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EAN : 978B007ID26DQ
(01/12/1998)
5/5   1 notes
Résumé :
MARK ROTHKO PAR DANIEL ARASSE - ST. BORDARIER - CH ROBERT-TISSOT - IOSIF KIRALY - ARC CONCEPTUEL EN CROATIE - LITTERATURE - WILL SELF - PAROLES DE SINGE - BERNARD BAZILE
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Jacques Henric
Art Press International, n°8, juin 1977.

Le dissipateur

« Nul sans ailes n’a le pouvoir de saisir ce qui est proche. » Hölderlin

Étrange place que celle de Marcelin Pleynet dans ce qui aujourd’hui fait modernité ! Au cœur même des débats, des manifestations littéraires et artistiques les plus avancées, les plus aiguës, et pourtant toujours décalé, à côté, ailleurs, comme absent.
En 1973 paraît un très beau livre de Pleynet : Stanze. Portant comme sous-titre : Incantation dite au bandeau d’or. Frappant comment dans l’élan du souffle même se produit une parole comme effet décalé. Artaud s’essayant à définir ce que pourrait être une nouvelle poésie cherchait précisément du côté de l’incantation: « chant avec voix décalée », écrit-il. On a maintenant dans l’oreille les formidables psalmodies d’Artaud : l’irruption et le fracas de la contradiction dans le plein de la langue.

A-t-on entendu, dans Stanze, la contradiction au comble de l’écart et de la tension, travailler de façon nouvelle l’écriture, et faire chant ?

Étrange place que celle de Pleynet ! Sûr que si je voulais me payer quelque succès auprès d’un certain nombre de mes contemporains occupés, chacun à sa façon, d’art moderne, je n’aurais qu’à leur dire, enfin, qui et où est Marcelin Pleynet. Mais s’est-on aperçu que c’est lorsqu’on cherche Pleynet qu’il est, toujours, en voyage ? En 1972, à Cerisy, lors du colloque Artaud Bataille, Pleynet a parlé voyages. « Les voyages eux aussi sont la mesure que rien ne saurait plus rester sur place. » Et Pleynet continue, citant Artaud : « l’homme intérieur a sa géographie qui est une chose matérielle ». Et pourtant, d’être ailleurs, comme absent, décalé, à côté, qu’est-ce qui fait, ici, vérité dans ce que Pleynet écrit ?
La géographie a son importance. On le sait, tout a vite fait de prendre racine et faire village. Les avant-gardes et l’art moderne aussi bien. Pleynet revient avec insistance sur cette question. Lisez Art et Littérature. Le nationalisme, l’esprit de clocher, la terre natale, la mère-patrie, les archaïsmes, la xénophobie, en un mot tous les vestiges du pétainisme en France, du fascisme en France, sont ses cibles. Il donne à voir, à entendre tout ce qui fait régression. Mais si l’ailleurs, l’à côté, l’hétérogène, l’étranger commence à prendre, cherchez Pleynet… Car il est entendu qu’il faut s’en tenir à tout instant au maintenant, à l’ici. Maintenant et ici à travers lesquels Joyce voyait l’avenir plonger vers le passé.

Étrange place. Curieux voyages. Drôle de langue qu’écrit Pleynet ! Vous le croyez parti aux États-Unis, il revient de Venise. Vous le pensez à Florence, il arrive de Chine. Vous vous dites il va parler politique, il est question de gymnastique. Vous l’invitez à disserter sur la peinture, il part sur l’économie ou l’antisémitisme. Vous l’interrogez sur l’avant-garde, il répond sur Giorgione. Vous lui demandez ce qui l’intéresse dans le passé culturel, il vous expliquera que c’est ce qui permet de comprendre ce geste-ci de Motherwell, ce texte-là de Sollers. Écrivant sur la peinture, c’est de Schoenberg ou Cage dont il est question. Sur la musique, et voilà des considérations sur la généalogie ou la religion. Sur le théâtre, et il traite de la poésie, des voyages, du peyotl, de l’asile… S’est-on rendu compte, cependant, qu’à chaque fois, il est au plus près de ce qui fait la peinture, la musique, le théâtre, la danse, la poésie… ?
Drôle de langue : écartée entre ce lent mouvement spiralé des textes dits théoriques et cette écriture fragmentée, tassée, « étrangement cylindrée », comme la qualifiera Sollers, des textes dits de fiction.

La géographie pour Pleynet n’est pas seulement un parcours horizontal, en surface. De ville en ville. C’est aussi une archéologie. Et une histoire. Relisons Stanze. Jusqu’où la langue descend. Ce qu’elle déplace. De langues, de cultures, de rêves. Cette langue proche de celle qu’appelait Nietzsche : faite de vent et de dégel!
Et la culture de Pleynet ? Pas banale non plus ! Énorme, minutieuse, précise, diversifiée. Il y a les « fiches » de Pleynet. Et faite pour quoi ? Faite pour être en quelques pages brûlées. Stanze c’est ça cette incandescence-là cette trace-là de ce qui est immédiatement consommé et dépensé. Un travail de dissipateur, pour reprendre encore une expression de Nietzsche. Un affrontement à une certaine puissance de destruction de la réalité.
Autre paradoxe : les objets à partir desquels parfois Pleynet écrit le passionnent et, en même temps, il n’en a que faire, comme objets. Pas de fascination, pas de fétichisation ; (le marché de la peinture, il le prend pour ce qu’il est, sans crispation. Il l’analyse, il le connaît, il s’en amuse). D’où ce livre, Art et Littérature ; le moins dogmatique, le plus ouvert qui soit. Pleynet d’ailleurs s’en explique dans l’entretien qui suit [entretien repris dans Transculture (1979)]. On le verra, il y est souvent question de Freud. Pleynet écrit sur ce qui le touche. Banal ? Peut-être. N’empêche que dans un moment d’inflation du discours critique universitaire dont le trissotinisme n’a l’air de faire sourire personne, dans une période où le plus informe bafouillis, la plus morne scatologie, la plus débile gesticulation se donnent des allures de dangereuse subversion, c’est plutôt singulier. Demain cela pourrait devenir une forme de courage. En définitive, où est Pleynet ? Cherchez-le du côté de sa propre langue. Pas dans les notes en bas de pages des revues qui le plagient sans le nommer. Pas dans les palmarès ni les distributions de prix. Il n’y est pas. C’est qui est sa façon d’être un peu là.

J’oubliais : connaissez-vous le rire de Pleynet ? Eh bien, cherchez-le aussi dans son rire, Pleynet ; puisque ce rire il est, aussi, dans son écriture, un peu là.
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