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Corinne Atlan (Éditeur scientifique)Zéno Bianu (Éditeur scientifique)
EAN : 9782070413065
239 pages
Gallimard (09/11/2002)
4.07/5   271 notes
Résumé :
Né il y a trois sièces au Japon, le haiku est la forme poétique la plus courte du monde. Art de l'ellipse et de la suggestion, poème de l'instant révélé, il cherche à éveiller en nous une conscience de la vie comme miracle.
De Bashô jusqu'aux poètes contemporains, en passant par Buson, Issa, Shiki et bien d'autres, Haiku est la première anthologie à présenter un panorama complet de ce genre littéraire, en lequel on a pu voir le plus parfait accomplissement d... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (35) Voir plus Ajouter une critique
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"Eclipse de lune -
je regrette
ce haïku qui m'échappe"
(Kimura Toshio)

C'est comme si je voyais la scène...
La nuit est tiède, les cerisiers sont en fleur, et les poètes sont tous pleins d'inspiration devant ce phénomène lunaire. Et, son tour venu, Toshio Kimura cale... En se rattrapant aussitôt avec ces quelques mots qui disent tout. Devant un spectacle tel que l'éclipse, parfois les mots manquent, il faut le dire. Et les connaisseurs à l'âme poétique applaudissent...

Depuis la fin de l'été, ce recueil est sur mon chevet. Je lis, je relis, je commence à reconnaître la "patte" de tel ou tel poète. Bashô le philosophe, Buson le peintre, Issa le malicieux... tous capables de créer toutes sortes de choses avec leurs trois lignes courtes. Des tableaux colorés, des situations, des sensations, parfois des odeurs...

"Du fleuriste
le bruit des ciseaux -
je fais la grasse matinée"
(Ozaki Hôsai)

... sentez-vous aussi les pivoines et le vent chaud qui entre par la fenêtre ouverte ? Il est dix heures, peut-être dimanche; en tout cas, la rue est bien calme.

"Sous le divin nez
du divin Bouddha
pend une morve de glace"

... Kobayashi Issa, sans hésiter ! Chaud et froid à la fois, irrévérencieux dans sa contemplation révérencieuse.

Le recueil est précédé d'une introduction assez solide quant à la forme et la philosophie des haïkus. Un poème qui doit durer le temps d'un souffle, composé d'une partie immuable, ou éternelle (situation, saison) et d'une partie variable, créative et surprenante. La question de métrique et du nombre des syllabes est, à mon avis, moins importante pour un lecteur occidental - il est difficile de recréer la métrique originale par une traduction.
Mais quand vous êtes devant un haïku tel que

"Dans ce jardin
un siècle
de feuilles mortes !" de Bashô, vous ne pensez pas forcément à compter les syllabes, n'est-ce pas ?

Le tout est classé par saison - je déconseille cependant de le lire en ordre - huit poèmes à la suite commençant par "cerisiers en fleur..." peuvent facilement rompre l'émerveillement. C'est un livre à feuilleter; revoir les poèmes... vous vous souvenez encore des images qu'un haïku précis vous a créé avant. Et peut-être aurez vous les mêmes, ou d'autres - selon votre humeur. C'est la magie de la "partie éphémère" qui n'attend que vous.

Tant de choses à dire -
cette critique
m'échappe aussi !
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Voilà une façon très intéressante et pertinente de découvrir l'art subtil du haiku. C'est par le biais de cette anthologie que j'ai connu Zėno Bianu, qui collabore ici avec Corinne Atlan .


Quoi de plus logique que de présenter ces poèmes de l'instant par saisons ?Le terme utilisé est "kigo" et il paraît que les traditionalistes considèrent qu'un haiku sans kigo ou mot de saison n'en est pas vraiment un.Dans l'introduction, les auteurs nous font bien comprendre que la richesse et les sens multiples des mots japonais rendent la traduction assez complexe.Mais passionnante aussi.


Comment traduire l'éphémère, le fugace, quelle que soit la langue ? Comment exprimer cette " floraison spontanée d'une évidence", ainsi qu' il est si joliment dit ?

Au-delà d'un engouement occidental qui prend des allures de mode, de "c'est dans l'air du temps" ( bien adapté à ce type de poème, je trouve!), il faut reconnaître que le haiku attire, séduit, retient.

