Changer la vie

[...] l'angoisse métaphysique de la médiocrité ne se traite efficacement, à la longue, que par un savant mélange d'indifférence et de déambulations paresseuses et sans but.

A Paris, le chantre de la fête socialiste prônerait bientôt la rigueur, laissant à son ministre de la Culture le privilège d'organiser les festouilles: dans les années suivantes de cette présidence de gauche, jamais l'écart entre les riches et les pauvres ne se creuserait autant, de même que, dans les États-Unis de Reagan et l'Angleterre de Thatcher, comme si, en dernier ressort (comme on dit dans la théorie léniniste), tout ça ne faisait pas une si grande différence et que notre seul vrai choix, c'était de chercher sur quelle bande-son nos rêves se briseront un par un et quelle quasi invisible pièce de tissu nous avons par notre misérable existence ajouté au grand quilt de la vie sur terre.

La politique c'est comme l'amour, il y a des cas où c'est encore meilleur si on a attendu!

Sur le balcon d'en face un vingtagénaire allonge sa mollesse indifférente, glycine d'homme, jambes pendouillant au-dessus des géraniums en pots accrochés à la rambarde, dans une posture dont j'envie l'abandon, moi aussi, la confiance prétentieuse.

Changer la vie ! C’est bien maintenant qu’on en aurait eu besoin, toi, moi et le paquet des autres, tous les crétins innocents qui avaient cru Tonton, et qu’on passait, sans blague, merde (ici, voix de Coluche), de l’ombre à la lumière. J’avais vingt et un ans tout mouillés, toi deux de plus (« quand même, Giscard ou pas, je suis beaucoup plus majeur que toi ! »), nous étions dans la catégorie du jeune homme sur le balcon, version pré-changement climatique, rageurs et nonchalants, sûrs de tout et flous jusque dans les plus infimes détails.
(p. 22)

Reviens bientôt, François : cent trente kilos à ton âge, c'est à dire à peine plus que le mien, tu devrais faire gaffe - changer la vie, d'accord on passe, mais ça n'empêche pas d'essayer de la vivre mon pote, et d'en faire un truc acceptable, de laisser son invisible trace...Passe à la maison et le prend pas mal si le mercurey est fini et qu'on se la joue tout au thé vert ; si t'as un coup de barre et que tu veux poser la tête sur mes genoux, ne te gêne surtout pas.

"Alors, M'sieur Chaban, qu'y m'dégoise, va falloir se décider, qu'est-ce qu'on veut maintenant ? On vit, ou pas ? - On vit", j'ai dit, histoire d'avoir la paix. "Alors n'oubliez pas : pas une goutte ! entendu ?" Je lui ai serré la paluche : "Pas une goutte, doc, croix de bois, croix de fer, si je mens j'vais en enfer, comme disait ma grand-mère." Dis donc, Dédé, ce blanc, tu fais péter, ou quoi ?

Pour en rester à Neruda, il en est, des silences qui ne s'achèvent pas, et le nôtre dure encore ; tu n'es pas plus à blâmer pour cela que moi, c'est un choix que nous avons fait, séparément et ensemble, il y a longtemps, à New-York je crois bien, et il serait plus difficile de revenir dessus maintenant que de rompre un vœu solennel. Soudain, je me sens jaloux de ces silences rompus : pourquoi eux - et pas nous ? Qu'est-ce qui cloche avec nous ?