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Critique de JulienDjeuks


Manie du jugement mais surtout manie de la condamnation, Philocléon (Cléon, le politicien détesté d'Aristophane) et les guêpes qui la symbolisent n'ont qu'une fonction : celle de piquer, ici graver profondément la condamnation. Pas de miel de réconciliation, pas de transcendance ni de vertu éducative... Condamner moralement, punir sévèrement, semble avoir un but égoïste : se prouver sa force, jouir de celle-ci, et renouveler la virginité de son âme. Plus on condamne fort, plus on se gorge de l'illusion de sa propre innocence (même mécanique mise en évidence par Albert Londres dans Au bagne). Être celui qui juge n'est-il pas le meilleur moyen d'échapper au jugement ? La faculté de juger n'est-elle jamais qu'incarnation d'un sadisme, défoulement, sommet de la faculté critique, sentiment de supériorité ? La manie du vieux, une fois sortie du contexte sérieux d'un cas judiciaire, est montrée comme l'addiction qu'ont les hommes à vouloir exercer un pouvoir de domination sur les autres, à posséder le destin d'inférieurs dans ses mains. Et Aristophane ridiculise cette passion en montrant comme elle se réalise dans la manière dont on peut traiter les chiens (dans un procès parodique qui fait penser aux absurdes procès d'animaux qui auront lieu au Moyen-Âge).

Ces juges populaires, non spécialistes, ne sont en rien différents des citoyens-spectateurs qui critiquent âprement les pièces d'Aristophane (et s'indignent d'une critique de personnalités populaires comme Cléon ou comme Socrate dans Les Nuées). Ne sont-ce pas pareillement des jugements à la va-vite mettant en danger l'art ambitieux comme les juges improvisés mettent en danger la démocratie ? Ils se laissent aller au mouvement le plus facile, applaudir ce qui est populaire, condamner ce qui ne l'est pas, condamner ce que la voix dominante propose de condamner. Critiquer et se moquer même des gens les plus populaires, n'est-ce pas entretenir la liberté d'expression et le débat, se prémunir de l'emprise de la démagogie ? Ces juges rapides sont l'incarnation de cette classe intéressée qui rend possible le pouvoir du tyran, comme le décrit La Boétie dans son Discours de la servitude volontaire. Dans l'exagération satirique, Aristophane fait d'eux des esclaves du pouvoir, donnant de l'autorité à la parole dominante, celle de Cléon, en échange d'une paye indigente : bien peu de choses mais qui suffisent à dévoyer le juste, à faire pencher la balance intérieure… Mais privilège quand même de partager avec le pouvoir la jouissance perverse d'avoir droit de vie et de mort sur ses semblables.
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