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Critique de Kirzy


J'étais à peu près passée à côté du fait divers au coeur de ce récit. 2008 : le meurtre par 28 coups de couteau d'une postière dans une petite ville de l'Ain. 2013 : l'acteur du Petit Criminel, césar du meilleur espoir 1991, Gérald Thomassin mis en examen pour cet homicide et incarcéré en détention provisoire puis libéré sous contrôle judiciaire. 2019 : il disparaît, sur le point d'être innocenté d'un non-lieu. Incroyable histoire, du César au cauchemar, nimbée de mystères.

Florence Aubenas est une formidable conteuse. Ce n'est pas nouveau, pour ceux qui ont lu le Quai de Ouistreham ou suivent son travail de journaliste au Monde. Disons que dans ce récit éminemment romanesque où tous les événements sont vrais, son talent est encore plus éclatant. L'Inconnu de la Poste se lit comme un thriller, fluide et aisé à suivre, saturé de mystères. La ligne narrative sait où elle veut conduire le lecteur tout en se remodelant en permanence au fil des rencontres et des éclairages choisis par l'auteure. Elle ouvre les tiroirs les uns après les autres tout en gardant son récit droit.

L'auteure a travaillé plus de six ans sur ce dossier. Pour autant, elle ne propose pas une contre-enquête à la « Faites entrer l'accusé ». de même, elle ne porte aucun jugement sur le déroulé de l'affaire, ne fait aucune extrapolation. Dans la lignée rigoureuse et sensible de de Sang froid ( Truman Capote ) et du Chant du bourreau ( Norman Mailer ), son True crime est une magnifique étude sociologique, celle d'une petite ville provinciale, Montréal-la-Cluse, au coeur de Plastics Valley en crise depuis les années 1990 puis carrefour de la drogue entre la Suisse et l'Italie. Comme une vue en coupe de la société française qui donne les clefs pour percevoir l'épaisseur du réel et sa complexité.

Florence Aubenas flaire dans les moindres recoins du réel et son acuité humaniste nourrit son récit de mille détails qui palpitent de vie en s'attachant à une galerie épatante de portraits. Bien sûr, Gérald Thomassin en est le point de convergence et on découvre un enfant de la DDASS que le cinéma n'a pas sauvé, dont le parcours chaotique de marginal entre drogue, alcool et RSA, en a fait un parfait gibier de potence. « Attachant et décourageant » comme le décrit le cinéaste Jacques Doillon.

Mais au-delà de la trajectoire cabossée de Thomassin, Florence Aubenas donne une voix à tous ces protagonistes qui n'ont pas l'habitude de se raconter ou d'être racontés : les habitants de Montréal-la-Cluse, la bande de copine de la postière assassinée, les copains marginaux qui traînaient avec Thomassin, les les derniers fermiers du village vivant comme des reclus avant de tout lâcher. Catherine, la postière a droit à un portrait complet qui résonne avec les failles de l'acteur. Et puis, il y a son père, notable du village. Acharné, ne tenant que par sa quête de vengeance, s'accrochant à ses croyances, obsédé par Thomassin en lequel il ne voit qu'un assassin avéré. On est chez Chabrol ou Simenon.

Tout est passionnant dans ce récit à l'humanité brute et nue qui ne verse jamais dans le sensationnalisme.



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