Tant que nous évoluerons dans un modèle qui ne partage pas la richesse, la concentre et reste basé sue une exploitation sans mesure du substrat de l'économie - parce que l'économie mondiale s'est développée sur l'exploitation des matières premières -, tant que ce système dominera et qu'on l'encouragera à se reproduire partout dans le monde, on sera dans une impasse. La crise écologique ne pourra pas se résoudre. Aujourd'hui, pour réduire les inégalités, il faut avoir un modèle économique qui, au lieu d'exploiter, gère, protège, préserve et partage. C'est donc incompatible avec un système qui s'affranchit des règles de fonctionnement, de régulation ou de protection. Tant que le monde de la finance s'emparera des ressources alimentaires, des matières premières et des terres arables sur lesquelles il spécule, ce sera totalement impossible. Entrer dans un monde de protection, de réhabilitation et de partage n'est envisageable que si l'on décide que personne ne s'exonère de la solidarité. Tant que l'on aura un pan entier de l'économie ou de la finance qui s'organisera en toute immoralité, mais en toute légalité - parce que cette fameuse licence d'exploiter, dont parlait Vandana, le lui permet -, le monde restera profondément inégalitaire et destructeur.
J'aimerai citer ici un autre texte de Gandhi qui illustre bien l'idée que je développe : " La vie ne sera pas une pyramide dont le sommet sera soutenu par la base. Ce sera un cercle océanique dont le centre sera l'individu, toujours prêt à périr pour le cercle du village jusqu'à ce que l'ensemble devienne une seule vie composée d'individus, jamais agressifs dans leur arrogance, mais toujours humbles, partageant la majesté du cercle océanique dont ils sont des unités inhérentes. Par conséquent, la circonférence la plus périphérique n'exercera pas de pouvoir pour écraser le cercle intérieur, mais donnera de la force à tous les éléments à l'intérieur et puisera sa propre force de cela" il ressort de ce texte que le partage du pouvoir doit sa faire de manière horizontale et non verticale.
A mon avis, ces inégalités étalées dans l'espace, à la vue de tous mais aussi dans le temps - parce que maintenant chacun a une lecture de l'histoire ), ces dettes écologiques et ces dettes d'humanité, notamment liées à la colonisation, peuvent expliquer en partie les violences qui nous sautent à la figure aujourd'hui et que nous ne comprenons pas, parce que nous n'en sommes pas directement responsables. Elles trouvent leurs racines dans les deux cents dernières années. Donc s'entêter à ignorer cette histoire, continuer à exploiter les ressources que d'autres possèdent tout en ne leur permettant pas d'en profiter et, comme l'a dit Vandana, en habillant tout cela d'une aide au développement, parfois inutile ou de simple façade, tout cela conduit à la violence entre les communautés et à l'égard des écosystèmes.
Notre monde n'a pas été préparé pour renoncer à l'exploitation d'une matière précieuse qu'il suffit d'extraire. Ce n'est pas dans notre culture. Pourtant, le renoncement est un indice de liberté. Renoncer, c'est choisir. Voilà un principe essentiel. Serons-nous capables de franchir le cap de renoncer à ce qui nous est nocif et de développer ce qui nous est nécessaire ?
Si l'on n'interroge pas le sens des choses, pour savoir lesquelles de nos décisions participent à la solution, au progrès et à l'épanouissement humain, on va droit dans le mur. Pour détourner une citation rabelaisienne, nous pourrions dire : " Science sans conscience n'est que ruine de l'homme. " Une phrase d'Einstein dit aussi : " Notre époque se caractérise par la profusion des moyens et la confusion des intentions. " Cela résume parfaitement la situation et son ambiguïté. Edgar Morin le dit différemment : " Nous sommes technologiquement triomphant, mais culturellement défaillants."
Nicolas Hulot - un modèle incompatible avec l’urgence climatique ?