Souffle fragile
le haiku inspire
vibration de l'instant

Oscillant entre simplicité, philosophie de vie,exaltation de la nature mais aussi prosaïsme et humour,le haiku nous déroute, nous surprend, nous émerveille, par l'éclair de vérité, la fulgurance des sens qu'il ėveille en nous.Comme le magnifique écho qu'a eu en moi ce poème :

" Au clair de lune
je laisse ma barque
pour entrer dans le ciel"

Koda Rohan

Le clin d'oeil malicieux me plaît aussi, quand Issa écrit :

" Grimpe en douceur
petit escargot
tu es sur le Fuji!"

Le lecteur n'est pas sensible à tous les haïkus proposés, et c'est normal, chacun sa propre résonance, son ressenti particulier. Mais il reste , après lecture par touches, au fil des jours, une impression de sérénité, de repos de l'âme. Un effleurement de papillon, un frisson de vie...



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J'adore ce souffle poétique, cet envol éphémère vers la beauté, cette buée chaude qui s'efface aussitôt.

Souffle poétique
Instantané de l'esprit
Voilà l'haïku

Ici le thème principal est la nature. D'ailleurs les parties de ce livret sont construites en fonction des saisons.
Leur tournure peut être grave, pleine d'humour, reposante, violente, emplie d'amour, triste...

Printemps :
Sur le sable du rivage
à chaque trace de pas
le printemps s'allonge (Masaoka Shiki)

Eté :
Sur la terre comme au ciel
les cerisiers fleurissent -
et moi je tousse (Nomiyama Asuka)

Automne :
Monstre
il montre son cul rond
le potiron (Natsume Sôseki)

Hiver :
Un coup de hache
dans la forêt d'hiver -
l'odeur me prend (Yosa Buson)

Hors saison :
Dans l'assiette de verre
le cliquetis des arêtes -
une famille ordinaire (Nagashima Yasuko)

Le haïku, la plus courte des formes poétiques, est composée de trois phrases de 5, 7 et 5 syllabes.
Son origine est lointaine et remonte aux alentours de l'an 760, avec pour ancêtre le tanka composé de deux parties : la première évoque la nature, la seconde un sentiment ou une émotion. C'est cette première partie qui donnera naissance, sous une forme indépendante, au haïku.
Beaucoup plus tard, vers les années 1930, les poètes japonais se démarqueront de ce thème traditionnel ( la nature ou la saison) et s'inspireront de la société, de la politique...
Pendant la guerre de 40, le pouvoir musellera les anti- traditionalistes allant jusqu'à arrêter certains d'entre eux pour "entrave à la sécurité de l'Etat".
Après Hiroshima, le Japon se tourne peu à peu vers l'Occident. Les poètes anti- traditionalistes reprennent vie et les haïkus partagent alors les références culturelles occidentales. Des écrivains de toutes nationalités vont à leur tour adopter l'écriture de ces courts poèmes.

Et des lecteurs du monde entier admireront la légèreté de ces petites plumes emportées par le vent de l'esprit.
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Né de la rencontre de l'infini et du fugitif, le haiku est un instantané de vie fixé pour l'éternité.

Trois petits vers tout simples qui, le temps d'une respiration, provoquent une émotion, une sensation, une réminiscence.
Un émerveillement.

Du printemps à l'hiver, cette anthologie se découpe en quatre parties, précédées de quelques pages d'explications concernant ce court poème très évocateur qu'est le haiku, «explosion spontanée d'une fleur de sens».

« Fût-ce en mille éclats
elle est toujours là
la lune dans l'eau! »
(Ueda Chôshû)
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HAÏKU = HARDCORE



Eh bien, nous y voilà… Il me faut à nouveau tenter de parler de poésie – avec ces « petits trucs », là, les haïkus ; que l'on dit parfois être la forme poétique la plus brève de par le monde, celle qui ne dure que « le temps d'un souffle ». Et qui, globalement, m'a toujours laissé perplexe.



Reste que je me suis un tantinet éveillé à la poésie japonaise – par « obligation » que je m'imposais peut-être connement, puis par goût et/ou par jeu. J'ai été tout particulièrement séduit par la poésie japonaise classique – la plus classique, celle du Man.yôshû, puis de l'époque Heian : essentiellement (presque systématiquement, en fait) des « poèmes courts », ou tanka, même si, aux origines du registre, on trouve quelques « poèmes longs », ou chôka. Outre l'anthologie Mille Ans de littérature japonaise, composée par Nakamura Ryôji et René de Ceccatty, des oeuvres plus ciblées, telles surtout les Contes d'Ise, puis dans une moindre mesure le Dit de Heichû, m'ont amené à m'y intéresser davantage, car ils m'avaient étrangement touché – et, bien sûr, on pourrait compléter cette maigre liste avec d'autres ouvrages, pas essentiellement poétiques, mais comprenant pourtant nombre de poèmes, ainsi du Dit des Heiké, voire du Kojiki.



