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Critique de YvesParis


Jacques Attali a rencontré, avec ce livre publié en 2006, un succès public et critique mérité.
Faussement modeste, l'ancien conseiller spécial de François Mitterrand nous livre sa « brève » histoire de l'avenir en quelques 400 pages dont la densité de contenu n'a paradoxalement d'égal que l'agrément qu'on prend à leur lecture.

Cet essai prospectif se présente – et l'auteur le reconnaît volontiers – comme « l'approfondissement de thèses développées au fil d'essais et de romans précédents » (p. 24). C'est ainsi que son premier tiers est un rappel un peu ennuyeux de l'Histoire du monde depuis la Préhistoire à nos jours. A l'Ordre rituel puis à l'Ordre impérial a succédé l'Ordre marchand. Cet Ordre s'organise autour d'un « coeur » et Attali nous raconte, comme il l'avait déjà fait il y a près de vingt ans dans "Lignes d'horizon" comment neuf coeurs se sont succédés depuis le XIIIème siècle : Bruges, Venise, Anvers, Gênes, Amsterdam, Londres, Boston, New York et enfin Los Angeles (en 1990, Attali croyait que le neuvième coeur s'installerait à Tokyo, mais le rebond de la puissance américaine, qu'on avait trop vite enterrée et les difficultés de l'archipel nippon le conduisent à relocaliser en Californie le « coeur » actuel).

Les deux autres tiers du livre sont plus captivants. Ils nous parlent de l'avenir et de la vie que nous y mènerons avec une extrême clarté. Là est à la fois la plus grande force et la plus grande faiblesse de cet exercice de futurologie : il se résume avec trop de facilité pour espérer se réaliser avec une telle simplicité.

Selon Jacques Attali, on assistera dans vingt ou trente ans au repli inéluctable de l'empire américain : « les Etats-Unis seront fatigués (…) Ils auront besoin de souffler, de s'occuper d'eux-mêmes, de restaurer leurs finances, de panser leurs blessures, d'améliorer le bien-être de leurs propres habitants. » (p. 231) Ce retrait laissera la place à un monde polycentrique que ne dominera plus aucun « coeur » : « le marché sera devenu assez puissant et le coût de l'échange de données assez faible pour que les membres de la classe créative n'aient plus besoin de vivre au même endroit pour diriger le monde » (p. 239).
Les États s'affaibliront ; le marché s'auto-régulera. S'installera ainsi un hyperempire dominé par une caste d'hypernomades. Cet ordre aura ses laissés-pour-compte : l'immense classe moyenne des nomades virtuels et surtout le lumpenprolétariat des infranomades qui ne se satisferont pas du sort qui leur est réservé. Aussi à l'hyperempire succèdera un hyperconflit dont Attali n'exclut pas qu'il puisse conduire à l'anéantissement de l'humanité. Mais, dans un splendide dénouement dialectique qui ne dit pas son nom, Attali espère que les tensions de l'hyperempire puis de l'hyperconflit se résoudront dans l'avènement de l'hyperdémocratie, fondée sur un nouvel équilibre entre le marché et la démocratie.

L'exercice brillantissime auquel se livre Jacques Attali ne saurait laisser indifférent. On aura tôt fait d'en critiquer tel ou tel aspect, de relever des raccourcis trop rapides, de dénoncer son parti pris hyper-libéral et un happy end qui contraste avec la noirceur du reste du scénario. On ne pourra s'empêcher de suspecter Attali de s'être rêvé en futurologue omniscient, en nouveau Hari Seldon, le héros du cycle "Fondation" d'Isaac Asimov, dont les prévisions si elles venaient à se réaliser le hisseraient au rang d'un Hegel ou d'un Einstein.
Toutefois, qu'on soit ou non bluffé par autant d'assurance, qu'on aime plus ou moins "Brazil", 1984, "Blade Runner" ou "Les fils de l'homme" (de loin le meilleur film d'anticipation de ces dix dernières années) on trouvera dans les idées foisonnantes d'Attali matière à rêver (ou à cauchemarder ?) au monde de demain.
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