AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Oeuvres complètes (Antonin Artaud) tome 4 sur 29
EAN : 9782070297610
392 pages
Gallimard (05/09/1978)
4.12/5   4 notes
Résumé :
Ce volume contient deux textes essentiels d'Antonin Artaud qui sont comme l'aboutissement et la conclusion de tout ce qu'il a écrit à propos du spectacle.
Le Théâtre et son double est le manifeste qui a inspiré les expériences les plus modernes du théâtre contemporain. Artaud a jeté là les bases de toute une «physique» du théâtre tel qu'il le conçoit. Il doit rompre avec «la dictature exclusive de la parole», c'est-à-dire du texte, du dialogue et des descript... >Voir plus
Que lire après Oeuvres complètes, tome 4Voir plus
Citations et extraits (39) Voir plus Ajouter une citation
DEUXIÈME LETTRE

Paris, 28 septembre 1932.

À J. P.

Cher ami,
Je ne crois pas que mon Manifeste une fois lu vous puissiez persévérer dans votre objection ou alors c’est que vous ne l’aurez pas lu ou que vous l’aurez mal lu. Mes spectacles n’auront rien à voir avec les improvisations de Copeau. Si fort qu’ils plongent dans le concret, dans le dehors, qu’ils prennent pied dans la nature ouverte et non dans les chambres fermées du cerveau, ils ne sont pas pour cela livrés au caprice de l’inspiration inculte et irréfléchie de l’acteur ; surtout de l’acteur moderne qui, sorti du texte, plonge et ne sait plus rien. Je n’aurais garde de livrer à ce hasard le sort de mes spectacles et du théâtre. Non.

Voici ce qui va en réalité se passer. Il ne s’agit de rien moins que de changer le point de départ de la création artistique, et de bouleverser les lois habituelles du théâtre. Il s’agit de substituer au langage articulé un langage différent de nature, dont les possibilités expressives équivaudront au langage des mots, mais dont la source sera prise à un point encore plus enfoui et plus reculé de la pensée.

De ce nouveau langage la grammaire est encore à trouver. Le geste en est la matière et la tête ; et si l’on veut l’alpha et l’oméga. Il part de la nécessité de parole beaucoup plus que de la parole déjà formée. Mais trouvant dans la parole une impasse, il revient au geste de façon spontanée. Il effleure en passant quelques-unes des lois de l’expression matérielle humaine. Il plonge dans la nécessité. Il refait poétiquement le trajet qui a abouti à la création du langage. Mais avec une conscience multipliée des mondes remués par le langage de la parole et qu’il fait revivre dans tous leurs aspects. Il remet à jour les rapports inclus et fixés dans les stratifications de la syllabe humaine, et que celle-ci en se refermant sur eux a tués. Toutes les opérations par lesquelles le mot a passé pour signifier cet Allumeur d’incendie dont Feu le Père comme d’un bouclier nous garde et devient ici sous la forme de Jupiter la contraction latine du Zeus-Pater grec, toutes ces opérations par cris, par onomatopées, par signes, par attitudes, et par de lentes, abondantes et passionnées modulations nerveuses, plan par plan, et terme par terme, il les refait. Car je pose en principe que les mots ne veulent pas tout dire et que par nature et à cause de leur caractère déterminé, fixé une fois pour toutes, ils arrêtent et paralysent la pensée au lieu d’en permettre, et d’en favoriser le développement. Et par développement j’entends de véritables qualités concrètes, étendues, quand nous sommes dans un monde concret et étendu. Ce langage vise donc à enserrer et à utiliser l’étendue, c’est-à-dire l’espace, et en l’utilisant, à le faire parler : je prends les objets, les choses de l’étendue comme des images, comme des mots, que j’assemble et que je fais se répondre l’un l’autre suivant les lois du symbolisme et des vivantes analogies. Lois éternelles qui sont celles de toute poésie et de tout langage viable ; et entre autres choses celles des idéogrammes de la Chine et des vieux hiéroglyphes égyptiens. Donc loin de restreindre les possibilités du théâtre et du langage, sous prétexte que je ne jouerai pas de pièces écrites, j’étends le langage de la scène, j’en multiplie les possibilités.
Commenter  J’apprécie          00
LETTRES SUR LA CRUAUTÉ

PREMIÈRE LETTRE

Paris, 13 septembre 1932.

À J. P.

