AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de de


Reconnaître la dette sociale et la dette écologique, irréductibles à la dette économique et financière

« le sommet de la Terre à Rio de Janeiro en juin 2012 a été placé par les Nations unies sous le signe de l'économie verte ».
Mais qu'en est-il réellement de la situation et des politiques menées, de cette économie verte vantée ?

Si la catastrophe de Fukushima, comme les autres catastrophes nucléaires « provoque des effets irréversibles et insidieux. Elle fait des humains non plus vivants capables de choix collectifs et de liberté, mais des survivants », quels sont les effets des autres bombes « dérèglements climatiques, réduction de la biodiversité, crise du modèle énergétique, dévastation des sols, des forêts, des océans, de l'atmosphère et des sources d'eau potables » ?

Les destructions sont biens réelles, « visibles et scientifiquement établies », mais traitées et analysées « comme des dégâts seulement environnementaux, des effets collatéraux malheureux d'un modèle qu'il s'agit de faire durer ».

Ainsi, de Stockholm 1972, Nairobi 1982, Rio de Janeiro 1992, Johannesburg 2002, Rio de Janeiro 2012, les puissances dominantes ont promu « une croissance économique illimitée », assimilé le progrès « à l'accumulation matérielle » et construit comme « solution » une extension du marché.

Quatre chapitres :

Le monde face à la crise écologique globale : géopolitique de l'environnement de 1945 à Rio (1992). Les auteur-e-s montrent les conséquences de la forte croissance mondiale en terme d'impact sur la biosphère, les ressources et les émissions de CO². Ce développement a reposé sur « une consommation gigantesque de matières premières fossiles ou non renouvelables ». Derrière des stratégies « de soutenabilité et de durabilité » les réalités des dégâts écologiques et des injustices sociales. Sans oublier que « L'idée d'une valeur propre, non économique, des écosystèmes, a été emportée par le mirage d'une abondance universelle et de la prospérité, permises par l'extraction massive des ressources ». Si néanmoins, une certaine prise de conscience existait, les « réponses » furent « inspirées par une vision réparatrice et technicienne de l'écologie ». Une illusion se développe autour de la « déconnexion de l'activité économique de sa base matérielle ». Dans le même temps sont menées des politiques d'appropriation des biens communs, avec leurs cortèges d'expropriations de milliers de paysan-ne-s. Les auteur-e-s concluent ce chapitre « le développement durable est alors apparu comme le masque des stratégies de conquête de nouveaux marchés, comme un outil pour faire durer des modèles de développement profondément non durables ».

L'échec des ambitions de Rio 1992. le modèle dominant d'organisation économico-social occulte « l'impératif d'accumulation infinie dans le cadre du capitalisme et l'impossibilité pour ce modèle d'assurer sa reproduction sans susciter sans cesse de nouveaux besoins, sans programmer l'obsolescence des produits, sans réduire leur durabilité ». Penser la « durabilité » suppose « que la sphère économique ne soit pas entendue comme sphère autonome et autoréférente ». Les auteur-e-s analysent la sacralisation du marché, sa supposée efficience, la dévalorisation des domaines publics et la valorisation de la propriété privée. Elle et ils insistent sur la biodiversité et décryptent la brevetabilité du vivant. « Toutefois, si le vivant se trouve effectivement clôturé du fait de la prolifération des brevets, comme le furent les terres communes au moment des enclosures, ces nouveaux droits de propriété ne peuvent être pensés seulement sur le modèle d'une propriété foncière, limitée par des frontières définissant l'intérieur de la propriété et son extérieur. Ils relèvent d'une propriété incorporelle et d'un droit d'exploitation à venir, qui, du fait des caractéristiques propres du vivant, de sa capacité à se reproduire de manière infinie, gratuite et non programmée, étendent la propriété pour contrôler cette reproduction à venir ». Je souligne la qualité de l'analyse du protocole de Kyoto et des marchés du carbone et l'insistance sur la non prise en compte des aspects sociaux du changement climatique. Bien des États, signataires ou non du protocole « refusent l'application d'une responsabilité historique différenciée et rejettent toute contrainte en matière de réduction des émissions ».

