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Critique de SZRAMOWO


En quelques phrases, Florence Aubenas sait nous faire comprendre ce qui sépare Gérald Thomassin du reste de la société. Cette société qui l'a adulé un temps, (allez jeter un oeil sur la page Wikipedia ou l'IMDB de Gérald Thomassin), à laquelle il n'a jamais su se conformer et qui l'a rejeté en le soupçonnant du pire, le meurtre de la postière de Montréal-La-Cluse en 2008.
N'a-t-il pas été le petit criminel dans le film de Jacques Doillon, vous diraient ceux qui au moyen-âge jetaient des pierres sur l'acteur qui jouait le rôle de Judas lorsque la Passion du Christ était mis en scène sur le parvis des cathédrales ?
Il a préféré disparaître en août 2019. Il obtiendra un non-lieu en octobre de la même année. Depuis personne ne sait où il se trouve. Une information judiciaire pour enlèvement et séquestration est ouverte.
« Montréal-La-Cluse est devenu un bourg ouvrier, mais le temps s'y écoule comme à la campagne, entre la maison et le jardin.
S'occuper du bois, savoir conduire très vite sur la neige ou éviter de nuit un sanglier garde ici tout son sens.
(…)
Personne n'a jamais vu Thomassin dans l'eau, ni même en maillot de bain. Les jours et les nuits, il les passe avec quelques gamins du camping, collé devant des jeux vidéo, à écluser des bières. »
En 2007, Thomassin s'installe dans cette région de Nantua où après le miracle économique de l'industrie du plastique, tout « a été compressé, délocalisé, précarisé, fermé. » où, « Bientôt il faudra du piston pour avoir sa chimio »
Par miracle, Montréal-La-Cluse a pu maintenir son agence postale. Autour de la postière, « Catherine Burgod, 47 ans, des faux airs de Sophie Marceau », les anciennes copines de lycée se retrouvent pour un café matinal tous les jours à 8h30.
Dans le village, Thomassin se lie avec Tintin et Rambouille « On était les Dalton » dit Tintin.
Au yeux des deux autres Thomassin brille, c'est la vedette !
Autour de ce fait divers, Florence Aubenas nous livre une véritable chronique de la France du XXIème et du fonctionnement de la justice. Ça se lit comme un polar, mais ça fait froid dans le dos.
Avec une grande précision et un vocabulaire sans détour, elle analyse le contexte des itinéraires respectifs de Catherine Burgod et Gérald Thomassin. Tout les oppose. Elle, la petite fille gâtée par son père qui ne lui refuse jamais rien, malheureuse malgré les apparences, court après un bonheur qui lui échappe. Lui , l'orphelin de la DASS qui ne s'est jamais remis de son abandon malgré ses récompenses cinématographiques vit dans une réalité qu'il est seul à percevoir. Deux personnalités opposées qui se retrouvent dans les blessures que la vie leur a infligées.
Le village prend fait et cause pour Catherine contre Thomassin.
« Peu à peu, dans cette paisible communauté villageoise, la méfiance entre voisins s'est installée, les anciens se sont remis à raconter la guerre, « le seul épisode comparable, dit l'un. »
Thomassin coche toutes les cases, il est étranger, habite juste en face de la poste, parle beaucoup sans que l'on sache si c'est l'auteur ou le personnage qui parle. Les mots n'ont pas le même sens pour Jacques Doillon ou pour un habitant Lambda de Montréal -La-Cluse !
Thomassin n'est jamais dans la réalité, il joue en permanence. « Il n'y a pas plus attachant, dit Doillon. Pas plus décourageant non plus. » Entre lui et la société c'est une question d'indifférence et d'attraction. « Ce monde lui paraît étranger et à la fois secrètement familier. »
Sur les témoignages de Tintin et Rambouille l'enquête concentre sur Thomassin. Son expérience d'acteur fait dire aux gendarmes« Il a pu tenir ce rôle du meurtrier puis s'en extraire en se persuadant ensuite que ce n'est pas lui qui a agi. » Manquent les preuves. Il donne du grain à moudre aux gendarmes car « (…) « simplement » n'existe pas dans le monde de Thomassin. »
Garde à vue le 26 juin 2013, il passera presque trois ans en prison.
Les traces d'ADN du véritable coupable retrouvées sur la scène de crime matchent avec celle d'un habitant de la vallée. Thomassin est disculpé, mais le doute demeure.
L'analyse des magistrats diverge sur le sujet.
A la fin de cette lecture, on hésite entre Entre colère et chagrin.
La presse n'a pas hésite à écrire « (…) l'acteur du Petit criminel, « un film dont le titre résonne tragiquement aujourd'hui »
Pendant des années la justice a considéré un coupable parce que son parcours en faisait un coupable crédible.
Un livre hallucinant sur une affaire qui ne l'est pas moins.
Du grand Florence Aubenas !
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