C'est album me subjugue. Il est un condensé de ce que la littérature jeunesse peut proposer de plus profond, de plus envoûtant et de plus riche en interprétations.
📖 Un enfant traverse un désert de désolation*. Qui est-il ? D'où vient-il ? Comment se prénomme-t-il ? Où va-t-il et dans quel but ? Nul ne le sait et ne le saura.
Partagée entre l'envie de le déchiffrer absolument et le souhait de ne jamais le saisir complètement, cet album reste une énigme et je n'ai pas toutes les clés pour ouvrir chacun des coffres qu'il renferme et c'est ce qui me plaît terriblement. Je me fais donc une raison. Comme d'une personne que l'on aime, il faut qu'elle garde cette part de mystère qui nous donnera toujours l'envie de la redécouvrir.
Vous dire que le garde aux portes de la ville, interrogeant l'enfant sur son identité, me rappelle inévitablement le Sphinx à l'entrée de Thèbes soumettant Oedipe à un interrogatoire, vous préciser que les habitants** poursuivant notre jeune héros me rappellent immanquablement les rats suivant le joueur de flûte de Hamelin, vous dire que la présence des corbeaux, oiseaux de mauvaise augure, puis des hérons cendrés, oiseau protecteur qui conduit à la connaissance de soi, est éminemment symbolique, de même que les tatouages maori*** dont l'enfant sera recouvert à la fin de l'album, ne suffira pas. Vous dire que le garde aux portes du village que l'on aura définit comme médiéval laisse place à une caméra et à un amas, telle une déchetterie pleine d'objets, dont l'obsolescence nous désole (critique de la société de consommation), ou encore préciser que le dernier chapitre s'intitule le rêve****, n'épuisera pas tout ce que cet album a encore à nous dire. On y traverse les villes et les époques. Quant au titre, il pourra rappeler la figure du juif errant en tant que témoin de l'histoire humaine, peut-être ou peut-être pas. du rêve et du mythe à la réalité, il n'y a qu'un pas.
Ici texte et images se complètent à la perfection. Les illustrations sont d'une grande finesse et d'une beauté qui me coupent le souffle et m'invitent, vous l'aurez compris, à mille interprétations.
Encore un album, faut-il encore le redire et le prouver, qui prouve à quel point la littérature jeunesse peut être profonde.
Sachez qu'il y a encore mille choses à dire et à découvrir. Et pour qui me connaît, sachez que j'ai l'impression de me retrouver là-dedans.
Un album magistral. Subjuguant, époustouflant.
* aidé d'un bâton de marche qui rappelle la figure des pèlerins (//figure évangélique). Quête initiatique.
** qui pointent un doigt accusateur en la direction se l'enfant après qu'il a dérobé une orange. Toutes les couches sociales sont alors représentées. Les Figures réelles deviennent fantomatiques. Tandis que les habitants se décharnent et finissent par perdre leur identité, pour ne pas dire humanité (critique de l'instinct grégaire en filigrane), notre jeune enfant se couvre de tatouages maori et apparaîtra vêtu entièrement à la toute fin de l'album.
***
Les Polynésiens considèrent l'océan comme leur destination finale où ils vont après leur décès. Donc l'océan est parfois un symbole de la mort, ou de l'au-delà.
**** La dimension onirique est tellement prégnante qu'elle nous invite à mille interprétations. Un album à exploiter sans fin comme on fouille un grand texte.