- Supposez qu'il soit pris d'une crise de militarisme. Supposez qu'il soit en train de former une armée. Supposez qu'il entraine à des manœuvres militaires. Supposez...
- Supposons que vous alliez vous mettre la tête sous le robinet. Vous devez avoir des cauchemars en technicolor.
Powell revint au premier robot de la rangée et lui donna un coup sur la poitrine. "Toi ! Tu m'entends ?"
La tête du monstre s'inclina peu à peu et ses yeux se fixèrent sur l'homme. Puis d'une voix rugueuse, pareille à celle d'un antique phonographe, il grinça : "Oui, maître !"
Powell adressa à son compagnon un sourire sans joie. " Tu as entendu ? A l'époque, on pensait que l'usage des robots serait interdit sur la Terre. Pour combattre cette tendance, les constructeurs introduisaient dans leurs fichues machines de bons complexes d'esclaves parfaitement stylés.
("Cycle fermé")
Les couteaux sont munis de manches afin de pouvoir être manipulés sans danger, les escaliers possèdent des rampes, les fils électriques sont isolés, les autocuiseurs sont pourvus de soupapes de sûreté - dans tout ce qu'il crée, l'homme cherche à réduire le danger. Parfois, la sécurité obtenue est insuffisante en raison des limitations imposées par la nature de l'univers ou la nature de l'esprit humain. Néanmoins, l'effort a été fait.
Considérons un robot simplement comme un dispositif de plus. Il ne constitue pas une invasion sacrilège du domaine du tout-puissant, ni plus ni moins que le premier appareil venu. En tant que machine, un robot comportera sûrement des dispositifs de sécurité aussi complets que possible. Si les robots sont à ce point perfectionnés qu'ils peuvent imiter le processus de la pensée humaine, c'est que la nature de ce processus aura été conçue par des ingénieurs humains qui y auront incorporé des dispositifs de sécurité.
– J'ai consacré ces deux jours à une introspection concentrée dont les résultats se sont révélés fort intéressants. J'ai commencé par la seule déduction que je me croyais autorisé à formuler. Je pense, donc je suis !
– Par Jupiter ! gémit Powell. Un Descartes robot !
– C'est qui, ce Descartes ? s'inquiéta Donovan. Il faut vraiment qu'on reste à écouter les balivernes de ce maniaque en fer-blanc ?
– Tais-toi, Mike !
– Et une question, poursuivit Cutie, imperturbable, s'est aussitôt présentée à mon esprit : quelle est la cause exacte de mon existence ?
La mâchoire de Powell s'affaissa : « Ne sois pas idiot. Je te l'ai déjà dit : c'est nous qui t'avons fabriqué.
– Et si tu ne veux pas nous croire, c'est avec le plus grand plaisir qu'on te réduira en pièces détachées ! »
Quelques citations/extraits du recueil de nouvelles Les Robots (1950) d’Isaac Asimov (Édition J’ai Lu, 2012) traduit de l’anglais par Pierre Billon :
• « Oui. À vos yeux, un robot est un robot. Des engrenages et du métal ; de l’électricité et des positrons. De l’intellect et du fer ! Construit par la main de l’homme ! Et si nécessaire, détruit par la main de l’homme ! Mais comme vous n’avez pas travaillé avec des robots, vous ne les connaissez pas. Leur souche est plus pure que la nôtre, et meilleure. » (Susan Calvin au journaliste) p. 20
• « Six mois plus tard, les deux hommes avaient changé d’avis. Les ardeurs d’un soleil géant avaient cédé la place aux ténèbres ouatée de l’espace, mais les changements survenus dans les conditions extérieures ont peu d’influence sur le contrôle de qualité des robots expérimentaux. Quel que soit le fond du décor, on ne trouve face à l’indéchiffrable cerveau positronique, dont les sorciers de la règle à calculer assurent qu’il devrait se comporter de telle et telle manière. » (Raison) p. 73.
• « Ces engins possédaient un cerveau spécial qui respectait les Trois Lois — une obligation essentielle, tous à l’U.S. Robots, de Robertson lui-même au nouveau balayeur, y tenaient. QT-1 offrait donc toute sécurité ! Pourtant… les modèles QT étaient les premiers du genre, et ce spécimen le premier de sa gamme. Les gribouillages mathématiques sur le papier ne constituaient pas toujours la protection la plus rassurante contre les mystères de « l’âme » robotique. » (Raison) (à propos de Cutie, un robot qui pense qu’il n’a pas été créé par les humains) p. 74.
