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Critique de Osmanthe


Un grand roman de Sawako Ariyoshi, disparue au début des années 1980, que l'éditeur qualifie de Simone de Beauvoir des lettres japonaises. J'ai découvert avec surprise en toute fin de roman que le personnage masculin principal, le Dr Seishû Hanaoka, a réellement existé (1760-1835). Ce médecin est réputé pour être le premier à avoir pratiqué une opération chirurgicale sous anesthésie générale, qui était aussi la première de retrait d'une tumeur du sein. L'auteur nous livre d'ailleurs sa vraie biographie succédant aux événements qu'elle relate, qui eux sont inventés. Elle nous livre en fait ici une grande fresque familiale, celle des Hanaoka, se déroulant sur une quinzaine d'années autour de 1800, dans leur demeure près d'Osaka.

Deux fils conducteurs coexistent et s'enchevêtrent pour former la trame de cette passionnante histoire. D'une part, donc, une ambition masculine, la volonté de Umpei / Seishû (son prénom plus noble) de devenir un médecin célèbre. D'autre part, une rivalité impitoyable entre deux femmes : sa mère Otsugi et son épouse Kaé.
Si le patriarche de la famille Naomichi meurt assez vite, au début de l'histoire sa femme Otsugi porte beau sa cinquantaine d'années, faisant l'admiration de Kaé elle-même, future femme de son fils qu'elle a elle-même choisie. Car elle est bientôt mariée à Seishû par procuration, le jeune homme étudiant la médecine à l'université. Jusqu'à ce qu'il revienne trois ans plus tard, les relations entre les deux femmes sont idylliques. Mais au retour de Seishû, un véritable bras de fer s'installe entre la mère et la bru pour s'accaparer ses faveurs. L'ambiance est vénéneuse, irrespirable, faite de joutes verbales. Aucune ne veut céder, chacune faisant assaut de courage zélé pour se porter cobaye de Seishû…qui obnubilé par la réussite de ses recherches médicales, en profite pour les accepter toutes deux dans ce rôle.

C'est que Seishû a beaucoup expérimenté durant plusieurs années sur des chiens et chats qu'il fait venir sur le domaine. Entre disparitions, infirmités, souffrances et morts cruelles, ces animaux-objets sont bien tristes à voir. Mais ils font progresser Seishû dans la mise au point d'un anesthésiant parfait qui permettrait d'opérer des cancers. La famille a d'ailleurs vu partir d'un cancer du sein Okatsu la soeur aînée…
Tour à tour, Kaé et Otsugi vont livrer leur corps d'humaines à la science de Seishû, mais il y aura un prix à payer pour elles dans cette dangereuse aventure, et avant qu'une autre soeur, Korikku, n'expire d'un angiome au cou sans même que Seishû ne puisse (le mal est avancé), ou ne veuille intervenir. Sur son lit de mort, cette femme qui assume de ne s'être jamais mariée jettera ses dernières forces dans des propos aux airs de proclamation féministe rageuse.
Car si Seishû finira par obtenir la notoriété, certes au service des autres et d'une noble cause, ne lui a-t-il pas sacrifié les femmes de sa vie ?

Ariyoshi nous propose là une oeuvre forte, qui a été adaptée à l'écran au Japon. Mais il y a du théâtre dans ses dialogues d'anthologie entre Kaé et Otsugi ! Son style classique est remarquable. Elle partage m'a-t-il semblé cette qualité d'écriture avec d'autres de ses contemporains comme Inoué ou Endô. En outre, comme chez le premier on y trouve une finesse psychologique chez ses personnages féminins (on pense au fusil de chasse), femmes qui déploient une force de caractère hors du commun, en véritables piliers de la famille, et comme chez le second un traitement précis des sujets médicaux (La mer et le poison, la fille que j'ai abandonnée). La voix féministe d'Ariyoshi est assez courageuse dans cette société, encore cadenassée par un machisme ambiant à peine moins prégnant aujourd'hui.

Une riche découverte qui donne envie de découvrir les quelques célèbres romans traduits en français de l'auteure, pétris de qualités si l'on en juge par les notes recueillies ici même.
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