Mais sans doute fallait-il aller plus loin. Tout récemment, la lecture de l'Anthologie de la poésie japonaise classique, compilée en son temps par Gaston Renondeau, m'a dans l'ensemble beaucoup plu, et incité à creuser la question davantage encore… en me frottant à ce registre effrayant qu'est le haïku. À vrai dire, je m'étais procuré en même temps l'anthologie dont je vais traiter aujourd'hui, dans la même et éminente collection « Poésie » des éditions Gallimard, et dont l'approche s'avère tout autre – j'avais même poussé le vice jusqu'à faire l'acquisition en même temps de l'Intégrale des haïkus de Bashô, en dépit de mon incompréhension peu ou prou totale de tout ce que j'en avais lu avant, ici, là ou encore là (de très loin le plus « scientifique » de ces trois recueils : bilingue, notes très abondantes… Ce qui me plaît bien, à moi).



Haiku : anthologie du poème court japonais est un recueil semble-t-il doté d'une jolie réputation, et dont bien des camarades avaient salué la pertinence et la réussite. le travail accompli par Corinne Atlan et Zéno Bianu devait donc constituer une bonne porte d'entrée, me concernant – à même de dépasser mes préventions bêtement ancrées pour ce genre poétique dont la brièveté me secoue, dont la candeur apparente me stupéfie, dont le propos m'échappe 99,9 fois sur 100 (au mieux), etc.



Mais il y avait donc du boulot, hein – c'était vraiment pas gagné.



Et au sortir de cette lecture, ça n'est sans doute toujours pas gagné – même si je crois (je crois…) qu'il y a quand même eu comme un progrès. Alors ne perdons pas espoir – à force, peut-être que j'y comprendrai quelque chose ; et peut-être, surtout, que cela me touchera véritablement ?



Maintenant, chroniquer tout ceci n'est pas chose aisée… En fait, et dans ces circonstances tout particulièrement, cela dépasse mes très éventuelles compétences, je ne vais pas me leurrer. Je vais livrer quelques développements très généraux dans les quelques sections qui suivent, mais, plus encore peut-être que pour l'Anthologie de la poésie japonaise classique, ce seront surtout les extraits qui compteront – une sélection dans une sélection, avec ce que cela implique de biais plus ou moins fâcheux…



UNE QUESTION DE MOTS



Avant cela, cependant, un peu de vocabulaire, qui me paraît utile – même si je vais m'en tenir ici à l'historique du genre, résumée dans un petit article en fin d'ouvrage. le lexique du haïku va, c'est certain, bien au-delà, et j'aurai l'occasion de parler, par exemple, du kigo ou du kireji, mais, pour l'heure, simplement un peu d'histoire – et même là sans entrer excessivement dans les détails…



La poésie japonaise primordiale est sans doute d'essence populaire, dans les rites paysans de type utagaki, où les « chants-poèmes » occupent une place fondamentale. Uta, aujourd'hui, désigne la « chanson », mais la distinction apparaît somme toute récente, si les poèmes classiques n'étaient plus forcément chantés.



Sur cette base populaire, se constitue aux époques Nara, avec le Man.yôshû, puis Heian, la poésie japonaise classique : les poèmes japonais, ou waka, se distinguent de la poésie chinoise, et prennent plusieurs formes, dont le tanka, ou « poème court », est la plus importante – le chôka, ou « poème long », disparaît dès Heian, et de même pour les autres formats, déjà bien moins courus ; c'en est au point où tanka devient synonyme de waka, les deux termes étant employés alternativement pour désigner la même chose.



Le tanka est un poème court (donc), composé de cinq vers. Les formats poétiques japonais s'attachent avant toute chose au nombre de mores, ou syllabes, et, dès cette époque primordiale, la base des poèmes consiste pour l'essentiel en l'alternance de vers de cinq et de sept mores. le tanka, concrètement, obéit à une structure 5-7-5-7-7.



Au sein même du tanka, sur cette base, on peut opérer une distinction entre deux ensembles : les trois premiers vers, 5-7-5, constituent ce que l'on appelle le hokku. Restent les deux derniers vers, 7-7, distique en forme d' « envoi », disons.



