin du récit qu'imprègne l'approche de la mort sous la forme de la peste,
avec sa cohorte de poux, on attend l'arrivée des colonos des quinze "haciendas"
que rien ne peut arrêter; Arguedas nous fait rencontrer la mort, au travers de
l'apparition concrète et implacable des poux:

"Llegarían a Huanupata, y juntos allí, cantarían o lanzarían un grito final de harahui,
dirigido a los mundos y materias desconocidos que precipitan la reproducción de los
piojos, el movimiento menudo y tan lento, de la muerte. Quizá el grito alcanzaría a la
madre de la fiebre y la penetraría, haciéndola estallar, conviertiéndola en polvo
inofensivo que se esfumará tras los árboles. Quizá".206

Jusqu'à la fin du récit, le père Linares se méprendra sur les réactions complexes
de l'adolescent, tant sur sa vision syncrétique de la vie que sur ses motivations
profondes.
Ernesto, lui, prolonge dans son imaginaire sa vision mythique et magique de la
peste:
"Quizá en el camino encontraría a la fiebre, subiendo la cuesta. Vendría disfrazada de
vieja, a pie o a caballo. Ya yo lo sabía. Estaba en disposición de acabar con ella. La
bajaría del caballo lanzándole una piedra en la que hubiera escupido en cruz; y si
venía a pie, la agarraría por la manta larga que lleva flotante al viento. Rezando el
Yayaku, apresaría su garganta de gusano y la tumbaría, sin soltarla; la lanzaría
después, desde la cruz, a la corriente del Pachachaca. El espíritu purificado de doña
Marcelina me auxiliará".207

Cette vision incarnée de la peste relève, une fois encore, du pouvoir de la Nature
mêlé à celui de l'homme - telle que la décrit William Rowe:

"Es una visión cosmocéntrica más que una visión antropomórfica y muy diferente de
la visión "roussoniana" que opone e idealiza la naturaleza frente a las imperfecciones
de la sociedad humana. La naturaleza se halla además entrelazada a la idea de magía.
Para la mente india no existe separación entre la magia y el mundo natural. La
naturaleza tiene poderes sobrenaturales, poderes que están localizados recíprocamente
en el hombre".208

199 Saül Yurkievich: Art.cit., p. 244.
200 José María Arguedas: Los ríos profundos, p. 292.
201 Ibidem, p. 163.
202 Ibidem, p. 99.
203 Ibidem, p. 259.
204 Ibidem, p. 219.
205 Ibidem, p. 195-96.
206 Ibidem, p. 305.
207 Ibidem, p. 295.
208 William Rowe: Art. cit., p. 274.
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De Cangallo, nous nous dirigeâmes vers Huamanga, à travers la pampa des Indiens morochucos. Cavaliers à visages d'Européens; voleurs de bestiaux légendaires, les Morochucos descendent des soldats excommuniés d'Almagro qui se réfugièrent dans cette pampa froide, apparemment inhospitalière et stérile. Ils jouent du charango et du wak'rapucu, enlèvent leurs femmes et parcourent la steppe sur des petits chavaux qui courent comme des vigognes.
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COMMENTAIRE CRITIQUE DE MARTINE RENS SUR LOS RÍOS PROFUNDOS: La quête d'identité. (1958), SUITE ET FIN 2/2:
http://doc.rero.ch/record/3091/files/these_RensM.pdf/
Ainsi Ernesto s'imagine-t-il pouvoir rencontrer au détour d'un chemin la peste
elle-même; il se sent la mission et la force de l'affronter et de la tuer, grâce à son
pouvoir et à celui conjugué de "la opa", doña Marcelina.
Quant au père Linares, voyant les colonos déferler sur Abancay pour entendre la
messe qui les délivrera de la peste, il finit par décider de célébrer celle-ci:

