Si l’univers entier est en effervescence,
c’est qu’un Ami si visible est invisible.
De chaque atome surgit un soleil, de chaque goutte coule un océan. Si tu fends le cœur de chaque atome, tu trouveras en son sein une âme merveilleuse. Si tout corps jouit de l’adhésion de ses parties, c’est que chaque atome a une attirance pour un autre. Il ne s’agit pas de l’unicité ni de l’immanence, ni du blasphème ni de la foi, ni des deux ensemble. Lorsque tu sauras tout, tu ne sauras rien, car le tout est le signe de ce qui est sans signe. Le cœur qui ne se nourrit pas de Là-Haut, pour les gens de cœur, est une nappe sans repas.
(...)
L'amour est un océan, la raison sa riveraine. Que peut faire un riverain sinon observer l'océan ? Si la raison se faisait guide en amour, aucun nageur n'arriverait vivant sur le rivage. Devant l'amour qui inonde le cœur et l'âme, la raison est une étrangère, la sagesse un nouveau-né. Ceux qui s'introduisent derrière le rideau de l'Être laissent leur existence pour entrer dans le néant. Tu cherches tous les moyens pour que l'amour, le temps d'un instant, te révèle son secret. Tu peux suivre ce chemin une éternité, tant que tu restes toi, on ne pourra rien pour toi. Comment peux-tu savoir la douleur de l'amour, si ton cœur, n'a pas subi ses blessures ? Tous les milles ans, seule une étoile se dirige du ciel de l'amour vers la constellation du cœur.
(...)
Une fenêtre s'est ouverte dans mon cœur, je me suis assis longtemps à cette fenêtre. J'ai vu une centaine d'océans à travers la fenêtre, la source de mon cœur a rejoint les océans. Puisque je n'ai pas pu résister, je me suis noyé à cause du poids de la pêche tombée dans mon filet. Lorsque mon âme s'est orientée vers l'autre monde par amour, je me suis libéré des coutumes et des habitudes de ce monde. On ne croira pas à ce que j'exprime par la langue, vu l'état dans lequel je me trouve. Je ne suis ni dans l'existence, ni dans le néant. Je ne suis rien, je suis tout, je suis haut, je suis bas. (pp. 20, 27 & 130-131)
Une fenêtre s'est ouverte dans mon cœur, je me suis assis longtemps à cette fenêtre. J'ai vu une centaine d'océans à travers la fenêtre, la source de mon cœur a rejoint les océans. Puisque je n'ai pas pu résister, je me suis noyé à cause du poids de la pêche tombée dans mon filet. Lorsque mon âme s'est orientée vers l'autre monde par amour, je me suis libéré des coutumes et des habitudes de ce monde. On ne croira pas à ce que j'exprime par la langue, vu l'état dans lequel je me trouve. Je ne suis ni dans l'existence, ni dans le néant. Je ne suis rien, je suis tout, je suis haut, je suis bas.
Ô Amour! Sans aucun signe de toi je suis devenu sans signe!
Lors de l'émission “Cultures d'Islam”, diffusée sur France Culture le 24 janvier 2014, Abdelwahab Meddeb s'entretenait avec Leili Anvar autour de sa nouvelle traduction du “Cantique des Oiseaux” du poète mystique persan Farîd od-dîn ‘Attâr. Réalisation : Rafik Zénine. Avant d’arriver à l’Absolu, demeure du Sîmorgh, des milliers d’oiseaux traversent sept vallées : celles du désir, de l’amour, de la connaissance, de la plénitude, de l’unicité, de la perplexité, du dénuement, de l’anéantissement. Presque tous meurent ou abandonnent en chemin. Seuls trente arrivent au but : sî morgh, « trente oiseaux ». A travers ce jeu de mots (sî morgh, Sîmorgh), ‘Attâr nous signifie que les sept vallées ne sont que les étapes d’un cheminement intérieur. Au bout, les âmes ne pouvaient que se voir elles-mêmes. Même à ce stade ultime, les oiseaux restent noyés en eux-mêmes.
« Vous avez cherché l’Autre en cheminant longtemps / Vous ne voyez pourtant que vous, rien que vous ! » (distique 4277).
C’est que l’objet de la quête n’est pas en dehors de vous, il est en vous. Simorgh demeure invisible pour les yeux, indicible par la parole, inaudible à l’ouïe. Il ne vous reste qu’à plonger dans le feu de sa Présence et disparaître. De cet état, personne n’est revenu.
Comment en faire alors le récit ? s’interroge ‘Attâr (circa1158-1221), l’immense poète de Nishapur dont le “Mantiq at-Tayr” nous est donné ici en vers en conservant le paradoxe qui habite l’original : Comment dire l’indicible ? Comment figurer l’invisible ? Comment penser l’impensable ?
La tâche du traducteur est de rendre l’œuvre dans son ambivalence entre l’opacité et la transparence, où se déploie sa densité.
Farîd od-dîn ‘Attâr, “Le Cantique des Oiseaux” : traduction Leili Anvar, choix d’illustrations de peintures islamiques d’Orient analysées et commentées par Michael Barry. (éd. Diane de Selliers)
Invitée :
Leili Anvar, de l'INALCO
“Cultures d’Islam” participe à la levée d’une méconnaissance pour que les références islamiques circulent dans le sens commun et, d’une façon plus ouverte, moderne et polyphonique, approche l’Islam en tant que phénomène de civilisation.
Abdelwahab Meddeb, le producteur de “Cultures d'Islam”, s'est éteint dans la nuit du 5 au 6 novembre 2014. Abdelwahab Meddeb était romancier, essayiste, scénariste, traducteur et poète, et il était devenu au fil des années l'une des voix marquantes de France Culture.
Thèmes : Idées| Civilisation| Peinture| Poésie| Islam
Source : France Culture
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