Pas possible ! C'est
Asimov qui a écrit ça ?
Ne comprenez pas de travers ; je suis un fan de l'auteur et j'entre facilement en résonance avec sa fibre scientifique qui titille la mienne. Mais là, je trouve qu'il s'est dépassé. C'est un cran au-dessus de créations aussi chouettes que Fondation ou les Robots (ne me croyez pas sur parole ; c'est un ressenti personnel). Je comprends très bien les prix Hugo, Locus et Nébula reçus.
« Contre la stupidité,
les Dieux eux-mêmes luttent en vain ». C'est cette phrase du poète allemand Schiller qui porte ce récit. Une stupidité intrinsèque qui se décline sous de multiples formes : l'arrogance, le goût du pouvoir, l'inconscience, le nationalisme. Une stupidité qui ici ne se limite pas à l'humain.
Le roman se décompose en trois parties. La première fait la part belle aux guéguerres d'ego entre scientifiques – une chose qu'
Asimov doit bien connaître et que son collègue
Gregory Benford exploite aussi beaucoup. Un isotope impossible selon les lois de la physique telles que nous les connaissons est découvert par hasard. L'explication est… hallucinante ; j'en aurais sauté partout de jouissance dans mon appart si je ne m'étais pas retenu. Si on apprécie les modèles d'univers et que l'on connait un peu la physique des particules, le plaisir est intense. Mais l'auteur est aussi vulgarisateur et il tient le lecteur par la main tout le long.
Bref une source d'énergie quasi infinie est mise en oeuvre. Mais un chercheur qui a maille à partir avec le découvreur officiel Hallam – ce dernier bloque toute tentative de remettre en question son invention – découvre que le processus provoque une instabilité qui à terme pourrait menacer une bonne partie de l'univers. Ça craint. Mais personne n'ose s'opposer à Hallam. Et personne ne veut renoncer à l'énergie infinie même au prix d'un univers menacé. Stupidité donc : des scientifiques, des politiques, mais du pékin lambda aussi. Ce récit entre incroyablement en résonance avec nos réactions vis-à-vis du dérèglement climatique.
La deuxième partie… seigneur, elle est fantastique !
On se retrouve « ailleurs », sur une planète qui abrite une forme de vie qui rendrait des points à celles d'
Orson Scott Card dans le cycle d'Ender. Des êtres fluides, composés de trois éléments, chacun conscient et chacun avec son rôle propre dans la « triade ». Il y a le Rationnel capable de pensée abstraite, le Parental qui s'occupe des enfants nés de la fusion des trois, et l'Émotionnelle qui est l'élément essentiel de la fusion, mais un peu « blonde ». Normalement les membres de la triade ne sortent pas de leur rôle, c'est génétique. Mais on va suivre une triade exceptionnelle où chaque membre pas dépasser sa condition. Un comportement que l'Occident développe depuis les Lumières
Quel rapport avec ce qui précède ? le processus d'énergie infinie qui lie les deux mondes (et je parle par euphémisme pour ne pas trop dévoiler). Là aussi l'explication physique est épatante. Là aussi la stupidité des uns et des autres alimente les actions.
La troisième partie nous ramène les pieds sur terre… si j'ose dire car l'intrigue s'est déplacée sur la Lune où est installée une colonie depuis plusieurs décennies. L'auteur en profite pour imaginer quelques aspects de la vie de tous les jours en faible gravité : tomber du lit lorsqu'on bouge en dormant, se déplacer par sauts de kangourou… Après l'émerveillement de la deuxième partie, j'ai eu du mal à retomber dans les bisbilles de savants et la politique conflictuelle entre Terre et Lune. Mais très vite la recherche des dernières vérités sur cette mystérieuse énergie éblouit à nouveau par ses implications sur la structure de l'univers.
Asimov parvient à distiller ses révélations tout au long du roman et à provoquer régulièrement des effets choc.
Seuls petits écueils : l'auteur imagine qu'une crise récente a réduit la population humaine des deux tiers sans que cela ait provoqué un traumatisme durable. C'est peu réaliste. Et je n'imaginais pas une telle fin
que je voyais plus dystopique.
Ce roman m'a passionné quasiment de bout en bout. Imagination scientifique et construction originale de vie extraterrestre se renvoient la balle avec brio. Et on ne peut que noter l'actualité des réactions des hommes confrontés au dilemme « vie confortable » contre « anéantissement à moyen terme ».