Respirez à fond, matelots ! Emplissez vos poumons de l'air salé de la Méditerranée, cette bonne vieille mer où pullulent corsaires, pirates, français, espagnols, barbaresques, vénitiens et j'en passe, tous s'entretuant et se poursuivant dans un joyeux et sanglant bordel. En cette belle année de 1627, nous quittons le plancher des vaches pour embarquer en compagnie de nos vieux amis, le capitaine Alatriste et Iñigo Balboa, sur la galère « le Mulâtre ». A leurs côtés, nous allons vivre encore de nombreuses aventures : abordage d'une galiote turque, mise à sac d'un village maure, balade dans les bordels et les tripots de Naples, coup de poing à Malte, course poursuite d'un bout à l'autre du golfe, etc… Tout cela en très charmante compagnie, à savoir celle de galériens luisants de sueur, de marins crasseux comme des cochons, de turcs aux longues barbes, de chevaliers maltais et, en général, de la fine fleur de l'armée et de la marine espagnole – qui, à défaut de sentir la rose au bout de trois mois en mer, fait merveille dès qu'il s'agit de tailler de l'infidèle en morceaux, de pendre leurs semblables et d'envoyer des têtes à coups de canon !
Pour ce sixième tome des aventures du stoïque capitaine, Perez Reverte nous entraîne vers de nouveaux horizons, ceux agités et violents de la Méditerranée du XVIIe siècle. Ayant un petit faible pour les romans marins, je ne m'en plaindrais pas, tout au contraire. Pourtant il est bien noir et bien sordide, ce nouveau tome… La violence y règne partout, maitresse absolue des hommes et des nations. On a droit à tout : viols, massacres, boucheries, affrontements navales presque cauchemardesques où la chair humaine est martyrisée, réduite à une bouillie sanglante et informe. C'est l'occasion également pour l'auteur d'introduire de nouveaux personnages, notamment celui – très sympathique – du maure Guttiero, mercenaire étranger qui décidera sur un coup de tête de lier son sort à celui du capitaine. Quelques petits défauts ça et là : notamment un aspect un peu décousu avec une intrigue moins dense que celles des tomes précédents et un Iñigo qui se paye un complexe d'Oedipe légèrement agaçant. Pour autant, cet opus reste très agréable à lire avec quelques beaux morceaux de bravoure (Baston !) et une ambiance qui va en s'assombrissant.
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Corsaires du levant marque à nouveau une transition. Nous ne sommes plus à Madrid mais sur la galère «la Mulâtre » à sillonner la Mediterranée à la poursuite des Turcs (et sous ce vocable on désigne finalement pas mal de monde, Barbaresques, Infidèles, bref ennemis de sa très catholique majesté). Un monde tout aussi cruel que les champs de bataille des Flandres. Les batailles navales sont de véritables boucheries, chacun taille, tranche, décapite, éventre à qui mieux mieux. La vielle haine qui oppose Espagnols et infidèles est soigneusement entretenue de part et d'autres. Mais si à l'occasion on peut tomber sur des Anglais, c'est aussi bien, pas de quartiers. L'Espagne qui trahit ses soldats, les abandonne, doit non seulement faire face aux Turcs mais également aux Anglais, Français, etc.
Quelle vie abominable pour ce soldats oubliés sur des terres hostiles. Encore ceux-là sont-ils chanceux face aux galériens. Pauvres diables condamnés à subir le fouet et les cadences infernales des galères espagnoles. Tous ces combattants enragés ne songent qu'à s'étriper, oubliant compassion ou générosité car même lorsque l'ennemi crie grâce, la mort s'abat. Tous ? Non, le capitaine Alatriste sait encore faire la part des choses. C'est en secourant une jeune Berbère violée par des soldats de son pays qu'il va faire la connaissance d'un nouveau personnage fort attachant que nous devrions revoir très prochainement. Et ce nouveau compagnon est fort bienvenu car j'avoue que le jeune Inigo m'a considérablement agacée dans ce dernier volet. Une crise d'adolescence un peu tardive sans doute, mais enfin il n'a que 17 ans…
Ce dernier volume m'a donc ravie, malgré la violence et la noirceur de l'histoire (la fin est fort poignante).
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Je commençais d'être un peu lassé par la série des Alatriste : le précédent, le Gentilhomme au pourpoint jaune, en particulier, réutilisait des ficelles usées jusqu'à la corde (ah ah) : l'intrigue de cour, les Nemesis increvables, les duels, la poèsie, les sicaires... Cela donnait l'impression de relire un livre qu'on aurait déjà lu plusieurs fois mais dont on aurait oublié les détails. J'ai presque hésité à me plonger dans Corsaires du Levant, du coup. J'ai bien fait de céder, car quel beau roman ! Je n'aurais pas eu besoin de rajouter mon avis en-dessous de celui de Cédric, si je l'avais partagé en tous points. Contrairement à lui et à la plupart de nos commentateurs, j'ai été subjugué par ce récit maritime, tout entier dédié à la Méditerranée, cette grande flaque sur laquelle toutes les civilisations voisines se croisent, se mélangent et se battent depuis des temps immémoriaux.
