Aimé acquiesça en souriant, et je l'observai tandis qu'il versait de la bière dans nos verres.
C'était lui, maintenant, qui évitait mon regard. J'admirais sa haute taille, ses larges épaules, ses bras musclés. Je les imaginai autour de moi, et j'en éprouvai une telle envie qu'elle devint une souffrance.
Je respirai profondément et m'obligeai à regarder autour de moi.
Je n'osai pas expliquer à mon amie la raison de la sévérité de mon grand-père. Ce fut à mon tour de soupirer. Devrais-je payer toute ma vie la faute de ma mère ?
Ainsi débuta notre amitié. J'appris bientôt qu'elle était, comme moi, une réfugiée dans le village. Ce statut fit de nous, tout de suite, des étrangères, malgré les efforts de madame Flore pour nous intégrer à la classe. Toutes les autres filles se connaissaient, et nous considéraient avec un mélange de curiosité, de commisération, et, pour les plus sottes, de dédain.
Blottie contre sa poitrine rassurante, en suçant le sucre d'orge qu'elle venait de me donner, je finis par me calmer. Sa présence me disait que, si la méchanceté existait, l'amour et la tendresse existaient aussi, et je me sentis réconfortée.
Pourquoi chercherais-tu à retrouver cet homme qui n'a pas voulu de toi ? Il ne mérite aucune attention de ta part. Et puis, à mon avis, cela ne t'apporterait que des désillusions. Peut-être est-il marié, peut-être a-t-il d'autres enfants. Tu apporterais la perturbation dans sa vie, et il te repousserait une nouvelle fois. S'il l'avait voulu, depuis tout ce temps, il aurait pu, lui, te retrouver.
Entre mon grand-père et moi, rien n'avait changé. Nous ne nous voyions pas davantage. Seuls les repas nous réunissaient, et aucune intimité ne se créait entre nous. Je grandissais, je devenais une jeune fille, et j'avais l'impression que mon grand-père observait cette transformation avec une réticence mêlée d'appréhension.
Mon arrivée subite dans le village attirait les plus curieuses, qui me posaient des questions auxquelles Césarine répondait à mots couverts ; elle expliquait que ma mère avait été victime de l'incendie d'Orchies. J'étais trop jeune pour comprendre l'ampleur de ce drame, et personne n'osait me dévoiler la cruelle vérité. Dans mon esprit, ma mère et ma grand-tante étaient ailleurs, à cause de la guerre, et je les retrouverais plus tard.
C'est un livre qui nous apprend pas mal de choses sur la vie, les métiers... de l'époque, et notamment sur le nord de la France.