• « — J’ai consacré ces deux jours à une introspection concentrée dont les résultats se sont révélés fort intéressants. J’ai commencé par la seule déduction que je me croyais autorisé à formuler. Je pense, donc je suis !
— Par Jupiter ! gémit Powell. Un Descartes robot ! » (Cutie à Powell) p. 78-79.
• « Regardez-vous, dit-il enfin. Je m’en voudrais de vous dénigrer, mais regardez-vous. Les matériaux mous et flasques qui vous constituent manquent de force, d’endurance, et ils dépendant pour leur énergie de l’oxydation inefficace ce tissus organiques, tel ceci. » Il pointa un doigt désapprobateur sur ce qui restait du sandwich de Donovan. « Vous tombez périodiquement dans le coma et la moindre variation de température, de pression, d’humidité ou d’intensité de radiations diminue votre efficacité. Bref, vous n’êtes que des pis-aller. Moi, par contre, je suis un produit fini. J’absorbe directement l’énergie électrique que j’utilise avec un rendement proche de cent pour cent. Je me compose de métal résistant, je jouis d’une conscience sans éclipses et je supporte sans mal des conditions climatiques extrêmes. Tels sont les faits qui, avec le postulat évident qu’aucun être ne peut en créer un autre supérieur à lui-même, réduisent à néant votre stupide hypothèse. » (Cutie à Powell et Donovan) p. 79-80.
• « — Non, répondit Powell avec aigreur, c’est un robot raisonneur, que la peste l’étouffe ! Il ne croit qu’en la raison, et le malheur, c’est que… » Sa phrase resta en suspens.
« Quoi ? Insista Donovan.
— La malheur, c’est qu’on peut prouver n’importe quoi en s’appuyant sur la logique rigoureuse de la raison… à condition de choisir les postulats appropriés. On a les nôtres, Cutie a les siens.
— Dans ce cas, dépêche-toi de les découvrir. La tempête est prévue pour demain. »
Powell poussa un soupir de lassitude. « C’est là que tout s’effondre. Les postulats sont fondés sur des concepts a priori considérés comme des articles de foi. Rien au monde n’est susceptible de les ébranler. » (Raison) (Powell à Donovan) p. 92
• Powell avait la nette impression que, si le visage du robot avait été capable d’exprimer des sentiments, il aurait donné l’image de douleur et l’humiliation. Un robot, de par sa nature même, ne supporte pas d’échouer à accomplir sa fonction. » (Attrapez-moi ce lapin) (à propos de Dave, robot multiple qui se met sans raison avec ses « doigts » à ne plus fonctionnait) p. 103.
• « Ce que je voudrais savoir, s’écria l’autre avec une fureur soudaine, c’est pourquoi on nous balance toujours ces nouveaux modèles ! Les robots qui étaient assez bons pour mon grand-oncle maternel le sont assez pour moi. Vive ce qui est éprouvé et viable ! C’est l’épreuve du temps qui compte… les bons vieux robots « increvables » de l’ancien temps ne tombaient jamais en panne. » (Attrapez-moi ce lapin) (Donovan à Powell) p. 106.
• « Il en va de ces livres comme des autres. Ils ne m’intéressent absolument pas. Vos manuels ne valent rien. Votre science n’est qu’un fatras de données agglutinées par une théorie sommaire… et le tout si simpliste qu’il n’en vaut guère la peine. Ce sont vos œuvres de fiction qui m’intéressent. L’étude de l’interaction des mobiles et des sentiments humains… » (Menteur) (Herbie, un robot qui peut lire dans les pensées, à Susan) p. 131.
• « — Oui ! Tous les types d’atteintes ! Mais pour ce qui est de blesser les sentiments, d’amoindrir l’idée que l’on se fait de sa propre personne, de réduire en poussière les plus chers espoirs, sont-ce là des choses sans importance ou au contraire… ? » Lanning fronça les sourcils. « Comment voulez-vous qu’un robot sache… » Il se tut, avec un cri étranglé.
« Vous avez saisi ? Il lit dans les pensées. Croyez-vous qu’il ignore tout des blessures morales ? Croyez-vous que si je lui posais une question, il ne me donnerait pas exactement la réponse que je désire entendre ? Toute autre réponse ne nous blesserait-elle pas, et peut-il l’ignorer ? » (Menteur) (Susan à Lanning à propos de sa découverte sur les mensonges d’Herbie) p. 145-146.