J'ai eu l'impression de vivre avec Alatriste et son jeune compagnon, le narrateur, sur la galère. de dormir dans la crasse, mangé par les poux et le sel marin, de sentir les odeurs rances montant des bancs des galériens, d'entendre le fouet claquer sur le dos de la chiourme, tout en guettant l'apparition sur l'horizon de voiles turques et mauresques. Les passages de bataille sont d'une violence épique à nouer les tripes, tout autant que la description de la vie en garnison sur la côte africaine en fait ressortir le côté solitaire et désespéré. Certes, Alatriste passe au second plan, mais c'est bien normal car en plus d'être un récit d'aventures maritimes, une peinture de l'âme espagnole, un constat désabusé des facteurs intemporels de décadence des civilisations occidentales, et une ode aux lettres classiques espagnole, les Corsaires du Levant, à travers le personnage d'Inigo, est en plus un roman d'apprentissage et du passage à l'age adulte. Finalement, si ce roman se démarque de la série, c'est en bien, car il lui permet de se renouveler, dans le style comme dans les personnages (leur caractère, leurs relations).
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Personne n'avait demandé au capitaine Robert Scrutton et à ses pirates de venir se mêler de nos querelles ; ces intrus étaient de trop, et les éliminer à Lampudesas n'avait rien été de plus qu'une formalité, un acte d'hygiène familiale, une manière de nous débarrasser de tiques, de nous consacrer à notre véritable affaire : Turcs, Espagnols, Barbaresques, Français, morisques, juifs, Maures, Vénitiens, Génois, Florentins, Grecs, Dalmates, Albanais, renégats, corsaires… Tous voisins, autour de la même cour. Tous gens de même espèce, pour lesquels il n'y avait rien d'insensé à partager un verre de vin, un rire, une insulte imagée et bien sentie, une plaisanterie macabre, avant de se crucifier ou d'échanger des têtes à coups de canon, en faisant concours d'imagination et de fureur. Avec notre bonne vieille et solide haine méditerranéenne. Car on ne s'égorge jamais avec autant de plaisir que quand on se connaît trop bien.
En quarante-cinq ans de vie, il avait beaucoup tué, et il était conscient qu'il tuerait encore plus avant que n'arrive le jour de payer à son tour. Non. Le problème était différent, et le vin aidait à le digérer, ou à le vomir ; la certitude glacée que chaque pas qu'il faisait dans l'existence, chaque coup d'épée donné à gauche ou à droite, chaque écu gagné, chaque goutte de sang qui tachait ses vêtements, formaient un brouillard gluant, une odeur qui collait pour toujours à sa peau, comme celle d'un incendie ou d'une guerre.
- Il y avait aussi des gens honorables, dit-il : des nouveaux chrétiens sincères, fidèles sujets du roi. J'en ai connu qui étaient soldats dans les Flandres. En plus, ils étaient utiles et travailleurs. Il n'y avait parmi eux ni hidalgo, ni coquins, ni moines, ni mendiants... En cela, c'est vrai, ils ne semblaient pas espagnols.
Au moins avons-nous été, pour étonner l'histoire, une poignée d'espagnols qui avons su nous défendre chèrement à la face du monde, combattant jusqu'à ce qu'aucun de nous ne reste debout. Mais nous n'avons fait que notre métier, sans rien savoir de gouvernements, de philosophies, ni de théologies. Pardieu ! Nous étions des soldats.
Après l'échec de leur dispersion, à la suite des guerres de Grenade et des Alpujarras, et du fait de l'inefficacité de la politique de conversion tentée par Philippe III, trois cent mille morisques - chiffre énorme pour une population de neuf millions d'âmes - s'étaient installés sur les côtes vulnérables du Levant et de l'Andalousie, presque jamais sincèrement chrétiens, toujours indociles, ingouvernables et orgueilleux - ce qui prouve qu'ils n'en restaient pas moins des Espagnols -, rêvant à la liberté et à l'indépendance perdues ; refusant de s'intégrer dans cette nation catholique forgée depuis tout juste un siècle.
Il n'avait ni patrie ni roi, mais une poignée d'hommes fidèles.
Ils ne cherchaient pas la gloire, seulement à apaiser leur faim.
Ainsi naquit le mythe. Ainsi se raconte une légende.
Après avoir été banni du royaume de Castille par le roi Alphonse VI, Ruy Díaz vend, au mieux offrant, les services de sa troupe de soldats dévoués. Dans cette lutte pour la survie en territoire hostile, sa force de caractère et ses faits d'armes lui vaudront rapidement le surnom de Sidi Qambitur, maître triomphateur.
Avec son talent habituel, Arturo Pérez-Reverte nous plonge dans l'Espagne du XIe siècle, celle des rois rivaux, des batailles sanglantes et des jeux d'alliances entre chrétiens et Maures. Loin du mythe manichéen du Cid patriote, Sidi est le portrait d'un chef de guerre hors pair, d'un formidable meneur d'hommes et d'un stratège au sens de l'honneur inébranlable. Un roman haletant, épique et magistral, une immersion au coeur de l'Histoire.
Traduit de l'espagnol par Gabriel Iaculli
« Un récit magnifique, du pur Pérez-Reverte. » El Mundo
Arturo Pérez-Reverte, né à Carthagène, Espagne, en 1951, a été grand reporter et correspondant de guerre pendant vingt et un ans. Avec plus de vingt millions de lecteurs, il est l'auteur espagnol le plus lu au monde, et plusieurs de ses romans ont été portés à l'écran. Il partage aujourd'hui sa vie entre l'écriture et sa passion pour la navigation. Il est membre de l'Académie royale d'Espagne.
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