"
Duplicité féminine" est un roman historique dont l'action se déroule après le coup d'Etat de Louis
Napoléon Bonaparte du 2 décembre 1851, par lequel celui-ci s'empare du pouvoir à la fin de son mandat de président de la République.
Il est la troisième oeuvre de l'auteur. La première est une biographie de Pierre Lafon, médecin, journaliste et homme politique lotois né en 1806 à Gramat ; la deuxième un roman, historique lui aussi, et dont l'action précède "
Duplicité féminine", intitulé "
Trois nuits deux jours", relatant l'insurrection telle qu'elle s'est déroulée à Saint-Céré à l'occasion du coup d'Etat du 2 décembre.
L'intrigue sentimentale du présent roman est l'occasion de visiter tout en douceur (on apprend sans s'en rendre compte) une époque de troubles politiques, d'essor économique, de fermentation des idées. L'auteur a dû effectuer un gigantesque travail d'archives ; sont en effet évoqués les grands travaux qui transformèrent Paris, la spéculation immobilière effrénée, les mariages arrangés, les moeurs, l'organisation des bagnes, la multiplication des bals populaires, la prostitution presque inévitable pour les femmes seules et pauvres, la misère des rues de Paris, les habitudes bourgeoises, la condition subalterne des épouses, la prolifération des petites mains et grisettes en tous genres, la mode des boutiques d'antiquités (déjà ! on sait que
Balzac en raffolait), l'essor des idées de liberté individuelle...
On est étonnée par les précisions architecturales ainsi que par les nombreuses descriptions des points de vue sur les monuments parisiens depuis telle et telle fenêtre : cela indiquerait-t-il que l'auteur a personnellement visité tous les lieux évoqués ?
Le style n'est pas en reste, agréable, coulant et ne tombant néanmoins pas dans la facilité : le vocabulaire est précis, souvent recherché, notamment pour tout ce qui concerne les descriptions d'ameublements. J'ai retrouvé aussi certaines expressions très populaires et très anciennes comme celle de "couler le linge", que j'ai entendu une ou deux fois dans la bouche de ma grand-mère (née en 1895).
Les personnages m'ont parfois semblé extraordinaires : qu'une jeune femme en 1850 puisse briser une bouteille (ou un verre...) pour se défendre en balafrant le visage d'un agresseur m'a semblé peu crédible : mais sans doute se fait-on des ouvrières de 1850 une idée fausse... qu'une blanchisseuse autorise un libraire à lui lire "Les infortunes de la vertu" seule à seul avec lui - à une époque où une femme ne pouvait rester avec un homme dans un lieu clos sans se perdre de réputation - ; que de surcroît, elle ne cache pas son enthousiasme à l'écoute d'un texte aussi scabreux (c'est peu de le dire), c'est difficile à croire : cette blanchisseuse a l'estomac bien accroché, me suis-je dit, et ne craint pas les entreprises galantes qui aurait pu s'ensuivre...
Heureusement notre libraire reconverti est un saint homme - si je voulais taquiner, je dirais que c'est un personnage masculin peu vraisemblable - Mais je ne taquinerai pas : tout existe, heureusement ! -
Et puis c'est cela même qui crée le romanesque : reproche-t-on à
Alexandre Dumas la psychologie peu vraisemblable de d'Artagnan ? Certainement pas !
En revanche, le personnage de l'époux cuistre dont la suffisance n'a d'égale que le cynisme, et pourrait-on dire, la bêtise et l'aveuglement, est excellent : le repas est l'un des morceaux de bravoure du livre, savoureux, comme si on y était.
Deux bémols : la scène de danse du début du livre est un peu longue et trop technique ; on sent bien le plaisir qu'a eu l'auteur à la développer, et peut-être certains amateurs peuvent-ils l'apprécier. Mais je me suis ennuyée.
Et je persiste à ne pas aimer le titre de l'ouvrage, qui m'aurait carrément détournée de sa lecture si on ne me l'avait recommandé : les termes «
duplicité féminine" renvoient à un poncif éculé qui transporte, peut-être inconsciemment (?), la part de misogynie culturelle que nous véhiculons tous (hommes et femmes), à notre insu. Qui aurait parlé de "duplicité masculine" pour évoquer les agissements d'un fourbe ? L'auteur(e) qui s'y risquerait serait qualifié(e) de "féministe anti-hommes" !). Pourquoi ramener ainsi toujours l'individuel au collectif ?
J'aurais donc préféré que ce récit s'intitule tout simplement : "Double-jeu".
Si l'on franchit l'obstacle du titre, on accède à un récit agréable pour son intrigue sentimentale et son regard sur une époque. Habile, l'auteur flirte souvent avec l'anachronisme, sans qu'on puisse le prendre en flagrant délit : la blanchisseuse sait lire et écrire, c'est étonnant , mais possible après tout (le narrateur a pris soin de nous confier que sa mère déjà lisait)... ; elle est invitée à une table bourgeoise ? quelle entorse aux usages ! mais les entorses existent dans la vie ; l'homosexualité est traitée avec une bien grande bienveillance ?... comment nier que ce fût possible, surtout dans les milieux intellectuels ?
Le thème de l'émergence et de la progression des idées de liberté individuelle semble primordial pour l'auteur. Il pose le point de bascule, au mitan du 19 ème siècle, à partir duquel commencera à se desserrer le redoutable corset "victorien" : il faudra encore cent ans pour qu'éclatent enfin, par excès de compression, les valeurs rapetissantes de l'idéal bourgeois, pour que l'individu gagne en autonomie. Il s'établit ainsi naturellement une passerelle entre les années 1850 et la mentalité du lecteur d'aujourd'hui, ce qui permet une approche de "plein pied" sans donner dans la caricature.
Je salue l'intrépidité de l'écrivain, qui en multipliant les détails concernant la vie quotidienne la multiplié aussi les risques d'erreurs et d'anachronismes : il s'en est tiré en véritable historien.
Ce roman est meilleur que son titre un peu "vieille France" pourrait le laisser supposer : clarté, empathie envers les personnages, rigueur dans les descriptions (trop ?). Lecture agréable.