Commençons par la couverture : Nous découvrons, sur fond rose passé, une partie d'un visage de femme ; un nez habituellement jugé séduisant accompagnant des lèvres très pulpeuses. La quatrième de couverture indique que : « Trois amies déjeunent ensemble. Elles n'ont rien en commun, sinon qu'elles nourrissent toutes trois une haine féroce contre Zénia, cette femme énigmatique et envoûtante qui leur a volé leur homme. Elles viennent d'apprendre sa mort, et quel soulagement ! Mais lorsque Zénia fait son entrée dans le restaurant, plus conquérante que jamais, c'est le choc. le cauchemar va-t-il recommencer ? » Et enfin le titre : «
La voleuse d'hommes ». Même si l'auteur est
Margaret Atwood l'ensemble me plonge un peu dans la même angoisse que l'alpiniste en tongues arrivant au pied du K2. « Cela s'annonce rude ! ».
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Ici ceux qui ont lu ma critique précédente se disent que je me complais dans le (très) mauvais feel-good avec un masochisme suspect cet été. C'est pas faux (ah Kaamelott !)… et pourtant j'ai appris des choses passionnantes !
- Un homme peut se voler. En étant un moi-même c'est quelque chose qui ne pouvait que me sembler essentiel. La méthode est simple et imparable. La propriétaire légitime du mâle concerné a la grande naïveté de faire confiance à une rivale sans l'identifier comme telle, cette dernière mentant habilement et sachant exploiter sans vergogne, en bonne perverse narcissique, les failles de ces innocentes et touchantes jeunes femmes. Faire entrer le coucou dans le domicile « conjugal »est une erreur fatale ! le reste est anecdotique. L'homme est idiot, sans défense, facile à berner et avide de sexe. Il suffit donc de lui dire quelques bêtises et, surtout, de profiter de l'absence épisodique de sa légitime propriétaire pour le mettre dans un lit (le canapé ou l'évier de cuisine font aussi l'affaire). Ensuite ce dernier suivra la voleuse sans hésiter, sans même que sa maitresse légitime ne reçoive la moindre indemnisation. À ce stade j'hésite à demander à mon épouse de me mettre sous vidéosurveillance constante. Nous autres mâles sommes si vulnérables, corruptibles, illogiques et incapables de voir que l'on nous abuse dès qu'un sein bien galbé se profile !
- Il ne faut pas juger une femme uniquement au premier regard ou à partir de sa façon de s'habiller… Ces intéressantes et si complexes créatures adoptent souvent des comportements pouvant sembler curieux de prime abord mais c'est parce qu'elles ont vécu des fêlures et autres traumatismes dans leurs jeunesses. Les étapes de l'enfance comme de l'adolescence, le rapport à leurs parents (mères surtout) jouent ici un rôle essentiel. En final elles sont bien plus profondes que l'on ne pourrait le croire, et infiniment plus attachantes aussi !
- le fait de vivre un même traumatisme (se faire voler celui qui réchauffe son lit, ce qui n'est pas rien) peut rapprocher et susciter de fortes et belles amitiés entre des femmes que tout semble éloigner par ailleurs.
Je cesse ici ce petit jeu qui pourrait se poursuivre aisément plusieurs pages en ironisant sur les clichés faciles (l'homosexuel), les préoccupations basiques, un scénario très conventionnel au final, 3 caractères assez simplistes (la cérébrale, brillante intellectuellement mais peu adaptée au quotidien ; l'ésotérique illuminée ; la femme d'affaires redoutable, très féminine dont l'apparence est partiellement trompeuse), un regard assez pauvre sur la maternité et, bien entendu, l'inévitable « fin heureuse mais pas mièvre », sans oublier que le principal personnage (
la voleuse d'hommes) peine à offrir une certaine cohérence, étant plus « en creux » pour mettre en évidence et en valeur les 3 amies que convainquant en lui-même.
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654 pages. Faut-il donc se servir de ce livre pour allumer sa cheminée ou caler un meuble ? Je dirais que non.
Certes, vous l'aurez compris, je ne trouve pas que ce soit un chef d'oeuvre et estime que c'est dispensable pour à peu près tout lecteur. Certes, après quelques autres lectures de cet auteur, je trouve que sa réputation actuelle est quelque peu excessive. Pour autant ce livre a des qualités qui peuvent en faire un assez agréable compagnon de voyage, de trajet en avion ou en train…
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Margaret Atwood écrit bien. Rien que cela la distingue assez radicalement du « feel-good » de base. Elle sait animer les pages sans aller dans les excès, construire des personnages auxquels ses lectrices vont pouvoir au moins pour partie s'identifier dans bien des cas… Ce n'est pas génial, ce n'est pas dénué de facilité mais c'est efficace.
- La structure du livre, partant d'une situation actuelle pour ensuite revenir longuement dans le passé de chacune des 3 amies, amenant ainsi à les connaître progressivement mieux, à découvrir ce qui les a amenées à leurs présents est une idée intéressante et qui fonctionne bien. Certes la psychologie proposée est généralement sommaire voire parfois caricaturale mais, là encore, c'est assez efficace.
- L'ouvrage évite l'écueil consistant à prétendre vous donner un mode d'emploi pour vivre mieux. Cela évite de sombrer dans le ridicule.
- Pour un homme c'est une lecture fort intéressante, du moins pour qui adopte une approche de type sociologique. En effet ce livre semble une assez bonne synthèse de divers clichés féminins réducteurs sur les « mâles ». C'est drôle, pour une fois, de se sentir non pas émetteur de clichés dans un monde misogyne mais réifié à son tour dans une large mesure. Ce peut être au choix l'occasion d'un réel amusement ou de réflexions théoriques et pratiques pouvant avoir une utilité. Beau jeu de miroirs (très déformants) qu'un homme qui lit une femme écrivant au sujet de femmes qui parlent d'une femme ayant « volé » leurs hommes.
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Sans le conseiller pour partir sur une Ile déserte, si vous deviez croiser «
La voleuse d'hommes » au bord d'un quai de gare et avez envie d'un moment facile, d'une pure détente sans prétentions il y a de plus mauvais choix. Il y en a aussi de meilleurs.
Bonnes lectures estivales à tous (et toutes…).