Je ne peux accepter l’idée que ces braves gens que je photographie puissent être d’horribles criminels. Chaque fois que l’un d’eux pose devant moi, je ne vois que des hommes simples, honnêtes et je n’éprouve aucune crainte, même pas la plus petite appréhension. Il me semble que dans le cas contraire j’aurais un pressentiment, que des sentiments de répulsion, de terreur se manifesteraient.
Le brigadier ne dit rien, porta la main à son bicorne, commença de s’éloigner puis revint sur ses pas :
— Ne le prenez pas mal, mais permettez ce conseil : lorsque vous ferez entrer un de ces anciens mobiles dans votre voiture laissez la porte ouverte, que chacun au-dehors puisse voir ce qui se passe à l’intérieur. On n’a pas l’habitude par ici qu’une jeune et… jolie femme s’enferme avec un homme. D’autant plus que si la lumière vous fait défaut le temps de pose s’en allonge d’autant.
Parfois une femme en coiffe catalane, avec un visage à jamais durci par le travail de la terre, le regard méfiant à force de trop de misères, égarée, intruse dans cette illusion d’un passé révolu, l’attristait pour des heures. Jean, chaque année, ravivait les contours des fauteuils et canapés, les petites dames emperruquées. La couleur qui bien sûr n’apparaissait pas ensuite était nécessaire pour enchanter les gens. Certains vendaient des photographies repeintes, mais eux, les Terras-son refusaient.
La mort, même violente d’un homme, d’un habitant du même village pour aussi dramatique qu’elle fût ne bouleversait pas autant les règles d’une vie terrienne ancestrale. On ne se souvenait que d’un seul cas où dans un moment de folie un certain Garquès avait abattu quelques moutons de son voisin, pour une raison obscure. Sinon les animaux vivaient en dehors des passions humaines, surtout ceux ayant une valeur marchande.
Ce n’était plus son mari, ni son beau-frère, ni ses neveux par alliance qui attendaient là-bas derrière la porte de la bergerie. On ne reste pas enfermé tandis qu’on tue ses vaches sans être devenu autre chose qu’un homme, une créature indifférente qui ne peut plus entendre, voir, sentir. Un être horrible qu’elle ne pouvait approcher. Le mot de cadavre ne lui venait pas à l’esprit. Celui de mort-vivant si !
Elle essaya de lire un ouvrage que Jean appréciait, Madame Bovary, mais l’abandonna. Ce livre sans l’effaroucher la mettait mal à l’aise. Jean lui avait dit que l’héroïne trompait son mari, finirait dans le crime et le suicide. Pourquoi restait-elle avec lui dans ce cas et ne s’enfuyait-elle pas ?
Chronique consacrée aux grands noms de la littérature policière, et animée, depuis octobre 2018, par Patrick Vast, dans le cadre de l'émission La Vie des Livres (Radio Plus - Douvrin).
Pour la 26ème chronique, le 12 décembre 2018, Patrick présente Georges J. Arnaud.
Patrick Vast est aussi auteur, notamment de polars. N'hésitez pas à vous rendre sur son site : http://patricksvast.hautetfort.com/
Il a également une activité d'éditeur. À voir ici : https://lechatmoireeditions.wordpress.com/
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