Après 17 ans passés dans un petit 30 m² de la Rue d'Auteuil, l'auteur-narrateur
Jérôme Attal a décidé de déménager. Rien de bien original jusque là, sauf qu'il déménage Rue
Michel-Ange, c'est-à-dire à quelques dizaines de mètres. La proximité des deux logements ne manque pas de susciter nombre de réactions d'étonnement et de questions... Sans parler du mode de transport choisi pour ce déménagement, plus insolite encore que le fait d'aller s'installer dans la rue d'en face : un caddie jaune, très "pop" et très voyant, mais qui s'avère finalement fort pratique, économique, pas dérangeant pour les amis qui ainsi ne sont pas sollicités pour faire les cartons et les transporter (ce qui permet aussi au narrateur d'éviter que son nouvel appartement ne soit immédiatement envahi, investi, annexé par les uns et les autres...).
Et surtout, ce périple d'une rue à l'autre, avec ce caddie jaune rempli de tout ce qui fait une vie, est une invitation au voyage pour le moins amusante, originale, inédite et qui va se révéler beaucoup plus exotique qu'on n'aurait pu le croire...
D'abord parce que ce qu'il lui faut transbahuter en quelques dizaines d'allers-retours en caddie, n'est rien de moins que "le fatras magnifique d'une vie sur Terre, un «magasin de choses étranges qui semble résumer la vie» comme le dit si justement
Alexandre Vialatte". Et ce n'est pas rien de transporter par petits bouts toute une vie dans un caddie jaune, de choisir pour chaque voyage les livres, les disques, les films que l'on va emporter de l'autre côté, installer en piles, formant ainsi des grattes-ciel de littérature, de musique et de cinéma. "Notre univers, c'est le mélange de ce qui est donné, la ville telle qu'elle est, avec le territoire subjectif, celui que nous portons en nous et où se déploient nos pensées. le doux enclos de notre esprit qu'il nous est permis de franchir, à loisir."
Et puis, voyager ainsi, dans le froid glacial de cet hiver parisien, c'est aussi l'occasion de faire des rencontres, de remarquer les gens, de les croiser, de les aborder, de leur parler, de les connaître. Les commerçants, les passants et surtout les passantes... "J'ai toujours tendance à miser sur la vie qui fait que les êtres qui doivent se rencontrer se rencontrent, à miser sur Paris qui fait que les êtres qui doivent se réunir se retrouvent, à miser sur ma connaissance des rues qui fait que les êtres insupportables sont faciles à semer."
Les transports, quoique quotidiens, s'étalent sur quinze jours. C'est que notre narrateur a une vie trépidante et multiple. Il sort beaucoup, nous entraîne dans les nuits parisiennes peuplées de personnages improbables et pourtant réels puisque l'auteur de romans est aussi parolier et scénariste (les habitués des rubriques people pourront s'amuser à tenter de reconnaître les uns et les autres). Il propose d'ailleurs un texte pour Johnny, rencontre une jeune chanteuse et son manager dans un hôtel, et est sollicité pour écrire en dix jours la chanson de l'Eurovision – ne cherchez pas, ce n'est pas son texte qui a été finalement retenu –. Ce regard posé de l'intérieur mais avec beaucoup de distance sur le milieu de la "création culturelle" française est tout aussi amusant qu'édifiant...
Malgré toutes ces sollicitations et les contraintes de son déménagement en caddie, le narrateur ne perd pas de vue la mission essentielle qu'il s'est donnée, en plus des transports quotidiens de ses affaires, avant de quitter définitivement son 30 m² de la rue d'Auteuil : aborder enfin la jeune fille qu'il contemple depuis sa fenêtre depuis des années, à laquelle il rêve sans jamais avoir osé lui parler. Pour elle, il déménage en veste pour être toujours "classe", au cas où il la verrait ; il se crée des occasions de la croiser au local poubelle (drôle d'endroit pour une rencontre, mais bon...) ; il guette chacun de ses gestes de l'autre côté de la cour... "Distante et à peu de distance, Alexa ne s'offrait à la vue de personne d'autre que moi. J'habitais encore, pour un court laps de temps, le monde tel qu'il m'enchantait. Dans les perspectives qu'offrait un visage, une silhouette, une présence."
Les jours passent et le lecteur, à l'unisson du narrateur, retient son souffle : osera-t-il enfin parler à la belle Alexa ?
Avec ce "Voyage près de chez moi" (titre "inventé" par
David Foenkinos, lors d'une conversation entre les deux auteurs),
Jérôme Attal nous entraîne dans une épopée loufoque, moderne, délicieusement drôle.
Sa plume est tantôt tendre et sensible, tantôt ironique et acérée ; l'écriture surprenante, divertissante et très cinématographique rend résolument vivant ce récit décalé et attachant.
Il est la preuve qu'avec un caddie jaune et d'une rue à l'autre, on peut écrire un roman d'aventures.
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