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Critique de CritiqueOuest


La quête de l'immortalité chez Proust et Cocteau

"Proust contre Cocteau"

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Ce titre nettement tranché pourrait laisser croire que Proust et Cocteau se sont opposés en tout. En réalité Claude Arnaud montre ce que la gémellité a comporté en expressions différentielles, marquant ainsi le caractère unique de l'un et l'autre.

Tous deux progénitures de mères qui craignent de ne pas les avoir tout à fait finis, d'une sensibilité extrême - comme Romain Gary qui évoque après eux la promesse d'un absolu d'amour jamais tenue en comparaison de l'amour inaugural maternel -, homosexuels, ayant usé les bancs du lycée Condorcet, bourgeois adorant les mondanités, habités par la création, tiraillés par le besoin de reconnaissance, Proust et Cocteau à première vue se reconnaissent, semblables à s'y méprendre.
Mais leurs esthétiques diamétralement opposées, l'une minimaliste, sans cesse désépaissie, moderne, l'autre accueillie d'abord comme une prose documentaire verbeuse tout juste publiée à compte d'auteur, ne font déjà pas mystère. C'est la fin d'une époque que retranscrit l'un qui ne connaîtra que la IIIe République et cultivera une fascination pour l'atmosphère second Empire, son aristocratie qui lui semble un apogée social, et l'appel du futur pour l'autre qui traversera à pas de course deux Républiques et la naissance du 7ème Art.

De 1909 ou 1910 jusqu'à la mort de Cocteau qui survit à son aîné presqu'un demi siècle, Arnaud retrace les contours d'une relation faite tantôt de communion et d'admiration, tantôt engluée dans la matière d'un amour collant à l'odeur suffocante de vapeurs de reproches, ou qui ne tient qu'à l'invocation du spectre de l'autre, disparu.

Avec la manière gracile de celui qui s'est beaucoup frotté au beau et à ses techniques, Claude Arnaud démontre que le point final de la relation n'a jamais pu être posé, et qu'entre Cocteau et Proust la théorie de la brouille littéraire est infiniment mince devant les sacrifices qu'imposent la création littéraire anthropophage, et la conception toute personnelle de l'Art. Pour avoir été les meilleurs amis, s'aidant, se lisant, se cooptant, se cajolant, Proust et Cocteau se devaient d'être les meilleurs ennemis extravagants, passionnés, vindicatifs, jaloux, mesurés à dessein quand l'autre attendait de l'exaltation … comme un vieux couple en crise, en proie à des différends irréconciliables.

En effet, si Cocteau est l'enfant radieux du couple, un éthéré protéiforme, à la vingtaine créative, qui incarne la modernité dans les salons mondains de l'époque, sa précocité artistique renvoie Proust au temps précieux de sa jeunesse (il a alors quarante ans) qu'il n'a pas su saisir. Voilà donc les Origines du projet de reconquête obsessionnelle des strates temporelles que nous connaissons aujourd'hui sous le nom de « La Recherche du temps perdu ». La ligne de faille de l'amitié est donc la temporalité, le rythme.
Quand l'un est dans l'immédiateté, la sociabilité et semble percer le mystère de l'Art total en saisissant sans distinction et avec un talent égal la poésie, le dessin, la musique et la danse, l'autre, envieux, décide de s'ensevelir dans une chambre capitonnée pour se recentrer sur lui-même et faire jaillir des souvenirs révolus et susciter la Littérature.

Alors c'est la théorie de l'immortalité littéraire qui finit par s'imposer. Proust, largement promu par son ami Cocteau abondant dans l'éloge, commence à connaître le succès avec "Du côté de chez Swann". le renvoi d'ascenseur est glaçant : Proust s'assure son immortalité en tuant éditorialement celui qui le premier crie à son génie, laissant Jean inconsolé de l'antique Petit Marcel si peu sûr de lui.

Un essai tout à fait passionnant murmurant, à côté de ces portraits croisés, la petite histoire du « Contre Sainte-Beuve » qui a planté les jalons du structuralisme en Littérature.
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