Tara Duncan, Tome 2 : Le livre interdit

Faire évader quelqu'un des prisons d'Omois est totalement impossible.
Bah! répondis Tara en haussant les épaules, trouver la forteresse grise et s'en évader était aussi impossible, n'est-ce pas ? Vaincre Magister et détruire le trône de Silur aussi était impossible. Et d'ailleurs si je vais plus loin, la magie est impossible et ce monde est impossible. J'ai appris à ne plus m'arrêter à ce mot. D'ailleurs je songe très sérieusement à l'éliminer de mon vocabulaire.

Pour sa part, elle fit d'abominables cauchemars qui la laissèrent épuisée et tremblante. Elle en comprenait plu rien. Jamais Magister n'aurait essayé de la tuer, il avait trop besoin d'elle. Alors, qui voulait se débarrasser d'elle, et surtout pourquoi ? Comme tout le monde, elle avait rêvé de vivres des aventures extraordinaires. Maintenant, elle était quasiment prête à payer pour vivre la vie plus ennuyeuse, la plus insipide la plus terne possible.

- Bon, alors, cette Âme Blanche, on la trouve où selon toi ?
- Si tu étais un mangeur de Boue, demanda Robin, qu'est-ce que tu ferais ?
- Je m'achèterais un rasoir et un déodorant, pourquoi ?
Robin leva les yeux au ciel.
- Je veux dire, qu'est-ce que tu ferais si tu tombais sur un truc comme l’Âme Blanche ?
- En temps que Mangeur de Boue ? Soit je la planquerais, histoire d'avoir ma déco personnelle au fond de mon trou puant. Soit je le montrerais à tous les autres Mangeurs, je dirais que c'est la statue d'une déesse et que je suis son grand prêtre, et je créerais une nouvelle religion où étant le seul capable de communiquer avec la soi-disant déesse, j'obligerais les autres Mangeurs de Boue à travailler pour moi. Et ainsi je passerais le reste de mes jours à m'empiffrer en regardant mes doigts de pied de Mangeur de Boue.
Robin le regarda avec des yeux ronds.
- Tu sais, j'espère que ces Mangeurs n'ont pas l'esprit aussi tortueux que le tien !

- Bon. Traduisons dans un langage que vous pouvez comprendre. Joli, gentil morceau de pierre blanche, nous retrouver, nous prendre, nous manger Nuage. Compris ?
Re-silence. Les Mangeurs de Boue étaient en réalité tellement attentifs, tellement concentrés, qu'ils ne bougeaient plus d'un poil, ce qui était une sorte d'exploit.
Le Vampyr enthousiaste de tout à l'heure avança et darda ses yeux rouges sur les Mangeurs.
- Peut-être, dit-il d'une voix sinistre, que nos amis ont besoin d'une... traduction plus... musclée !
- Maître Dragosh ? appela Tara.
- Damoiselle ?
- Pourriez-vous expliquer à votre enthousiaste, là, qu'on a besoin d'alliés et que torturer les gens, ça ne se fait pas ?
Maître Dragosh foudroya le Vampyr du regard. Celui-ci eut la bonne grâce de paraître gêné.

- Je ne crois pas vous connaître, susurra-t-elle à Cal d'un ton admiratif. J'aurais besoin de votre nom... pour... pour la cérémonie de demain.
Cal aimait particulièrement les films terriens.
Il n'hésita pas.
- Bond, répondit-il de sa voix de velours en s'inclinant sur l'une des mains de la jeune femme. James Bond.

