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Citations sur La Cliente (56)

De cet ahurissant monologue j'émergeai avec une certaine idée, non de l’antisémitisme, mais de l'Administration. Un fonctionnaire, qu'il fût haut ou bas, a-t-il une conscience ? Tout me ramenait à cette question insoluble. En tout cas, s'il avait eu des états d'âme, il le cachait bien.

Ces gens-là sont les pires parce qu'ils sont beaucoup plus répandus, plus invisibles, plus nocifs que les vrais monstres. Ils ont leur morale en devanture, le sens du devoir en bandoulière, et le service de l'État en parapluie. Si ça recommence un jour, il faudra d'abord se méfier d'eux, ceux qui rédigent des rapports et signent des circulaires. En un coup de tampon, ils peuvent envoyer des gens à la mort sans jamais s'interroger sur les effets de leur acte. Dans le crime administratif, la victime est sans visage. Son caractère collectif dilue le crime en faute. Quoi de plus anodin ?
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Leur tandem fonctionnait d'autant mieux qu'ils se respectaient. C'est assez rare pour être signalé. D'ordinaire, ce genre d'attelage ne tient pas longtemps la route. Les pères se plaignent de ce que leurs enfants font peu cas de leur expérience, les traitent par-dessus la jambe. Les enfants regrettent que leur père soit si dépassé, qu’il ait été incapable de s'adapter. Les uns et les autres ont le même métier mais c'est à se demander parfois s'ils exercent bien la même profession.
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Pourquoi ont-ils si peur ? Il s'agissait juste de faire couler un peu d'encre pour rappeler que d'autres avaient fait couler un peu de sang. Rien de plus. Mais on enfermait pour moins que ça. Plutôt que de désespérer, je suivis le conseil d'un poète et laissai infuser davantage.
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Un matin, j'ai eu honte d'être biographe. Honte de mon indiscrétion. Honte de me servir du crédit acquis par mes livres pour m'introduire chez des témoins et leur soutirer des souvenirs qu'ils s'étaient bien juré de ne jamais dévoiler. Honte de trahir leurs confidences, fût-ce pour la cause d'une vérité supérieure. Honte de cette technique éprouvée, mélange de patience et de diplomatie, qui me permettait de m'immiscer dans les archives de particuliers et de m'insinuer dans les moindres replis de leur vie privée. Honte de partager des secrets de famille sans demander l'avis des intéressés. Honte de cette discipline de flic et d'indicateur. Honte de vérifier à chaque fois que l'esprit fouille-merde était la vertu cachée des meilleurs biographes. Honte de trouver quelque volupté à plonger les bras dans les poubelles pour en extirper de misérables indices. Honte de lire des ordonnances de médecins qui détaillaient d'intimes maladies, des relevés de banque qui contredisaient des postures de miséreux, des lettres d'amour qui auraient dû être détruites, des brouillons destinés à n'être jamais déchiffrés. Honte que tout cela parût être une méthode qui portât ses fruits. Honte de toujours raconter le passé des gens pour n'avoir pas à révéler le mien. Honte de gagner ma vie avec celle des autres. Honte de moi.
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De mon point de vue, son magasin occupait une position stratégique. Situé au carrefour, à équidistance du fourreur et de la fleuriste, il avait été le témoin de leurs heures et de leurs jours. Un frisson me parcourut quand je pris conscience que mon miroitier était le seul reflet de l’intime tragédie qui liait secrètement les Fechner et les Armand-Cavelli depuis deux générations. Sauf que ce reflet-là avait une propriété qui le rendait unique. Il absorbait autant qu'il renvoyait les images. Toute l'histoire de ce morceau de rue avait défilé devant ses glaces.

Monsieur Adret leur ressemblait. Il savait se taire, et taire ce qu'il savait. Parfois, il réfléchissait. Le plus souvent, c'était un homme sans tain.
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Manifestement, monsieur Adret se tenait au courant en continu. Il écoutait les informations en boucle toute la journée. Nombre de nos concitoyens sont d'ailleurs, comme lui, renseignés à flux tendu sur l’état du monde. Jusqu'à présent, je n'avais mesuré les effets de cet étrange phénomène que sur des cortex de chauffeur de taxi. Or, j'allais vérifier que les dégâts étaient aussi considérables sur tous les cobayes, qu'ils fussent mobiles ou statiques. Son état pouvait inspirer quelque inquiétude à qui ignorait l'origine du désastre.

En fin d'après-midi, il aurait mérité la métaphore météorologique par laquelle le Général résumait Malraux. Brumeux, avec quelques éclaircies.
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Les déportés de retour des camps n'étaient pas à la fête. On les devinait gênés d'être là, comme s'ils se sentaient en trop dans le paysage. On préférait éviter ce dont leur regard inhumain témoignait. Leurs silhouettes n'étaient plus qu'un cri silencieux. Comme le rappel d'une faute et d'une culpabilité collectives. Un peu plus tard, en Israël, on les appela les savons. Ils embarassaient tout le monde.
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On prend conscience que le miroir reflète la vie mais dans un tout autre sens.Alors on se demande si l'on est vraiment ce que l'on croit être.
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Tout ce que mes recherches sur l'Occupation avaient fait jaillir en moi de doutes, d'hésitations, d'incertitudes. Tout un monde flou que j'avais mis vingt ans à ne pas cerner. Tout était condensé en quelques phrases. A la réflexion, elles pouvaient aussi bien se résumer à une seule question : dans l'exercice du Mal, qu'est ce qui relève de la pulsion de mort, de l'instinct de destruction, du désir de domination, de la volonté de pouvoir que tout être à en lui, et qu'est ce qui découle de la formation morale et intellectuelle, du contexte politique, du milieu, de l'idéologie? Je ne sortais pas de ce dilemme. Pourtant, son manichéisme me sautait aux yeux. Ca me paraissait primaire mais ça me dépassait. Tout s'y réduisait, même quand les cartes se brouillaient, lorsque par exemple je prenais conscience que chez certains français, l'antisémitisme était une pathologie.
Jamais je n'aurais imaginé qu'un douloureux débat intérieur sur l'inné et l'acquis aurait précédé l'interview d'une fleuriste.
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À force de se pencher sur son passé, madame Armand finit par y tomber. Sa détermination à traverser le miroir n'était pas mue par la fascination de l'au-delà. En se donnant la mort, elle ne voulait pas se tuer mais supprimer son effigie. Se défaire de son image sur terre en en pulvérisant le reflet.
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