"Bajo el sonido feo de las campanas de Abancay estarían llegando los colonos. No
percibí, sin embargo, ningún ruido de pasos, ni cantos, ni gritos durante largo rato.
Los animales comunes tienen cascos que suenan en el empedrado de las calles o en el
suelo; el colono camina con las plantas de sus pies descalzos, sigilosamente. Habrían
corrido en tropel silencioso hacia la iglesia. No oiría nada en toda la noche.
Estuve esperando. Fue una misa corta. A media hora, después de que cesó el repique
de las campanas, escuché un rumor grave que se acercaba.
-¡Están rezando! -dije".209

Los colonos ont réussi dans leur action: la messe a été dite. Ils s'en vont alors,
rassurés, en priant à haute voix. Mais qu'advient-il d'Ernesto?
Nous savons qu'il va quitter le Collège avec l'accord de son père et rejoindre
"l'hacienda" du Vieux. De toute façon, la progressive purification et unification
avec les forces du bien auxquelles il s'identifie, de même que la perspective du
voyage qu'il va réaliser après avoir vécu des événements qui l'engageaient
socialement, représentent sa définitive adhésion au monde andin comme la
certitude de sa responsabilité personnelle. Le bouquet qu'il offre à son départ à
Salvinia, symbole de la femme idéale, signifie son renoncement à ses rêves
concernant Abancay:

"Hice el ramo de lirios en la plaza... El ramo sólo tenía tres flores, y lo llevé con
cuidado, como si fuera la suavidad de las manos de Salvinia...¡Es para ti, Salvinia,
para tus ojos! dije en la sombra de las moreras. ¡Color del zumbayllu, color del
zumbayllu! ¡Adiós, Abancay!".210

Le départ d'Ernesto coïncide avec la fin de son initiation de jeune adolescent et
de sa quête de la beauté et du bien qu'il mêle inextricablement. L'attitude
d'Ernesto envers la Vierge semble représenter aussi la ferveur qui anime la
population envers cette dernière, alors que le Christ paraît concentrer en lui la
souffrance et la crainte du peuple andin face à la Conquête et à la colonisation.
La geste d'Ernesto s'apparente à celle des futurs adultes que nous rencontrerons -
dans les autres romans - Todas las sangres et Los zorros, dans lesquels la quête
d'un équilibre social s'organisera autour d'une lente assomption spirituelle de
l'univers andin, puis de certaines valeurs chrétiennes, enracinées au coeur du
péruvien. La richesse littéraire et poétique de Los ríos profundos comme nous
venons de le voir, ne vient-elle pas précisément que chaque strate de la réalité se
trouve cernée dans sa mouvance et sa possibilité d'évolution au sein de la société
péruvienne. ***

209 José María Arguedas : Los ríos profundos, p. 304.
210 Ibidem, p.253.

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La terre maintenant devait se muer en or, et pas seulement les murs et la ville et les clochers, le parvis et les façades que j'avais vus, mais moi-même avec eux.
La voix de la cloche se fit de nouveau entendre, et il me sembla voir devant moi l'image de mes protecteurs, les alcades indiens don Maywa et don Victor Pusa à genoux devant l'église de torchis blanchie à la chaux de mon village, dans la lumière d'un crépuscule qui chantait plus encore qu'il ne resplendissait.
Sur les térébinthes les aigles, les wamanchas redoutés, dressaient la tête pour se saouler de lumière. Je savais que la voix de la cloche s'entendait à cinq lieues à la ronde : sur la place, ce devait être insoutenable. Mais non : elle s'élevait lentement, à longs intervalles, et son chant s’amplifiait, bravait les éléments jusqu'à ce que tout se transformât en cette musique cuzquègne qui ouvre les portes de la mémoire.
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L'Amaru Cancha, palais de Huayna Capac, était une ruine et son fronton s'effritait. La rue était droite et nette, sans rigidité. Si elle n'avait pas été si étroite, on aurait pu distinguer les arêtes rectilignes des pierres. Elles ne grouillaient pas, elles ne parlaient pas, n'avaient pas la force énergétique de celles qui jouaient entre elles dans le mur de l'Inca Roca.
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