Cher ami,
Je ne puis vous donner sur mon Manifeste des précisions qui risqueraient d’en déflorer l’accent. Tout ce que je peux faire c’est de commenter provisoirement mon titre de Théâtre de la Cruauté et d’essayer d’en justifier le choix.

Il ne s’agit dans cette Cruauté ni de sadisme ni de sang, du moins pas de façon exclusive.

Je ne cultive pas systématiquement l’horreur. Ce mot de cruauté doit être pris dans un sens large, et non dans le sens matériel et rapace qui lui est prêté habituellement. Et je revendique, ce faisant, le droit de briser avec le sens usuel du langage, de rompre une bonne fois l’armature, de faire sauter le carcan, d’en revenir enfin aux origines étymologiques de la langue qui à travers des concepts abstraits évoquent toujours une notion concrète.

On peut très bien imaginer une cruauté pure, sans déchirement charnel. Et philosophiquement parlant d’ailleurs qu’est-ce que la cruauté ? Du point de vue de l’esprit cruauté signifie rigueur, application et décision implacable, détermination irréversible, absolue.

Le déterminisme philosophique le plus courant, est, du point de vue de notre existence, une des images de la cruauté.

C’est à tort qu’on donne au mot de cruauté un sens de sanglante rigueur, de recherche gratuite et désintéressée du mal physique. Le Ras éthiopien qui charrie des princes vaincus et qui leur impose son esclavage, ce n’est pas dans un amour désespéré du sang qu’il le fait. Cruauté n’est pas en effet synonyme de sang versé, de chair martyre, d’ennemi crucifié. Cette identification de la cruauté avec les supplices est un tout petit côté de la question. Il y a dans la cruauté qu’on exerce une sorte de déterminisme supérieur auquel le bourreau suppliciateur est soumis lui-même, et qu’il doit être le cas échéant déterminé à supporter. La cruauté est avant tout lucide, c’est une sorte de direction rigide, la soumission à la nécessité. Pas de cruauté sans conscience, sans une sorte de conscience appliquée. C’est la conscience qui donne à l’exercice de tout acte de vie sa couleur de sang, sa nuance cruelle, puisqu’il est entendu que la vie c’est toujours la mort de quelqu’un.
Commenter  J’apprécie          00
4/
P.-S. — Ce qui appartient à la mise en scène doit être repris par l’auteur, et ce qui appartient à l’auteur doit être rendu également à l’auteur, mais devenu lui aussi metteur en scène de manière à faire cesser cette absurde dualité qui existe entre le metteur en scène et l’auteur.

Un auteur qui ne frappe pas directement la matière scénique, qui n’évolue pas sur la scène en s’orientant et en faisant subir au spectacle la force de son orientation, a trahi en réalité sa mission. Et il est juste que l’acteur le remplace. Mais c’est alors tant pis pour le théâtre qui ne peut que souffrir de cette usurpation.

Le temps théâtral qui s’appuie sur le souffle tantôt se précipite dans une volonté d’expiration majeure, tantôt se replie et s’amenuise dans une inspiration féminine et prolongée. Un geste arrêté fait courir un grouillement forcené et multiple, et ce geste porte en lui-même la magie de son évocation.

Mais s’il nous plaît de fournir des suggestions concernant la vie énergique et animée du théâtre, nous n’aurions garde de fixer des lois.

Certes le souffle humain a des principes qui s’appuient ! tous sur les innombrables combinaisons des ternaires kabalistiques. Il y a six ternaires principaux, mais des innombrables combinaisons de ternaires puisque c’est d’eux que toute vie est issue. Et le théâtre est justement le lieu où cette respiration magique est à volonté reproduite. Si la fixation d’un geste majeur commande autour de lui une respiration précipitée et multiple, cette même respiration grossie peut venir faire déferler ses ondes avec lenteur autour d’un geste fixe. Il y a des principes abstraits mais pas de loi concrète et plastique ; la seule loi c’est l’énergie poétique qui va du silence étranglé à la peinture précipitée d’un spasme, et de la parole individuelle mezzo voce, à l’orage pesant et ample d’un chœur lentement rassemblé.

Mais l’important est de créer des étages, des perspectives de l’un à l’autre langage. Le secret du théâtre dans l’espace c’est la dissonance, le décalage des timbres, et le désenchaînement dialectique de l’expression.
Commenter  J’apprécie          00
TROISIÈME LETTRE

Paris, 9 novembre 1932.

À. J. P.