• « Peter, toute vie normale, qu’elle soit consciente ou non, supporte mal la domination. Si cette domination est le fait d’un inférieur, réel ou présumé, le ressentiment devient plus intense. Sur le plan physique, et, dans une certaine mesure, mental, tout robot est supérieur à l’être humain. Qu’est-ce qui lui confère une âme d’esclave ? La Première Loi ! Sans elle au premier ordre que vous donneriez à un robot, vous seriez un homme mort. Instable ? À votre avis ? » (Le petit robot perdu) (Susan à Peter à propos du robot qui s’est échappé car La Première Loi dans leur cerveau positronique à été modifié) p. 159.
• « Or, un homme affrontant une impossibilité réagit souvent en quittant la réalité : en se réfugiant dans un monde illusoire, en s’adonnant à la boisson, en tombant dans l’hystérie, ou en enjambant le parapet d’un pont. Tout cela se ramène à un refus ou à une incapacité d’affronter la situation. Il en va de même du robot. Dans le meilleur des cas, un dilemme sèmera le désordre dans la moitié de ses relais ; dans le pire, il brûlera irréparablement tous ses réseaux positroniques. » (Évasion !) (Susan à Lanning) p. 192.
• « Les étoiles elles-mêmes paraissaient floues. D’un lieu indéterminé leur vint l’impression vague qu’une machine gigantesque rassemblait ses forces dans l’épaisseur des cloisons, emmagasinant de l’énergie pour un bond prodigieux, gravissant pas à pas les échelons d’une puissance colossale. Le phénomène se produisit avec la soudaineté de l’éclair et une douleur fulgurante. Powell se raidit, sursauta et fut à demi éjecté de son fauteuil. Il aperçut Donovan et perdit conscience tandis que le faible gémissement de son compagnon mourait dans ses oreilles. Quelque chose se tordit en lui et lutta contre un carcan de glace qui s’épaississait. Quelque chose se libéra, tourbillonna dans un éblouissement de lumière et de douleur, puis tomba…en vrille…tout droit…dans le silence ! C’était a mort ! C’était un monde de mouvements et de sensations abolis. Un monde où survivait une infime lueur de conscience atone ; la conscience des ténèbres et du silence, théâtre d’une lutte informe. Par-dessus tout, la conscience de l’éternité. Il nr lui restait qu’un minuscule et blanc filament d’égo… glacé, plein d’effroi. » (Évasion !) (La sensation de Powell qui meurt pendant quelques secondes lorsque lui et Donovan font une traversée interstellaire dans l’espace à cause du Cerveau) p. 212.
• « — Parce que, si vous prenez la peine d’y réfléchir cinq secondes, les trois Lois constituent les principes directeurs essentiels d’une grande partie des systèmes moraux. Évidemment, chaque être humain possède, en prince, l’instinct de conservation. C’est la Troisième Loi de la robotique. De même, chacun des bons êtres humains, possédant une conscience sociale et le sens de la responsabilité, doit obéir aux autorités établies, écouter son docteur, son patron, son gouvernement, son psychiatre, son semblable, même quand ceux-ci troublent son confort ou sa sécurité. C’est ce qui correspond à la Deuxième Loi de la robotique. Tout bon humain doit aussi aimer son prochain comme lui-même, risquer sa vie pour saucer celle d’un autre. Telle est la Première Loi de la robotique. En un mort, si Byerley se conforme à toutes les Lois de la robotique, il se peut que ce soit un robot, mais aussi que ce soit un très brave homme. » (La preuve) (Susan à Quinn, un électeur qui veut faire tomber le masque de Byerley, un autre électeur qui pense être un robot) p. 235.
Avis aux fans de Jules Verne, Isaac Asimov et Frank Herbert, à ceux qui vivraient volontiers sur Mars ou en compagnie d'humanoïdes : vous a-t-on déjà raconté la fabuleuse histoire de la science-fiction ?
Ce septième épisode se penche au-dessus du (tout) petit tiret qui relie la science à la fiction. Pourquoi avoir accolé deux mots a priori si différents ? Et à quel genre littéraire mutant ont-ils donné naissance ? Deux immenses connaisseurs de la SF, le physicien Roland Lehoucq et son partenaire d'imaginaire le philosophe Vincent Bontems, en dressent la généalogie, complexe et pleine de rebondissements, depuis les voyages sur la Lune de Lucien jusqu'aux derniers avatars du genre, propulsés par les États-Unis entre deux bombes nucléaires. Ce faisant, nos deux compères émettent l'hypothèse suivante : la fiction ne constituerait-elle pas, pour la science, un formidable laboratoire à ciel ouvert ? Tout n'y est certes pas permis, puisque la fiction obéit aussi à des règles, mais les expériences s'y font à moindre frais et à l'infini, nous poussant à interroger le futur de notre humanité. Et si cette pratique rationnelle de l'imaginaire nous permettait de garder les pieds sur terre ?
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