Je ne peux pas dire que je les connaissais bien tous les deux mais il était clair que j'avais affaire à deux personnes antagonistes. Il était rangé, attaché à ses certitudes et à sa sécurité, elle était ivre de liberté. Le mariage d'une feuille de papier avec une bourrasque.
Perdu dans mes réflexions, j'ai été presque surpris de me retrouver devant le bureau de poste. Bonne nouvelle, il était ouvert. A l'intérieur, on se serait cru dans "Thriller" de Michael Jackson. Tous ces vieux qui avançaient vers le guichet en traînant la jambe et attendaient leur tour en tremblant de tous leurs membres comme des zombies.
(...) l’humour est une façon de se tirer d’embarras, sans se tirer d’affaire (...)
J'ai remonté la fermeture Éclair en retenant ma respiration et en faisant bien attention de ne pas pincer les bourrelets de gras qui essayaient de se faire la malle. [...] Il fallait se rendre à l'évidence, je ressemblais davantage à un boudin noir qu'à Batman.
Bien sûr, j'avais conscience depuis le début de cette histoire d'avoir mis le doigt dans un engrenage implacable et je voyais bien que j'étais déjà happé jusqu'à l'épaule, mais j'ai quand même tenté ma chance. Ca n'avait aucun sens, un peu comme un gars qui jouerait à la roulette russe avec un pistolet automatique.
(...) je n’avais que très peu de besoins. Je ne dépensais pour ainsi dire rien. Vieux Bob disait parfois que j’étais devenu un décroissant, comme lui, un de ces gars qui ne croient plus au progrès, qui rejettent l’idée même de consommation, et méprisent plus que tout la course à la réussite sociale. J’avais peut-être en apparence quelques points communs avec les décroissants, mais aucune prise de conscience, aucun choix politique, aucune volonté de sauver la planète n’était à l’origine de ma décision de vivre dans une cabane. Simplement une grande fatigue causée par un ras-le-bol de l’humanité qui s’était carambolée avec une cruelle désillusion sentimentale. Je me sentais ainsi plus proche d’un misanthrope ou d’un amoureux déçu que d’un militant altermondialiste.
[Un patron de bar parle d'une série de meurtres]
- Pour moi, c'est un gitan qui a fait le coup, un de ceux qui ont leurs caravanes garées derrière le supermarché. Ils sont toujours en train de braconner ou d'essayer de truander quelqu'un. Moi, je dis qu'on est trop conciliants. On n'est plus chez nous.
Je l'ai écouté. A présent, il n'était plus nécessaire de lui arracher les mots de la bouche. C'était parti et bien parti. Ca coulait tout seul comme un torrent de fiel. On voyait qu'il la connaissait bien, la chanson. Et il les a tous passés en revus, les uns après les autres, bien soigneusement, les Maghrébins, les Blacks, les Roms, les Juifs. Même les Parisiens, il les a invités à la fête. Pour mon come-back, j'étais verni. Il était difficile de tomber du premier coup sur un aussi beau spécimen.
Cuisiner ressemble à la pêche, je me disais, en nettoyant mes légumes, un truc efficace pour se vider la tête. Les hommes n’ont de cesse de chercher des occupations destinées à évacuer le trop-plein. Moi, j’avais trouvé la pêche et la cuisine et c’était tout aussi bien que d’épuiser son corps à faire des footings imbéciles.
Envie de disparaître. C'est une technique de survie qu'emploient certains animaux. En cas de danger, l'opossum se fait passer pour mort en ralentissant son rythme cardiaque. Il parvient à simuler la rigidité cadavérique, l'oeil vitreux, la langue pendante et pousse le réalisme jusqu'à sécréter une substance qui imite l'exacte odeur de la putréfaction des chairs. "Que ne suis-je un opossum !" me disais-je...
J’ai contracté d’un seul coup tous mes muscles puis j’ai rejeté ma tête en arrière sur le dossier du canapé en essayant de faire rouler mes globes oculaires. Pour finir, j’ai laissé pendre ma langue sur le côté de la bouche en poussant un râle.
- "Qu’est-ce qui vous prend ? "
Il ne me restait plus qu’à rester immobile et à attendre qu’elle finisse par tourner les talons. Ça prendrait le temps qu’il faudrait mais j’étais assez confiant. Je la tenais enfin la stratégie de l’opossum
Quelqu'un d'autre a dit aussi que l'humour est une façon de se tirer d'embarras, sans se tirer d'affaire.