Citations sur Un automne à Kyôto (10)
Le sol est constellé de feuilles, recouvrant une couche de mousse vert vif comme du matcha. Je contemple ce tapis fauve à mes pieds comme si je regardais la vie même flamboyer de ses derniers feux. L'hiver n'est pas encore là (du reste l'hiver est encore une saison de la vie), pourtant tout s'accélère : la fin viendra, comment l'ignorer désormais ?
« L'éphémère » n'est plus un concept, mais un sentiment d'une intensité poignante. Tout paraît plus précieux, les émotions sont plus profondes, plus riches, les sensations plus vives...
Aucune mélancolie, pourtant, n'émane de cet érable à la stature majestueuse, symbole même de l'automne. Les feuilles qu'il sème sous ses branches dispensent le message non d'une fin à venir mais d'un cycle qui se perpétuera...
L'automne est plein de mains coupées
Non non ce sont des feuilles mortes
Aux vers d'Apollinaire semble répondre le haiku de Samboku, inconnu dont subsiste seulement cet unique poème, récompensé en 1672 par Bashô lors d'un concours :
Telle la main droite
d'une sage-femme —
la feuille d'érable en automne
... Ce qui demeure en moi de cette journée parfaite : le brouillard de lumière vert pâle entre les troncs d'un bois de bambous traversé à la hâte et, dans le jardin de Fujiwara, le voile éclatant du feuillage du grand érable, comme la lumière du soleil derrière les paupières closes.
'Choses amusantes', p. 236-237
L'esthétique japonaise ne repose pas sur une différenciation entre beauté et laideur mais plutôt entre fugitif (hakanai) et permanent : réintégrer dans le renouvellement éternel des saisons, où s'inscrivent nos brèves existences humaines, les instants vécus, les choses vues, en établir des listes, afin d'en prolonger la trace. En peindre les détails avec le plus d'exactitude possible.
Autrefois dans les villages, on priait les dieux pour obtenir de bonnes récoltes à l’équinoxe de printemps. A l'équinoxe d'automne, on leur adressait des remerciements. Le printemps n'est donc pas dénué d'une certaine angoisse du lendemain, tandis que l'automne représente la saison de la plénitude.
Devinant mon impatience, Daikô sourit, soulève son bol de thé pour en boire une gorgée, puis le repose sur le plateau de laque avec des gestes mesurés d'une rare élégance. "Ichi-go-ichie", dit-il, citant une formule zen célèbre: "Un moment, une rencontre." Chaque rencontre est unique, aucun instant écoulé ne se renouvellera jamais à l'identique.
Un ami qui pratique la cérémonie du thé m'a dit l'autre jour : "Nous aimons tant les matériaux fragiles, la terre, le bois, le papier, que je me demande si la conception japonaise de la vie ne repose pas sur l'idée de friabilité."
Un idéogramme ou un mot japonais propose une infinité de nuances et de niveaux de compréhension. Et cette extraordinaire polysémie est l'une des caractéristiques non seulement de la langue mais aussi de la civilisation de l'archipel nippon, dont les strates feuilletées n'ont jamais vraiment fini de livrer leur mystère.
Mais Mme R., elle, est une femme réellement charmante... Au fond, si elle arrive toujours au bon moment, c'est surtout parce qu’elle possède cette aptitude si japonaise à "lire l'atmosphère" (kûki wo yomu), expression qu'elle affectionne d'ailleurs particulièrement. Elle apparaît comme par enchantement, un jour où je n'ai pas eu le temps de faire les courses, pour me proposer quelques légumes rapportés de la campagne, ou encore un bol de bouillon un soir où je suis terrassée par un rhume.
La poésie, les jardins, l'architecture, la peinture, la spiritualité, le quotidien même : tout ici, et à Kyoto plus encore, résonne d'une efflorescence de sens qu'une vie entière ne suffit pas à épuiser.
Chacun de ceux qui vivent ici ou simplement traversent cette ville se l'approprient d'une manière différente. Car derrière ses apparences se déploient, consciemment ou non, souvenirs, rêves, impressions, lectures ou expériences passées.
Oui, quand bien même le monde entier voudrait l'oublier ,ils savent que dans un lieu perdu du japon d'aujourd'hui ,le nucléaire a transformé les arbres en déchets contaminés dans lesquels plus personne ne songerait à tailler un Bouddha.