- Bien, sourit-elle à Selena en sirotant sa limonade. Maintenant, expliquez-moi un peut comment vous avez rencontré mon frère.
Tara tendit l'oreille, elle ne s'attendait pas à cette question. Elle était, elle aussi, impatiente d'en savoir plus sur ses parents.
Selena sourit à ce souvenir.
- Il m'est tombé dessus, expliqua-t-elle. Il venait d'arriver au Lancovit et son tapis volant a eu quelques ennuis « mécaniques ». Juste au-dessus de moi. Je me suis retrouvée ensevelie dessous avant d'avoir compris ce qui s'était passé. Je venais de mettre au point une coiffure extrêmement compliquée et qui m'avait pris une bonne heure de travail. J'étais justement sortie pour la montrer à mes amies. Alors, quand j'ai vu tous mes efforts saccagés à cause de Danviou, j'étais tellement en colère que j'ai bien failli le transformer en crapaud ! Il s'est excusé, il s'est mis à genoux pour se faire pardonner... et il s'est évanoui.
- Évanoui ? Mais pourquoi ?
- Il n'avait pas réalisé que dans sa chute, il s'était cassé la jambe. Quand il a voulu s'agenouiller, la douleur a été si forte qu'il a perdu connaissance. Évidemment, je l'ai ramené chez nous.
- Ohhhh, fit Moineau en sortant un petit mouchoir et en s'essuyant les yeux, très émue, ce que c'est romantique !
Cal la regarda comme si la cervelle de son amie dégoulinait de ses oreilles.
- Je ne vois pas ce que ça a de romantique, fit-il remarquer, sarcastique, ça prouve juste qu'il était maladroit !

Tara et Moineau, curieuses, essayèrent de voir la chambre de Cal, mais celui-ci refusa avec obstination. Pas question qu'elles se moquent de lui en voyant ses posters de Shakira ! Il adorait cette chanteuse terrienne au déhanchement hypnotique.

Le chien se lécha les babines, pensif.
_ Et tu penses que...
_ Que ça va mal tourner ? Eh bien dans ce monde de fous, j'ai remarqué que les événements avaient le choix. Soit ils tournaient mal, soit ils tournaient bien. Et devine un peu ce qui se produit le plus souvent ?
_ Ça tourne mal ? proposa docilement le labrador, pas contrariant.
_ Exactement ! Tu as gagné le nonos d'or ! Combien on parie que Fafnir va avoir des problèmes ?

La grand-mère de Tara n'était pas particulièrement connue pour son sens de la diplomatie. On chuchotait à la cour que ses ancêtres devaient avoir du sang nain dans les veines. Que comme eux, elle frappait d'abord et posait les questions ensuite.
Elle en fit une vigoureuse démonstration en hurlant sur Tara pendant une bonne dizaine de minutes.
"Ingrate" était le mot le plus gentil de tous ceux qu'elle vociférait.
Tara tenta d'abord de se défendre, puis, fascinée par la capacité thoracique de sa grand-mère, finit par renoncer.
Elle n'avait fait connaissance avec son père que depuis peu mais... Oui ! Gagné ! Elle sentit qu'il réagissait. Sortant brusquement de derrière son épaule, il se planta devant Isabella et remarqua froidement, en forçant sa toute petite voix :
- Vous n'avez pas changé, chère belle-mère, toujours aussi... directe, à ce que je vois.
Isabella, qui avait approximativement atteint le milieu de sa tirade, referma brutalement la bouche, stoppée en plain élan. Ses yeux verts s'écarquillèrent... et un bienfaisant silence tomba sur l'assemblée.
Tara sourit. Voir sa grand-mère muette de stupéfaction valait toutes les engueulades du monde.

- Elle va être élevée par sa famille. Si Selena était Édrakin, elle serait...
- Mais elle ne l'est pas, la coupa l'Impératrice. Elle est lancovienne. Alors je sais ce qui me reste à faire.
Tous le regardèrent, interloqués.
Elle fut parfaitement claire.
- Je crois que je ne me suis pas bien fait comprendre, déclara-t-elle d'une voix glaciale en se levant. Si mon Héritière ne vient pas à Tingapour pour y recevoir l'éducation qui convient à une futur Impératrice, mon peuple n'aura pas le choix.
Isabella plissa les yeux verts.
- Comment ça, pas le choix ? Demanda-t-elle avec une certaine appréhension.
- Nous considérerons que vous détenez un otage impérial au Lancovit.
- Un otage, s'exclama Isabella, mais ce n'est pas...
- Et dans ce cas, la coupa tranquillement l'impératrice, nous vous déclarerons la guerre !