Un jeu poétique se développe bientôt, qui consiste en l'élaboration collective de poèmes, sur la base de l'échange et de l'enchaînement : c'est ce que l'on appelle traditionnellement le renga, même si, plus récemment, on a aussi employé le terme de renku. Dans le contexte du renga, un premier poète lance un hokku (5-7-5) ; un deuxième poète complète le tanka avec un distique (7-7) ; puis le premier poète, ou un autre encore, enchaîne avec un nouveau hokku, etc.



Sur cette base, le lexique technique se complexifie considérablement, car on distingue par exemple les renga en fonction du nombre de strophes (par exemple, un kasen comprend 36 strophes, un hyakuin en compte 1000…), ou de participants, etc. le jeu poétique constitue à terme un véritable rituel, avec ses obligations spécifiques, même si la dimension ludique demeure essentielle.



Le public varie, aussi – ou les participants, en fait. L'art poétique, d'abord associé à l'aristocratie, se diffuse dans la bourgeoisie, notamment à l'époque d'Edo, où des commerçants – ces hommes de la caste la plus basse du Japon des Tokugawa, hors-castes tels que les burakumin exceptés – s'assemblent pour composer ensemble des renga dont les thèmes sont souvent plus prosaïques que ceux des nobles, et tout aussi souvent comiques : on parle alors de haikai-renga.



Le principe reste le même, mais, au sein du haikai-renga, le hokku tend à gagner progressivement son autonomie – entendre par-là que le hokku acquiert une valeur propre, qui en justifie, par exemple, la publication en dehors du renga qui l'a vu naître ; bientôt, c'est même la composition du hokku qui s'émancipe de l'exercice collectif du haikai-renga. Ces hokku isolés sont alors appelés haikai-hokku.



Le genre connaît alors une apogée, avec son plus grand maître, Bashô (1644-1694), et son école. D'autres suivront, importants à leur tour, tels surtout, passés les disciples de Bashô qui se disputent bien vite l'héritage, Buson (1716-1783), et Issa (1763-1828). Puis cette forme poétique tend à être abandonnée, et peu ou prou oubliée…



Vers la fin du XIXe siècle, cependant, dans les bouleversements associés à l'ouverture forcée du Japon et à la Rénovation de Meiji, Masaoka Shiki redécouvre ce genre, tout particulièrement via Buson. C'est Shiki, dans ce contexte, qui simplifie l'expression haikai-hokku, finalement toujours trop liée au renga à ses yeux, en haiku – manière d'affirmer une bonne fois pour toutes l'autonomie du poème de trois vers.



À proprement parler, haiku est donc un néologisme, apparu seulement avec Shiki – parler des « haïkus de Bashô » a dès lors quelque chose d'anachronique. Mais l'usage a pris, ainsi qu'en témoigne le titre même de la présente anthologie, et le genre s'est constitué en tant que tel.



Au Japon, et ailleurs : c'est à partir de la dénomination haiku que les Occidentaux découvrent ce format poétique d'une extrême brièveté, qui les déconcerte et les séduit, et qu'ils ramènent avec leurs bagages en Europe et en Amérique – au point où, bientôt, le haïku deviendra le type-idéal de la poésie japonaise… et, en même temps, un exercice auquel tenteront de se plier quelques poètes occidentaux (incluant Paul Claudel ou Jack Kerouac – cette compilation est toutefois purement japonaise). Il y a en fait ici, ai-je l'impression, une tension sur laquelle je vais tâcher de revenir brièvement un peu plus loin…

QUELQUES CHOIX DE L'ANTHOLOGIE



Cette anthologie, comme toute anthologie, implique un certain nombre de choix, forcément discutables, même si en l'espèce je ne suis certainement pas en mesure de les discuter… Donnons-en tout de même une vague idée.



