Avec
Margaret Atwood, je fais souvent les choses à l'envers… Je découvre d'abord les séries télévisées adaptées de ses livres avant de la lire. C'est dire combien les univers qu'elle nous décrit m'intéressent et m'intriguent car j'ai toujours envie d'aller plus loin et de m'imprégner du texte original. Ce fut le cas pour
La Servante écarlate, suivie des Testaments…
Captive n'a pas fait exception. J'ai choisi la version audio, lue par Élodie Hubert qui prête admirablement sa voix et ses tonalités à un récit complexe aux différentes focalisations.
Ce roman est inspiré d'un sanglant fait divers qui a bouleversé le Canada dans la deuxième moitié du XIXe siècle. Dans sa postface, l'auteure précise les circonstances exactes, cite ses sources et évoque son important travail de recherches. de multiples épigraphes donne à ce livre un bel ancrage intertextuel.
Encore une héroïne féminine, un personnage travaillé et ciselé que nous allons suivre pendant plus de trente ans… Un destin tragique, celui d'une jeune irlandaise, Grace Marks, émigrée au Canada avec un père alcoolique et ses jeunes frères et soeurs, orpheline de mère, placée comme domestique dans diverses maisons, accusée à seize ans de deux meurtres horribles et condamnée à la prison à perpétuité…
Un réel dépaysement dans le Canada du XIXème siècle… mais le dépaysement n'est que géographique, tant la condition des femmes nous semble universelle, tant la domesticité féminine est taillable et corvéable, méprisée, ici comme partout ailleurs…
Une véritable enquête à posteriori puisque personne n'a jamais pu déterminer avec certitude si Grace était coupable, innocente, manipulée ou folle… Depuis son procès, elle s'est murée dans le silence : amnésie ou dissimulation ? Elle a connu l'asile et maintenant le pénitencier ; comme elle a fini par bien s'y conduire, elle est employée chez le gouverneur. le docteur Simon Jordan, jeune et prometteur spécialiste de la maladie mentale, veut découvrir la vérité et se servir de ses recherches pour se faire connaître. Il obtient l'autorisation de rencontrer Grace, de la faire longuement parler, à la manière d'une psychothérapie...
L'écriture est magistrale, polyphonique…
La narration omnisciente est longuement entrecoupée par les récits de Grace, ses souvenirs, ses réflexions, ses cauchemars, ses épisodes hallucinatoires ou encore ses réminiscences d'actes monstrueux… Nous découvrons une jeune femme sensible et émouvante qui parle de son enfance irlandaise, de l'agonie de sa mère sur le bateau qui l'a emmenée au Canada avec sa famille, de ses emplois de domestique, de la mort de sa seule amie... Nous nous attachons peu à peu à elle, à sa personnalité discrète et perspicace. Non seulement, elle nous touche ou nous intrigue mais, bien souvent, ses remarques savoureuses nous font sourire.
La longue confession de la jeune femme s'interrompt souvent pour faire avancer l'intrigue principale autour de sa possible grâce ou remise de peine ;
Margaret Atwood intercale des correspondances, des péripéties autour du Dr Jordan et des moeurs de la petite communauté formée autour du pénitencier et des cercles bourgeois qui la constituent,
À l'image de Grace Marks, condamnée à perpétuité, qui tourne lentement en rond dans la cour d'un pénitencier canadien, la narration est circulaire, le fuseau des souvenirs et des ressentis se dévide lentement, entre passé plus ou moins lointain et présent. J'ai beaucoup aimé la métaphore filée de la couture à petits points serrés, de la confection des courtepointes en patchwork. Ainsi le récit est morcelé, tel un puzzle à reconstituer, des bouts et des bribes à interpréter.
Cette histoire peut sembler longue parfois, dans une surabondance de détails, mais la qualité de l'écriture et de la traduction, le jeu continuel entre vérité et mensonge, entre psychose et manipulation en font une lecture captivante, marquante et réflexive.
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