Léonard "Chib" Moreno est thanatopracteur à Cannes, c'est-à-dire qu'il empaille les êtres morts pour que les vivants en conservent l'image terrestre. Issu d'une mère violée par les G.I., Chib en a gardé la peau noire, l'amour du jazz, le goût des costumes classieux et une certaine réserve. Il passe son temps libre avec son ami, Greg, hâbleur, dragueur et vulgaire à souhait, presque une caricature :
« Greg se tenait près de son 4×4 rouge métallisé. Encore engoncé dans sa combinaison en néoprène bleu roi, gros paquet de muscles bronzés, cheveux blonds décolorés par le soleil tirés en queue de cheval, occupé à plier la voile fluo de sa planche sous le regard placide de deux jeunes femmes juchées sur des semelles compensées de quinze centimètres de haut, bras croisés sur leur corsage néo-seventies. »
Il est un jour contacté par la famille Andrieu, gens de l'aristocratie et fervents catholiques afin d'embaumer le corps de leur fillette de 7 ans, Elisabeth Louise, dite Elilou, fraîchement décédée. D'abord réticent, Chib accepte et c'est le début des ennuis car il découvre que la fillette n'est plus vierge et n'est probablement pas morte par accident. Aidé de Gaëlle, une jeune étudiante en médecine, il hante la propriété des Andrieu à la recherche d'indices mais la situation est complexe. Pour commencer, Chib tombe amoureux de Blanche Andrieu, mère de la victime, femme neurasthénique à la suite de la perte d'un premier enfant, Léon noyé dans la piscine. Chib vit un amour charnel bourré de contradictions et de remords malsain. Autour de cette famille- composée du père, Jean-Hughes grand et blond, buvant beaucoup et sans cesse harcelé par sa mère , dite « Belle-Mamie » gardienne des bienséances ancestrales depuis la mort de son époux Enguerrand, des deux fils, Charles l'aîné homosexuel dont on dit qu'il a couché avec le jardinier Costa,
Louis-Marie, adolescent taciturne et provocateur et des deux petites, Annabelle, petite peste accro aux jeux vidéo et Eunice, trois ans accompagnée de sa peluche, Bunny le lapin- gravitent les voisins,amis et proches dont Dubois un curé qui s'occupe de camps de jeunes.
Derrière les apparences se trame et se cache le drame. D''abord le corps D'Elilou disparaît de la chapelle de la propriété pour réapparaître tout aussi curieusement accompagné de rites sataniques et hautement blasphématoires. Des animaux meurent dans le quartier, sans explication mais atrocement mutilés, Chib finit par se faire tirer dessus dans la propriété des Andrieu et, pour entretenir sa parano, il reçoit d'étranges coups de fil et un DVD où l'on filme ses amours avec la belle Blanche. Tout se mêle. La nécrophilie, la religion, l''amour, la frustration, l'inceste, l'oedipe, le pouvoir, la bienséance, la pédophilie sont autant de thèmes traités.
« Pas envie de prier, envie d'une bière, envie de soleil, envie d'être jardinier et de faire pousser des fleurs sur les tombes. »
Dans ce polar on ne peut plus glauque, les personnages sont fortement typés comme on l'a vu avec Greg qui est affublé du type provençal :
« Il est né avec un bol d'aïoli dans une main et une boule de pétanque dans l'autre. » comme John Osmond le voisin incarne le gentleman :
« (Sa femme) : " Je pourrais le tromper avec une armée de cosaques sans qu'il dise autre chose que : ''Prendrons-nous quand même le thé, darling?''
Le texte est entrecoupé de 8 intermezzos, poèmes cruels qui annoncent les drames passés ou à venir. le style de Brigitte Aubert est efficace surtout lorsqu'il s'agit de transmettre in situ les pensées intimes de Chib en décalage avec la situation de bienséance incarnée par Belle-Mamie entre autres. Certaines phrases, notamment dans les descriptions sont plus conventionnelles et je dois avouer que l'effet des phrases nominales et des appositions, en vogue dans la littérature des années quatre-vingt ont tendance à m'agacer :
« La pluie fouettait les vitres. Les vagues venaient s'écraser sur le sable à trois mètres d'eux. Impression de déjeuner sur un bateau. »
C'est un roman policier peu conventionnel dans ses thèmes. L'atmosphère tendue et oppressante a quelque chose de prégnant et de fascinant dans l'horreur et jusqu'au dernier chapitre, on se pose les mêmes questions que les protagonistes tant la situation dépasse parfois l'entendement d'un simple mortel.