Je suis tenté de mettre en avant un premier aspect, qui a une certaine importance à mes yeux mais sans doute beaucoup moins à la très grande majorité des lecteurs – et il ne s'agit donc pas à proprement parler d'une critique, pas du tout même, simplement d'un constat, de manière bien plus neutre : cette édition, en français uniquement (en matière de haïkus, j'ai l'impression qu'on rencontre souvent des éditions bilingues – par exemple, concernant Bashô, les Cent Onze Haiku, ou l'Intégrale des haïkus), n'est pas vraiment « scientifique », disons. L'introduction est essentiellement de nature poétique elle-même, tout en avançant quelques notions utiles à l'appréhension de l'ensemble, comme surtout celle de kigo, ou « mot-saison ». Les notices sont inexistantes, les notes rares ; nous ne savons rien des auteurs, et les circonstances de composition du haïku ne sont explicitées que dans les cas les plus cruciaux. On trouve certes, en fin de volume, la « Petite Histoire du haïku » que je viens d'évoquer, ainsi qu'une bibliographie (japonaise, anglaise et française) – pas rien, donc. Mais, eu égard à mes attentes toutes personnelles, c'est parfois bien peu... Mais c'est un choix à l'évidence parfaitement légitime.



Le rendu des poèmes procède sans doute de la même intention, plus émotionnelle qu'intellectuelle : sans affectation, et sans s'imposer des carcans plus ou moins pertinents (dont surtout la conservation dans le texte français de l'alternance de vers de cinq et sept syllabes), la traduction vise plutôt à préserver la force des images, et, si elle s'attache au rendu de la rythmique, c'est sur un mode relativement libre, disons casuistique. Je ne suis pas en mesure de juger de la qualité de la traduction, ici. le principe même de la traduction est toujours problématique (« traduttore, traditore », etc., je ne vous apprends rien), et je suppose que ça n'est jamais aussi vrai qu'en matière de poésie – puis, au sein de la poésie dans son ensemble, je suppose… que ça n'est jamais aussi vrai qu'en matière de haïkus ! le fait est que, pour certains, la variété des traductions change à peu près tout : j'ai reconnu ici des haïkus déjà lus ailleurs, par leur thème, etc., tout en constatant que le texte français n'avait pour ainsi dire rien à voir, et que l'effet ne pouvait tout simplement pas être le même. Mais, à cet égard, je ne suis pas en mesure de louer une traduction plutôt qu'une autre.



Tant que nous en sommes aux principes généraux, il nous faut enfin évoquer les choix en termes de compilation et de présentation. Les anthologistes, Corinne Atlan et Zéno Bianu, avaient sans doute plusieurs options, dont la chronologie, le classement par auteurs, etc., mais ils se sont décidés pour une organisation thématique en fonction des saisons – un thème essentiel de la poésie japonaise et plus particulièrement du haïku, surtout tel que formalisé par Bashô ; dès lors, dans cette optique, le kigo, ou « mot-saison », a une importance cruciale. Les almanachs classiques étaient classés ainsi, ce qui confère une tournure en apparence un peu « conservatrice » à l'anthologie. Au sein même des quatre saisons (identifiées à la mode japonaise), et en notant tout de même qu'il est quelques haïkus « hors saison » en fin de compilation, les poèmes ne sont pas présentés par auteur ou dans l'ordre chronologique, là non plus (ce qui amène à juxtaposer, le cas échéant, vieux maîtres tel Bashô et auteurs tout à fait contemporains – et là, pour le coup, on rompt sans doute avec la façade de conservatisme…), mais en fonction de cinq sous-thèmes, toujours les mêmes (« passages de la saison » ; « inventaire des cieux » ; « célébration du paysage » ; « des hommes et des bêtes » ; « le grand herbier »), ce qui renforce l'impression de classicisme – noter que ces sous-thèmes figurent seulement dans la table des matières, pas dans le corps du texte. Dès lors, la juxtaposition d'auteurs traitant du même thème, ou bien, même « seuls » (sans doute ne l'étaient-ils jamais tout à fait), multipliant les variations, entraîne sans doute une certaine tendance à la répétition – mais délibérément, je suppose : la répétition, en fait, participe pleinement de l'exercice poétique du haïku (qui s'avère éventuellement très référentiel).



LES RÈGLES ET LA LIBERTÉ



Tout cela nous amène à envisager encore une autre question d'ordre général : la tension éventuelle entre les règles et la liberté. Je suppose que ce type de tension pourrait s'appliquer à bien d'autres domaines des arts et des lettres, mais il me rend tout particulièrement curieux, ici…



Avant même Bashô, dans le monde du haikai-renga naissant, des écoles s'opposaient – d'un côté, pour faire dans le binaire, celle qui prisait avant toute chose la tradition et le respect des formes, de l'autre celle qui comptait s'affranchir de ces restrictions pour se montrer plus libre dans son art. le « seigneur ermite » lui-même a vagabondé entre ces différentes écoles, avant de créer la sienne – laquelle, à son tour, verrait s'opposer disciples conservateurs et progressistes.