Du « développement durable » à l'« économie verte » : les nouveaux habits de la marchandisation de la Terre. « le soubassement biophysique de la production, la nature, longtemps ignoré, est désormais pris en compte. Mais au lieu d'apparaître comme une limite indépassable de l'activité productive à grande échelle, il est inséré dans le processus économique, comme capital ». Les auteur-e-s nous parlent de biomasse, d'effet rebond, montrent le poids démesuré « en carbone » des produits de communication et d'information. Elle et ils insistent sur la signification du « capital naturel » échangé dans les processus marchands, l'accaparement des ressources par les sociétés transnationales, la boulimie extractive, le sens de l'introduction de l'agriculture dans les négociations climatiques, la nécessaire exclusion des plantations de la définition des forêts. « L'avenir radieux d'un nouveau business de la nature » ressemble plus à un cauchemar, avec ses nouveaux instruments de marché, les taux d'émission de l'agro-industrie et des monocultures intensives. Quelques propositions concrètes sont argumentées, comme la technique des semis directs et plus généralement les élaborations de Via Campesina. Si l'économie verte ne signifie pas une pression moindre sur les ressources, il convient de réaffirmer « Sans réduire le volume global de la consommation d'énergie, réduire la proportion des énergies fossiles dans le mix énergétique ne permet ni de réduire suffisamment les émissions de gaz à effet de serre ni de ”réduire de manière significative la pénurie des ressources”, contrairement aux affirmations du PNUE. » Il faut aussi dénoncer la place de l'Europe dans les processus « L'Union Européenne préconise donc de déréglementer et de libéraliser les marchés de matières premières et les investissements dans ce secteur, sans tenir compte des conséquences sociales, écologiques et démocratiques dans les pays d'origine. Elle entrave toute velléité que pourraient avoir certains pays du Sud de mettre en oeuvre des politiques environnementales plus restrictives afin de faire face aux conséquences, souvent désastreuses, de l'exploitation des ressources naturelles pour les populations locales et leur environnement ». Les auteur-e-s concluent sur la réalité de l'économie verte « Elle est d'ores et déjà une réalité concrète à laquelle s'affrontent des peuples, des communautés indigènes, des paysans, des citoyens, expropriés et privés de leur milieux de vie et de travail ». Un travail complémentaire serait nécessaire pour montrer les conséquences différenciées sur les femmes et les hommes.

Vers des sociétés du bien-vivre, du buen vivir. « Les résistances que nous privilégions ici sont celles qui mêlent des luttes sociales et environnementales, qui dessinent la possibilité d'un autre paradigme et s'inscrivent dans une transition vers des sociétés justes et soutenables ». La crise du capitalisme est aussi la crise de la « civilisation » productiviste occidentale. La croissance ne peut plus être pensée comme un progrès linéaire, une accumulation incessante de biens matériels. Les auteur-e-s insistent sur les luttes paysannes, la place des pensées indigènes dans « les notions d'interdépendance entre l'humanité et les écosystèmes ». « Assurer la continuité de la vie humaine et sa dignité sans sacrifier les processus démocratiques, la justice et la liberté, conduit à questionner la modernité et son bagage techno-scientifique, son obsession de la maîtrise, en même temps que le capitalisme et son mouvement permanent d'expropriation de la nature et du travail ». Sur ces bases, il conviendrait de faire des propositions qui rompent avec les mécanismes décrits mais sans inspirer un retour romantique à une mythique situation antérieure. A juste titre, les auteur-e-s montrent que les démarches initiées par des « populations autochtones » questionnent « l'anthropocentrisme des philosophies modernes ». le buen-vivir prôné, « réapprendre à bien s'alimenter, mais aussi danser, dormir et respirer » ne donne, malheureusement pas d'indication sur comment penser et construire une/des alternatives. Il faut dépasser les modèles et les imaginaires dominants. « Ce dépassement est possible en faisant des inventions sociales et citoyennes concrètes la base du renouvellement des régulations publiques, à la fois nationales et internationales ».

Une lecture indispensable pour « tout connaître sur les nouveaux habits de la marchandisation de la Terre » et pour donner tout son poids à l'idée que « la nature comme la vie sont tellement essentielles qu'elles ”n'ont pas de prix”. »

Une remarque, en absence d'indication, « la nature » pourrait être prise comme une essence a-historique, préservée hors de tous rapports de production, ce qui est, dans la majorité des cas, une position, me semble-t-il, erronée.

A l'heure de institutionnalisation des partis verts, il y a a urgence à construire des réponses qui prennent à la fois en compte la crise historique du système capitalisme et la crise globale de notre relation à l'environnement, pour « placer la justice sociale et la durabilité au-dessus des logiques économiques de rentabilité ».

« L'économie verte est à ce titre autre chose que le changement de couleur du capitalisme, elle est une extension du capital par la capture des cycles de reproduction de la nature, une dépossession de la base naturelle des sociétés. »
Commenter  J’apprécie          30



Ont apprécié cette critique (3)voir plus




{* *}