Avec
Les Secrets de la Villégiature,
Marie-José Aubrycoin remet au goût du jour le roman épistolaire, tel qu'il était à sa grande époque, aux XVIIème et XVIIIème siècles. C'est original, osé et périlleux à la fois.
J'ai lu les grands classiques du genre, et je suis une inconditionnelle des Liaisons dangereuses de Choderlos de Laclos, mon préféré…
C'est donc avec plaisir et exigence mêlés que j'aborde cette lecture, curieuse de voir comment l'auteure revisite ce genre littéraire, aujourd'hui démodé.
Le premier détail qui me frappe est l'absence de datation des courriers échangés, mais les noms des correspondants, leur style d'écriture et les informations qu'ils échangent me ramènent bien vite à l'âge d'or des grands romans épistolaires. Il y est question de vertu, de séduction, de rumeurs et de vengeance… En fait, il faut attendre la quatorzième lettre pour qu'un détail historique situe le récit au XVIIIème siècle, après la mort de
Louis XIV.
Les personnages évoluent dans un milieu aisé et suffisamment désoeuvré pour disposer de tout le temps nécessaire pour donner libre cours à leur goût des potins mondains et des réputations faites et défaites.
Je craignais de trouver cette « petite société provinciale » un peu ennuyeuse et surannée, tout comme la jeune héroïne de ce livre, partie se reposer (mais pas seulement !) à la campagne chez une tante de son défunt mari dont les fréquentations se réduisent à « une vieille femme grincheuse, une famille rurale éprise de botanique dont la conversation tourne autour des plantes et des progrès d'une ribambelle de marmots, deux beautés locales qui se piquent de belles lettres et imposent à leur entourage des soirées où l'insipide se dispute au grotesque ». Mais, à partir de la dixième lettre, j'ai découvert avec malice et bonheur des péripéties qui ont réveillé mon intérêt car elles apportent scandale et modernité au genre épistolaire ainsi revisité ; la lettre facilite les confidences et permet de libérer les maux que la décence et le rôle à tenir en famille et en société obligent à garder secrets.
Marie-José Aubrycoin a su doter son roman d'un rythme dynamique en nous donnant à lire des lettres courtes et circonstanciées. Nous sommes loin des longueurs ennuyeuses de la Nouvelle Héloïse de Rousseau ou de Clarissa Harlowe de Richardson, heureusement ! Les péripéties alternent avec des passages plus descriptifs et l'intrigue se met habilement en place. L'humour est présent, tant dans les situations décrites dans les lettres que dans les changements de ton de certaines d'entre elles, notamment celles de l'héroïne principale selon qu'elle écrit à sa mère où à son amie/amante.
De plus, la narration épistolaire est ponctuée d'extraits d'un journal intime, ce qui rompt la monotonie sous-jacente dans ce genre de récit et illustre le sentiment de solitude de celle qui le tient. Là encore, l'humour est présent, mais c'est plutôt celui de l'auteure qui prête parfois à son personnage une certaine naïveté. Il y a également, dans ce journal, une grande délicatesse et une attention aux autres qui mérite d'être soulignées.
L'auteure a réussi à créer pour chaque correspondant un style propre et personnel tout en donnant à l'ensemble un côté très « siècle des lumières » poussé à l'extrême de l'ouverture d'esprit, « épris de libertés nouvelles ». La jeune héroïne développe des idées très féministes, notamment sur « l'institution du mariage qui bride les élans du coeur et sème dans son sillage déceptions et regrets, n'est faite que pour martyriser ceux qui se voient contraints à s'y soumettre ». Cette jeune veuve aspire à « fixer les règles du jeu de la vie qu'[elle veut] mener dorénavant ».
Les Secrets de la villégiature est une oeuvre polyphonique originale pour l'époque où se situe le récit. En effet, les ouvrages de référence que j'ai déjà cités,
De Laclos, Rousseau ou Richardson notamment, se cantonnaient à des amours hétérosexuelles assez conventionnelles. Or, il est évident que seule une certaine idée de la bienséance empêchait de faire état dans les livres des siècles passés de relations de couples entre deux hommes ou deux femmes et encore moins de désir d'enfant dans ces circonstances-là. Je n'en dirais pas plus pour ne pas trop divulguer la suite de ce livre, mais je salue la transposition de problématiques très contemporaines en plein XVIIIème siècle et y trouve la modernité et l'originalité que j'attendais.
Marie-José Aubrycoin sait ménager le suspense ; quand une partie de l'intrigue semble trouver son dénouement, un autre mystère surgit pour captiver les lecteurs. J'avoue qu'elle a réussi à me surprendre.
Naturellement, j'ai apprécié l'univers référentiel sous-jacent et le petit clin d'oeil au livre de Richardson au travers du prénom de l'héroïne principale, Clarisse.
Ce livre est un bel hommage au roman épistolaire, genre oublié, écrit avec une certaine originalité dans le respect des titres fondateurs que j'ai cités. Je pense cependant qu'il faut les connaître pour l'apprécier à sa juste valeur.