Reste que Bashô, pour élever le haikai-hokku au rang d'art, lui a imposé des règles – un véritable code de composition. le rythme 5-7-5 est plus que jamais inévitable ; le poème doit comporter un kigo, ou « mot-saison », immédiatement identifiable et duquel, d'une certaine manière, découle tout le reste ; il doit également faire appel au kireji, ou « césure », dont l'effet, dirions-nous peut-être aujourd'hui, relève de « l'arrêt sur image », et a donc aussi des implications rythmiques ; épithètes classiques et jeux de mots conventionnels y ont également leur part (Bashô en était particulièrement friand dans ses oeuvres de jeunesse) ; et le maître fixe aussi les thèmes et le ton du futur haïku, dans les fondements mêmes de l'esthétique japonaise (pp. 208-209) :



[S]incérité, légèreté, objectivité, tendresse à l'endroit des créatures vivantes, mais aussi sabi (simplicité, sérénité, solitude), wabi (beauté dépouillée en accord avec la nature), et enfin – élément primordial qui sous-tend toute la philosophie du genre – fueki-ryûko, juste équilibre entre le principe d'éternité et l'irruption d'un événement éphémère ou trivial.



(Je note au passage que les notions de sabi et de wabi sont sans doute bien plus riches et complexes que cela, mais cette introduction n'avait pas à les développer outre-mesure.)



Certes, tous les haïkistes ne se sont pas forcément pliés à ce code – Buson, notamment, avait semble-t-il une conception plus spontanée du haïku, et prisait avant tout le shasei, ou « croquis d'après nature ». Shiki, « créant » la notion même de haïku en redécouvrant ces maîtres passés de la forme courte, ne dissimulait d'ailleurs en rien que la conception de Buson lui parlait davantage que celle, peut-être trop rigide, de Bashô, tout en en retenant du maître l'idée que le fueki-ryûko était une dimension essentielle de la poésie japonaise courte.



Le risque inhérent à ce genre de formalisation est sans doute celui de l'affectation et de l'insincérité, jusqu'à l'artifice : la production poétique risque de devenir une mécanique, ou une rhétorique – je vous laisse juger du terme le plus approprié. D'une certaine manière, n'est-ce pas là une raison (parmi d'autres, sans doute) de la décadence des tanka dans le Japon médiéval ? Je vous renvoie si jamais à l'Anthologie de la poésie japonaise classique. Or, à tout prendre, le haikai-hokku avait déjà connu semblable « décadence », quand Shiki l'avait « redécouvert » ; et c'était d'ailleurs bien pour cela que l'on pouvait parler de « redécouverte », après tout…



Mais je suppose qu'à l'époque de Shiki cette tension se doublait d'une autre, opposant cette fois le Japon et l'Occident. L'ouverture forcée du pays à partir de 1853 et la Rénovation de Meiji à partir de 1868 ne pouvaient rester sans conséquences à cet égard. J'ai eu plusieurs fois l'occasion de traiter de l'impact de ces bouleversements sur des romanciers et nouvellistes, mais les poètes en étaient au moins autant affectés, et peut-être davantage encore. La mise en valeur du haïku n'était-elle pas aussi, d'une certaine manière, l'occasion d'affirmer une spécificité nippone irréductible
Lien : http://nebalestuncon.over-bl..
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j'aime ce monde
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Vidéo de Corinne Atlan
Avec Zéno Bianu & Cleo T. Accompagnés de Valentin Mussou & Emilien Pottier Son par Lenny Szpira Lumière par Patrick Clitus
Faisant suite à la récente parution du Pierrot Solaire de Bianu aux éditions Gallimard, la compositrice et chanteuse Cleo T. parcourt l'oeuvre du poète dans un dialogue recomposé. Piano, violoncelle, basse et instruments électroniques posent le cadre de cette traversée astrale où les voix glissent du poème au chant à la recherche d'une langue de l'émotion. Les fusains de Magdalena Lamri seront les décors de cette traversée, images d'un monde sublimé à la frontière du rêve.
Ce concert préfigure la sortie d'un album annoncé pour début 2023.
À lire – Zéno Bianu, Pierrot solaire, coll. « Blanche », Gallimard, 2022 – haïkus, trad. du japonais, préfacé et annoté par Corinne Atlan et Zéno Bianu, coll. « Folio bilingue », Gallimard, 2022.
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