Cher ami,
Les objections qui vous ont été faites et qui m’ont été faites contre le Manifeste du Théâtre de la Cruauté concernent les unes la cruauté dont on ne voit pas très bien ce qu’elle vient faire dans mon théâtre, du moins comme élément essentiel, déterminant ; les autres le théâtre tel que je le conçois.

En ce qui concerne la première objection je donne raison à ceux qui me la font, non par rapport à la cruauté, ni par rapport au théâtre mais par rapport à la place que cette cruauté occupe dans mon théâtre. J’aurais dû spécifier l’emploi très particulier que je fais de ce mot, et dire que je l’emploie non dans un sens épisodique, accessoire, par goût sadique et perversion d’esprit, par amour des sentiments à part et des attitudes malsaines, donc pas du tout dans un sens circonstantiel ; il ne s’agit pas du tout de la cruauté vice, de la cruauté bourgeonnement d’appétits pervers et qui s’expriment par des gestes sanglants, tels des excroissances maladives sur une chair déjà contaminée ; mais au contraire d’un sentiment détaché et pur, d’un véritable mouvement d’esprit, lequel serait calqué sur le geste de la vie même ; et dans cette idée que la vie, métaphysiquement parlant et parce qu’elle admet l’étendue, l’épaisseur, l’alourdissement et la matière, admet, par conséquence directe, le mal et tout ce qui est inhérent au mal, à l’espace, à l’étendue et à la matière. Tout ceci aboutissant à la conscience et au tourment, et à la conscience dans le tourment. Et quelque aveugle rigueur qu’apportent avec elles toutes ces contingences, la vie ne peut manquer de s’exercer, sinon elle ne serait pas la vie ; mais cette rigueur, et cette vie qui passe outre et s’exerce dans la torture et le piétinement de tout, ce sentiment implacable el pur, c’est cela qui est la cruauté.
Commenter  J’apprécie          00
TROISIÈME LETTRE

Paris, 16 novembre 1932.

À M. R. de R.

Cher ami,
Je vous avouerai ne pas comprendre ni admettre les objections qui ont été faites contre mon titre. Car il me semble que la création et la vie elle-même ne se définissent que par une sorte de rigueur, donc de cruauté foncière qui mène les choses à leur fin inéluctable quel qu’en soit le prix.

L’effort est une cruauté, l’existence par l’effort est une cruauté. Sortant de son repos et se distendant jusqu’à l’être, Brama, souffre, d’une souffrance qui rend des harmoniques de joie peut-être, mais qui à l’extrémité ultime de la courbe ne s’exprime plus que par un affreux broiement.

Il y a dans le feu de vie, dans l’appétit de vie, dans l’impulsion irraisonnée à la vie, une espèce de méchanceté initiale : le désir d’Eros est une cruauté puisqu’il brûle des contingences ; la mort est cruauté, la résurrection est cruauté, la transfiguration est cruauté, puisqu’en tous sens et dans un monde circulaire et clos il n y a pas de place pour la vraie mort, qu’une ascension est un déchirement, que l’espace clos est nourri de vies, et que chaque vie plus forte passe à travers les autres, donc les mange dans un massacre qui est une transfiguration et un bien. Dans le monde manifesté et métaphysiquement parlant, le mal est la loi permanente, et ce qui est bien est un effort et déjà une cruauté surajoutée à l’autre.

Ne pas comprendre cela, c’est ne pas comprendre les idées métaphysiques. Et qu’on ne vienne pas après cela me dire que mon titre est limité. C’est avec cruauté que se coagulent les choses, que se forment les plans du créé. Le bien est toujours sur la face externe mais la face interne est un mal. Mal qui sera réduit à la longue mais à l’instant suprême où tout ce qui fut forme sera sur le point de retourner au chaos.
Commenter  J’apprécie          00

Videos de Antonin Artaud (55) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Antonin Artaud
Le 10.04.2024, pour “La Grande librairie” (France 5), Alain Damasio évoquait “Van Gogh le suicidé de la société” d'Antonin Artaud.
autres livres classés : romanVoir plus
Les plus populaires : Littérature française Voir plus


Lecteurs (20) Voir plus



Quiz Voir plus

Testez vos connaissances en poésie ! (niveau difficile)

Dans quelle ville Verlaine tira-t-il sur Rimbaud, le blessant légèrement au poignet ?

Paris
Marseille
Bruxelles
Londres

10 questions
1219 lecteurs ont répondu
Thèmes : poésie , poèmes , poètesCréer un quiz sur ce livre

{* *}